samedi 21 janvier 2012

A propos du Moment musical N° 4 de Rachmaninov par Nikolaï Lugansky


Instant musical 


Souffle

Comme une vague qui roule, déferle, se brise, se reprend, roule et déferle encore, sans fin, l'épuisement étant impossible tant l'énergie est puissante, la pulsation féconde. 

Lorsque les mains doivent être vaincues, brisées elles aussi, asservies, pour n'être plus que mouvement à l'état pur, reflétant dans leur dynamique même l'objet révélé.

Lorsque l'idée même d'un certain romantisme doucereux ou mièvre est battue en brèche, la musique devenant possession, force tellurique à l'oeuvre, point de passage vers d'autres forces qui sont comme son véritable horizon;

Lorsque l'idée d'un quelconque "tourment" d'une hypothétique âme enfiévrée devient presque désuète, tant les éléments qui sont ici convoqués avec autorité et détermination ont quelque chose de quasi cosmique;

Lorsque l'hommage rendu à l'instrument est évident, la tension entre le pouvoir de discrimination des sons, des durées, des intensités, des rythmes et l'aptitude du monstre à occuper l'espace sonore qu'il sculpte à travers le talent du pianiste, atteint un paroxysme;

Lorsqu'il s'agit de traduire la complexité féconde et envoûtante d'une inspiration russe entre lyrisme fou et technicité pure;

Lorsqu'il s'agit de toucher du doigt ce que "géant" veut dire, le compositeur rencontrant l'essence d'une certaine "âme", le piano étant l'instrument de cette rencontre virtuose et Lugansky servant ses origines comme l'école qui l'a fait éclore et s'épanouir dans un hommage stupéfiant à l'un de ses maîtres, Tatiana Nikolaïeva, son propre génie, et non pas sa seule virtuosité tant l'interprétation est "intériorisée", habitée, s'affirmant avec intensité et de manière lumineuse;

D'où l'on sort le souffle court, voire coupé; dévasté; presque anéanti d'avoir exploré de tels sommets et de tels abîmes dans un magnifique ensorcellement annihilant presque tout pouvoir de prendre la moindre distance.

On l'on parlera de "possession" sans doute, un autre russe ayant lui aussi exploré avec un lyrisme et une complexité égales dans son domaine, cette même thématique, ce qui n'est pas un hasard.

Où Rachmaninov gomme un "moment", précisément s'agissant d'un "moment musical" le verbe "penser" pour lui substituer la puissance de la "perception", dévoilant la grandeur du terme "sentir" et la faculté d'exploration qui lui est associée.

2:51 de perception musicale pure.




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