samedi 21 janvier 2012

A propos du Moment musical N° 4 de Rachmaninov par Nikolaï Lugansky


Instant musical 


Souffle

Comme une vague qui roule, déferle, se brise, se reprend, roule et déferle encore, sans fin, l'épuisement étant impossible tant l'énergie est puissante, la pulsation féconde. 

Lorsque les mains doivent être vaincues, brisées elles aussi, asservies, pour n'être plus que mouvement à l'état pur, reflétant dans leur dynamique même l'objet révélé.

Lorsque l'idée même d'un certain romantisme doucereux ou mièvre est battue en brèche, la musique devenant possession, force tellurique à l'oeuvre, point de passage vers d'autres forces qui sont comme son véritable horizon;

Lorsque l'idée d'un quelconque "tourment" d'une hypothétique âme enfiévrée devient presque désuète, tant les éléments qui sont ici convoqués avec autorité et détermination ont quelque chose de quasi cosmique;

Lorsque l'hommage rendu à l'instrument est évident, la tension entre le pouvoir de discrimination des sons, des durées, des intensités, des rythmes et l'aptitude du monstre à occuper l'espace sonore qu'il sculpte à travers le talent du pianiste, atteint un paroxysme;

Lorsqu'il s'agit de traduire la complexité féconde et envoûtante d'une inspiration russe entre lyrisme fou et technicité pure;

Lorsqu'il s'agit de toucher du doigt ce que "géant" veut dire, le compositeur rencontrant l'essence d'une certaine "âme", le piano étant l'instrument de cette rencontre virtuose et Lugansky servant ses origines comme l'école qui l'a fait éclore et s'épanouir dans un hommage stupéfiant à l'un de ses maîtres, Tatiana Nikolaïeva, son propre génie, et non pas sa seule virtuosité tant l'interprétation est "intériorisée", habitée, s'affirmant avec intensité et de manière lumineuse;

D'où l'on sort le souffle court, voire coupé; dévasté; presque anéanti d'avoir exploré de tels sommets et de tels abîmes dans un magnifique ensorcellement annihilant presque tout pouvoir de prendre la moindre distance.

On l'on parlera de "possession" sans doute, un autre russe ayant lui aussi exploré avec un lyrisme et une complexité égales dans son domaine, cette même thématique, ce qui n'est pas un hasard.

Où Rachmaninov gomme un "moment", précisément s'agissant d'un "moment musical" le verbe "penser" pour lui substituer la puissance de la "perception", dévoilant la grandeur du terme "sentir" et la faculté d'exploration qui lui est associée.

2:51 de perception musicale pure.




vendredi 20 janvier 2012

A propos de la sincérité digitale des marques


Les délices du marketing, à propos de la sincérité digitale des marques

A vu passer ce jour un petit bijou d'oxymore qui aura fleuri sur une page dédiée au marketing, à propos d'un dossier à venir:

" (...) autour de la Sincérité Digitale des Marques"

Cher Monsieur, (vous n'êtes pas le seul à gloser sur la question, le domaine ayant au moins le mérite de faire vivre quelques agences et donc de fournir des emplois, ce qui n'est déjà pas si mal), le digital devenu paradigme économique et sociétal n'a rien changé au marketing sur le fond: 

Il s'agit toujours de l'art permettant de vendre à quelqu'un qui n'en a pas immédiatement besoin quelque chose qu'on va tenter de faire passer pour indispensable. 

Un art très élaboré, c'est évident, a fortiori quand il vient greffer son corpus d'études et techniques quantitatives sur les sciences sociales et du comportement (et inversement). D'où sa redoutable efficacité.

Le reste, digital ou pas, conversationnel ou pas, social ou pas, 2.0 ou pas, c'est de l'habillage. Sophistiqué certes (techniquement, car conceptuellement, c'est tout autre chose); up to date, c'est une évidence; tendance, c'est encore plus vrai; incontournable, cela s'impose; de l'avenir, c'est inévitable- quand il est digital, mais de l'habillage toujours.

Je vous garantis que lorsqu'on pilote la stratégie financière d'une entreprise ou d'un groupe, la "sincérité" sur laquelle vous allez vous interroger est bien le cadet des soucis, l'image et les valeurs véhiculées tout comme les propriétés de la rhétorique n'existant qu'à titre de composantes subordonnées à la visée des ratios de rentabilité. 

