lundi 13 février 2012

Le regard de Mikis Theodorakis sur un génocide financier

L'Histoire en marche

Ainsi donc les parlementaires grecs ont-ils adopté dans la nuit le plan de rigueur imposé par la Troïka en contrepartie duquel le nécessaire déblocage des 130 milliards d'euros indispensables au financement de son économie - ou pour être plus rigoureux et par priorité absolue au paiement de sa dette, eu égard à la prochaine échéance de 14,5 milliards d'euros au mois de Mars 2012 - pourra être réalisé.

Un plan de rigueur à la fois impitoyable sur le plan du pouvoir d'achat des Grecs, tout juste utile pour écarter la menace d'un défaut désordonné mais  impuissant sur le fond rien ne permettant dans le dispositif de financer les évolutions structurelles de l'économie afin de lui donner les moyens de relever des défis d'avenir, et massivement rejeté par la population, comme en témoignent les manifestations ininterrompues, les heurts violents entre force de l'ordre et manifestants, les banques et immeubles brûlés.

Un climat de chaos social. Un chaos que le Premier Ministre souhaitait éviter sur le plan économique mais dont la survenue est inéluctable sur cet autre plan là. Celui de la civilisation.

Où l'on saisit en image, au détours d'un article sur Rue89, le regard de Mikos Theodorakis.

Mikos Theodorakis qui, au mois de Novembre 2011 déjà, lançait un appel au peuple grec mais aussi à l'ensemble des peuples européens, dans lequel il soulignait la menace du "retour du fascisme"  induit par les pratiques des banques. Une référence qui ne doit rien au hasard.

Mikos Theodorakis présent là où l'histoire grecque s'écrit, mais pas seulement.

Avec un masque sur le visage afin de se protéger des gaz lacrymogènes.
On le porte. Mais qui le porte? Ses amis? Des policiers en civil cherchant à l'évacuer, s'agissant d'une figure de la culture nationale? On entrevoit d'autres masques. Climat de guerre plus que de manifestation. On cherche visiblement à l'évacuer. Plus pour le protéger que pour le soustraire au combat.

Et ce regard.

Un regard qui ne traduit ni d'abord ni seulement l'hébétude due à la souffrance peut-être ressentie en raison de l'inhalation des gaz,  mais le choc enduré par toute une nation.

Un regard à la fois dur, déterminé, réprobateur, accusateur, tout de colère; mais désespéré et effaré aussi.

Le regard d'un intellectuel humaniste, ancien ministre qui plus est, qui voit plus loin que le feu qui embrase les édifices ou les vapeurs nocives qui envahissent la rue. Un regard qui dit l'effroi de ce qui advient. Du nouvel ordre qui se dessine à travers une rigueur destructrice qui ne sauvera rien tout en anéantissant les forces vives d'une nation, ce que la froide analyse économique révèle.

Un regard qui semble dénoncer ce qu'il va bien falloir par reconnaître comme tel: un génocide financier ("Vers un génocide financier" in Courrier International 29/09/2011). Car il faudra bien à la fin mettre des mots sur les choses, et ne pas se contenter de la nécessaire distanciation propre à l'analyse économique ou politique. Mettre des mots même crus comme l'est le terrible regard  de Theodorakis.

Un génocide financier, le premier de ce type, perpétré, une fois encore, en plein coeur de l'Europe. Sans qu'aucun représentant de la Commission Européenne conduite par M Barroso ou du Conseil des Ministres de l'Europe ne se manifeste en quoi que ce soit, rien sur le plan politique ne venant soutenir et équilibrer ce qu'on impose par ailleurs sur le plan économique. Une sorte de Munich financier en 2012. Où l'on ne peut s'empêcher de penser que L'Europe fréquente décidément de façon très assidue ses fantômes.

La Grèce seule face à son destin, l'Europe n'osant affronter en face et de façon solidaire, au-delà des récentes déclarations autoritaires des dirigeants français et allemand, la vérité de la construction qu'elle a choisi: l'équilibre de l'ordre économique et financier, quitte à ce que le prix payé soit celui de la destruction d'un peuple si nécessaire. Un équilibre découvert trop tard, les mesures qui s'imposent ne préservant aucun des leviers permettant de renverser la tendance d'une hyper-récession qui ne pourra faire que des ravages.