Ou plus exactement la "sincérité" d'un positionnement ou d'une expression digitaux ne valant qu'à partir du moment où elle contribue à l'efficacité économique et financière du dispositif marketing qui ne sera évalué que de l'unique point de vue de l'accroissement des parts de marché, de la croissance du CA, de l'augmentation des marges, la notoriété et les valeurs couvertes par le champ sémantique et opérationnel de cette dernière dont la sincérité fait partie étant prise en compte, mais comme une donnée subséquente, dérivée, induite, toutes choses synonymes de "subordonnées". 

Et pour être "sincère" on n'en est pas pour autant "véridique", de la même façon que pour être "authentique" on n'en est pas pour autant "vrai", "honnête" ou "loyal". 
Une "Marque" étant une construction économique et marketing profitable promue par une structure d'entreprise à but lucratif par nature a-morale, c'est peu dire que l'éthique n'a ici aucune place (sauf à être un facteur de productivité commerciale), la sincérité conçue comme passerelle entre l'économique et l'éthique ne constituant qu'un leurre psycho-socio-marketing efficace et rien d'autre. 

Ce qui explique le grand écart permanent des Marques entre leur discours, dont il est ô combien requis qu'il soit sincère d'un point de vue pragmatique, surtout à l'ère du web social et du digital 2.0, et leur arrière-plan économique. Grand écart qui fait que parfois, souvent, régulièrement, les Marques se prennent les pieds dans le tapis. Ce qui est inévitable dès qu'on dépasse une lecture marketing prismatique du conversationnel. Question de structure à laquelle les hommes de marketing ne peuvent absolument rien. Rien sinon augmenter l'efficacité du dispositif. Par exemple en étant sincère. Précisément.  

Et le BVP comme la DGCCRF (en France) sont loin de disposer des moyens, instruments et structures adaptés à certains comportements et outils des "marketers" induits par le développement du marketing digital. Mais pour n'être pas prise en faute puisqu'il n'existe absolument rien pour réguler la libre parole des marques dans l'univers digital, la "sincérité digitale" évoquée n'en est pas pour autant vierge de carences, dont certaines préjudiciables en termes de droits des consommateurs. 

Vous n'aurez d'ailleurs pas manqué de remarquer que côté consommateurs et clients, on est dans l'ensemble sans aucune illusion. Observez donc la réaction des internautes à la présence des marques sur les réseaux sociaux. 

Pour résumer, interpréter et élucider le fond de leur position telle qu'elle ressort des plus récentes études, on pourrait dire: 
"Marques, allez marketer et faire semblant de parler ailleurs, et laissez-nous entre nous, internautes consommateurs, discuter librement et sans pollution de ce que nous pensons de vous. 
Si nous voulons dialoguer virtuellement avec vous, nous le ferons sur votre site ou votre blog - ou votre flux Twitter-, et vous avez intérêt non pas à être sincères mais à nous renseigner correctement c'est à dire précisément et dans des temps très maîtrisés sur vos offres, vos services, vos prestations. 
Le consommateur moderne est un consommateur lucide qui n'a pas envie de faire du conversationnel, mais de se servir du digital pour gagner en efficacité dans son acte de consommation. Pas de place et pas de temps pour le blabla marketing factice (de ce point de vue, la fonction de Community Manager est appelée à de sérieuses évolutions!). Donc votre "sincérité" est un pré-requis évident, et vous avez tout intérêt à ce que le "sincère" coïncide avec la réalité de votre offre. Car sinon, c'est trolling, bashing et autres délices associés au marketing digital assurés!" 

Où l'on voit à l'occasion de cette brève évocation de la sincérité digitale qu'en définitive, l'économie et le marketing se moralisent peut-être progressivement non par choix  mais par contrainte. La ruse de l'histoire, toujours. 

Pour revenir à l'oxymore constituant le point de départ de cette réflexion, évoquer la "sincérité des marques" c'est un peu comme évoquer le "capitalisme responsable" mentionné par Monsieur Fillon, "la banque citoyenne" de l'autoproclamé Crédit Mutuel, "la croissance durable": l'expression est  intrinsèquement contradictoire, vide de sens et de toute réalité tant que ce à quoi elle renvoie n'est animé que par la loi du marché et des interactions sociales libres.  Des utopies masquant la conservation des antiques rapports de production déséquilibrés. Des éloges de la manipulation efficace institutionnalisée. 

Par contre, dès lors qu'on introduit de la gouvernance, qu'elle soit sociale, économique, politique, juridique, financière, alors ces oxymores peuvent avoir une certaine fécondité. Et même faire avancer les relations économiques, commerciales, sociales, politiques, financières.