Une Europe sacrifiant l'un des siens pour mieux se préserver, l'Allemagne, très fragile en réalité, constituant le symbole absolu de cette position schizophrénique sur le plan économique, simultanément plus gros prêteur et opposant dogmatique autant qu'intransigeant aux eurobonds qui constituent pourtant "une" sinon "la" porte de sortie de la crise de la dette qui frappe l'ensemble de la zone.

Une Europe qui ne veut pas regarder la réalité en face, dans l'exacte opposition au regard de Theodorakis saisi sur le vif là où le destin de l'une de ses emblématiques nations s'écrit, auquel rien n'échappe de ce qui est en marche et qui parle de misère, de perte des libertés et des droits, de souffrance, de recul de la dignité humaine.

Le nouveau plan de rigueur grec du 13 Février 2012, le regard de Mikos Théodorakis, ou l'image d'une vision d'effroi face à une certaine mort symbolique de la civilisation européenne.


Capture d'écran du site Rue89.com


mercredi 8 février 2012

A propos de l'adagio de la Sonate K 576 de Mozart par Claudio Arrau

Instant musical



Un joyau, sous les doigts de Claudio Arrau dont le génie coïncide ici parfaitement avec celui de Mozart, dans une rencontre d'égal à égal (enregistrement de 1983).

Où le temps suspend son vol. 
Où la grâce s'épanouit. 
Où le mystère prend corps à travers des sonorités qu'il dépasse, pour se faire beauté absolue.





samedi 21 janvier 2012

A propos du Moment musical N° 4 de Rachmaninov par Nikolaï Lugansky


Instant musical 


Souffle

Comme une vague qui roule, déferle, se brise, se reprend, roule et déferle encore, sans fin, l'épuisement étant impossible tant l'énergie est puissante, la pulsation féconde. 

Lorsque les mains doivent être vaincues, brisées elles aussi, asservies, pour n'être plus que mouvement à l'état pur, reflétant dans leur dynamique même l'objet révélé.

Lorsque l'idée même d'un certain romantisme doucereux ou mièvre est battue en brèche, la musique devenant possession, force tellurique à l'oeuvre, point de passage vers d'autres forces qui sont comme son véritable horizon;

Lorsque l'idée d'un quelconque "tourment" d'une hypothétique âme enfiévrée devient presque désuète, tant les éléments qui sont ici convoqués avec autorité et détermination ont quelque chose de quasi cosmique;

Lorsque l'hommage rendu à l'instrument est évident, la tension entre le pouvoir de discrimination des sons, des durées, des intensités, des rythmes et l'aptitude du monstre à occuper l'espace sonore qu'il sculpte à travers le talent du pianiste, atteint un paroxysme;

Lorsqu'il s'agit de traduire la complexité féconde et envoûtante d'une inspiration russe entre lyrisme fou et technicité pure;

Lorsqu'il s'agit de toucher du doigt ce que "géant" veut dire, le compositeur rencontrant l'essence d'une certaine "âme", le piano étant l'instrument de cette rencontre virtuose et Lugansky servant ses origines comme l'école qui l'a fait éclore et s'épanouir dans un hommage stupéfiant à l'un de ses maîtres, Tatiana Nikolaïeva, son propre génie, et non pas sa seule virtuosité tant l'interprétation est "intériorisée", habitée, s'affirmant avec intensité et de manière lumineuse;

D'où l'on sort le souffle court, voire coupé; dévasté; presque anéanti d'avoir exploré de tels sommets et de tels abîmes dans un magnifique ensorcellement annihilant presque tout pouvoir de prendre la moindre distance.

On l'on parlera de "possession" sans doute, un autre russe ayant lui aussi exploré avec un lyrisme et une complexité égales dans son domaine, cette même thématique, ce qui n'est pas un hasard.

Où Rachmaninov gomme un "moment", précisément s'agissant d'un "moment musical" le verbe "penser" pour lui substituer la puissance de la "perception", dévoilant la grandeur du terme "sentir" et la faculté d'exploration qui lui est associée.

2:51 de perception musicale pure.