Pour être brutal, tant qu'on ne contraindra pas les marques, règlements et dispositifs de contrôle à l'appui, à être non pas "sincères" dans l'univers digital, mais "véridiques", une certaine supercherie du conversationnel aura encore de beaux jours devant elle. 

Pensez par exemple à ce qui se produit autour des avis des internautes et de la réglementation envisagée pour distinguer les "faux avis" des "vrais avis", et vous aurez une illustration parfaite de ce qu'est la gouvernance du web appliquée à la consommation s'agissant de la "sincérité digitale".  

Ca ne vous plaira pas, c'est évident (il est tellement plus facile de faire semblant d'être sincère pour tenter de mieux tirer votre épingle du jeu sur le plan marketing). Mais voyez-vous, le web, y compris le web marchand, est aussi un espace démocratique, citoyen, légal. Et perfectible à ce titre. Y compris lorsque l'on fait du conversationnel. 

Si les marques prenaient d'emblée et d'elles-mêmes le parti d'être "vraies" plutôt que "sincères", pour des raisons évidentes, on gagnerait beaucoup de temps et de respect des droits des consommateurs.

Que voulez-vous, une marque est comme un citoyen: elle a la liberté de parole, mais elle ne peut pas dire n'importe quoi dès lors que son discours porte atteinte au droit. La sincérité ne fait pas tout.

Marques, soyez "vraies" plutôt que "sincères", et vos profits s'en trouveront augmentés!

L'avenir est à vous, non? 

Bien sincèrement.






Autour de l'Ave verum corpus de Mozart

Instant musical


"Dieu dit: " Que la lumière soit! " et la lumière fut." Genèse 1,3

Coda 

Un K 618 ici dans la magnifique interprétation, toute en intériorité, des Arts Florissants sous la direction de William Christie, l'option de tempo, résolument lente, et la décomposition/articulation subtile et aérienne des pupitres expliquant cela.





jeudi 19 janvier 2012

Face à face, avec Gustav Leonhardt: autour de la cantate BWV 54 de Bach


Pourquoi contenir l'éloge ou la mémoire dans le carcan de l'immédiat après, alors que tout dans l'oeuvre colossale du génie dont on honore le legs ne parle que de durée, d'empreinte définitive, de matrice de la compréhension et de l'interprétation du baroque, de racines, voire de panthéon musical? Ce dont l'idée même aurait sans doute fait fuir l'humble et sublime serviteur de la musique, ce qui ne fait que confirmer la grandeur du musicien comme la noblesse de l'homme au regard de la qualité comme de l'étendue de l'oeuvre léguée.

J'ai choisi la bouleversante cantate BWV 54 de Bach - évidemment Bach, s'agissant de l'un de ses plus grands serviteurs -, "Widerstehe doch der Sünd" ("Fais face au péché") dans laquelle nous retrouvons Gustav Leonhardt à la baguette, et pour la partition initiale d'alto, son complice, j'allais dire son alter ego et l'on verra pourquoi, le contre-ténor Alfred Deller.

Il ne s'agit pas ici de manifester de façon exhaustive l'incroyable richesse de cette interprétation extraordinaire de densité, d'intériorité, d'humanisme; ce concentré admirable de l'art de Leonhardt, un arrière-plan culturel et émotionnel rendus palpables et d'une profondeur sans limite, servant de substrat à une technique instrumentale comme à une lecture vocale révélant jusqu'à l'extase la quintessence de l'intention esthétique et au-delà du Kantor de Leipzig qui composa ce chef d'oeuvre en 1714, il avait moins de trente ans.
Trente ans seulement devrait-on dire tant la maturité est vertigineuse dans l'expression musicale de la souffrance d'un être en proie à l'expérience de la tentation, de la faute, du mal et de la perte de soi, ainsi que la corrélation au mystère de l'incarnation qui se termina sur la croix que l'on sait.

On ne peut être exhaustif pour cette simple raison que des pans entiers de l'art du maître sont ici résumés avec néanmoins une saisissante simplicité : épure absolue de la ligne, conservation de cette épure à l'intérieur de la polyphonie, équilibre parfait des volumes sonores de chaque pupitre en relation avec l'intention textuelle, absence d'artifice presque jusqu'au cri voire à la dissonance dans le travail d'archet et la façon de faire chanter les violons et les violes (I et II dans les deux cas) de telle sorte que la couleur intacte des instruments se déploie pour coïncider parfaitement avec l'émotion recherchée, maîtrise parachevée d'une basse continue jamais forcée qui devient envoûtante comme il se doit, véritable pulsation vitale sous-tendant la diversité des motifs et des intentions associées, façon non pas de déposer la voix sur le tutti mais de créer un lien organique entre ces composantes, et tant de trésors encore que seule une somme ô combien justifiée permettrait de recenser.

C'est peu dire que le génie se manifeste ici dans toute sa pureté.

Gustav Leonhardt "voit" littéralement, Alfred Deller aussi, et c'est ce qu'ils "voient" ensemble et en même temps dans une proximité quasiment gémellaire, sorte d'extase musicale partagée, que l'on entend, la musique passant la musique. Infiniment.

Platon plaçait il y a vingt quatre siècles le "Noûs", "l'oeil de l'âme", faculté suprême, bien au-delà de toutes les autres, et notamment de la "dianoia" ou faculté discursive. Un "Noûs" caractérisé par sa faculté d'intuition. Façon de dire qu'une fois que l'intellect a fait son oeuvre, analysant, décomposant, articulant, recomposant, il cède la place à la "vision intime", sorte de proximité absolue avec l'être.

Or c'est très exactement ce que Leonhardt et Deller font ici. Où tout ce travail rationnel, approfondi, expert de lecture technique de la partition et de son exécution, cèdent la place à une vision de cette oeuvre baroque monumentale. Et comme par miracle, le travail étant oublié, ils nous livrent tous deux un pur joyau musical, une "vision" de ce face à face qui nous submerge et nous laisse comme égarés tant la présence est forte. En écoutant, nous aurons "vu", nous aussi.


La cantate BWV 54 explore de façon lancinante un face à face de l'âme tourmentée avec le mal, le péché, la faute, la mort. Une expérience radicale qu'elle n'est pas assurée de pouvoir supporter, dans laquelle elle peut se perdre même, s'agissant d'une expérience ultime, l'esthétique constituant ici une voie, une propédeutique, une pédagogie de la mystique sans doute, mais pas qu'elle.

Une mystique à laquelle on adhère ou pas, la question n'étant pas là, mais la co-incidence, comprenez la convergence absolue intentionnelle antinomique d'avec le hasard, étant présente pour qui veut en explorer le champ infini.

Où l'auditeur s'arrête où il veut dans cette exploration musicale de l'intimité de l'âme humaine, mais où l'ultime est donné à appréhender si on le souhaite, mystère et grandeur absolue de la beauté incarnée dans la forme contrapuntique et la matière sonore. Leonhardt et Deller constituant des passeurs magnifiques sur lesquels nous pouvons nous appuyer avec confiance et même abandon pour parvenir sans encombre au terme de la cantate, caractérisé par la découverte de la puissance de la pureté qui permet de triompher du mal, l'espérance ayant le dernier mot après la tension extrême de toute l'oeuvre.


Il faudrait parler encore des notes tenues techniquement époustouflantes et d'une intensité dramatique inégalable de 2:00 à 2:11 comme de 7:07 à 7:16 par exemple, véritable exploit vocal compte-tenu de la variation crescendo pour traduire le paroxysme de la souffrance intérieure, la cruauté oppressante du dilemme, le point culminant de la contradiction existentielle face au péché.
Où, là encore, il n'est nul besoin d'adhérer aux présupposés comme à l'anthropologie de la Réforme pour faire directement l'expérience de l'intériorité humaine, la musique devenant par le génie conjugué du maître et du sidéral contralto, une authentique poétique.

Dire de la cantate BWV 54 dans la version de Leonhardt et de Deller qu'elle constitue un sommet de l'interprétation baroque est un pâle euphémisme. On repense à Baudelaire et à "l'homme qui marche à travers des forêts de symboles", les deux musiciens étant familiers de cette symbolique musicale dont ils nous dévoilent la terrifiante et sublime grandeur. Familiers et sur un pied d'égalité, qui à la direction et qui à la voix seule, s'agissant de proposer une lecture à deux voix indissociables qui nous accapare, nous étreint et nous guide dans cet univers sonore complexe et fait de multiples plans.

Faut-il réellement parler encore de musique? Au regard de ce qui précède, la question se pose, tant les dimensions de l'expérience à laquelle nous sommes conviés sont nombreuses, entre esthétique musicale, poétique, métaphysique, existentielle, religieuse. Et voilà sans nul doute pourquoi chacun peut "éprouver" et partager la "vision" des deux géants devenue sienne.

Et pourtant ce n'est que de la musique. Totalement, pleinement, définitivement de la musique, jusqu'à l'absolu, dont on dira, à la façon de Pascal, que lorsque Leonhardt et Deller l'interprètent, "la musique passe infiniment la musique".

Aussi laissons-lui le dernier mot, ou plutôt le dernier son, lorsque la vibration captée par le génie ouvre la voie à la fécondité du beau.

Un beau dont Leonhardt, et avec lui Deller, fut, est, l'un des fils bien-aimé, pour avoir su le servir avec exigence humilité et continuité, afin de mieux le contempler,

Face à face,

Ce à quoi seuls les élus accèdent, nos pas s'en trouvant éclairés.


Belle et sereine écoute à tous!


- Aria -

Widerstehe doch der Sünde,
Fais face au péché,

Sonst ergreifet dich ihr Gift.
Avant qu'il ne te distille ses poisons.

Laß dich nicht den Satan blenden;
Ne te laisse pas aveugler par Satan ;

Denn die Gottes Ehre schänden,
Avoir honte de la gloire de Dieu conduit

Trifft ein Fluch, der tödlich ist.
À une situation qui mène à la mort.



Dentelle(s) et dessous

(Au lendemain du "Sommet social" du 18/01/2012 tenu à l'Elysée et voulu par le Chef de l'Etat, ainsi que de la cession de l'Entreprise de lingerie Lejaby jusqu'ici placée en liquidation judiciaire)

Les hasards de la vie économique et sociale ont voulu que le jour où le Tribunal de Commerce de Lyon prononçait la cession de l'entreprise de lingerie Lejaby, le Chef de l'Etat convoquait en grande pompe les partenaires sociaux à l'Elysée afin de tenir un "Sommet social" qui devait être déterminant dans la lutte contre un chômage massif flirtant désormais, officiellement, avec la barre fatidique des 10%. C'est du moins ainsi qu'on l'avait mis en avant de longue date, communication (gesticulation) électorale faisant loi.

Autant dire que si sur le front de la juridiction consulaire, les magistrats devaient faire dans la dentelle pour tenter de sauver l'experte entreprise de dessous et autres parures qui employait encore (n'employait plus que) 450 personnes, 4 sites de production ayant déjà été fermés depuis 2003 et la production délocalisée en Chine et la Tunisie, évidemment; à l'inverse, c'est l'artillerie lourde qu'il fallait déployer sur la présidentielle scène de ce qui était présenté comme une initiative majeure de l'exécutif pour faire face à la gangrène qui détruit à la fois notre économie, notre cohésion sociale, et notre même unité nationale. 

Et accessoirement pour tenter de faire oublier que l'actuel inexpérimenté, imprévoyant et responsable capitaine à "deux sous" (qu'on lira phonétiquement, ndla), qui rappelait en 2007 alors qu'il était déjà en campagne (vague souvenir d'avocaillon) "l'obligation de résultat" à laquelle il se devait en matière de chômage par opposition à "l'obligation de moyens", pour en déduire son objectif du quinquennat pour l'emploi fixé à 5%- pour tenter de faire oublier donc, que ce tricoteur politique aura été l'artisan efficace d'un chômage à deux chiffres, si l'on tient compte des tactiques et manipulatrices radiations administratives massives de Pôle Emploi (entre 20 000 et 40 000 par mois,  le soin étant laissé au lecteur de calculer ce que cela donne en extrapolation annuelle et d'apprécier la qualité de l'information - la propagande- officielle).  

Largement de quoi être au 36ème dessous pour l'économie et le moral des français. Et un défi pour ce spécialiste du voile démagogique, car il est bien malaisé de masquer les chiffres pour tenter d'érotiser sur le plan politique une cohorte de près de 5 millions de chômeurs en vue de la toute prochaine échéance reine.  

Un Sommet en forme de Grand-Messe sociale pour un candidat-président sur le fil du rasoir électoral qui ne pourra pas se contenter de se retrouver bras dessus bras dessous sur les estrades de ses futurs meeting pour essayer de faire oublier qu'il aura mis l'économie sans dessus dessous notamment avec ses options fiscales hasardeuses, clientélistes et oligarchiques, son absence totale de politique industrielle, et sans faire dans la dentelle si l'on en juge par le détricotage minutieux et extensif du droit social et de l'Etat-Providence opéré sous couvert de RGPP, de convergence européenne, de conservation d'un Triple A, trésor perdu malgré tout. 

Un Sommet Social pour tenter de rééquilibrer, sans le dire - et peut-être même sans le savoir!- , une donne entre le travail et l'épargne s'agissant d'un Etat qui détient la seconde place européenne en la matière avec un taux d'épargne record à près de 16,8% (données 2010 OEP parues en 2011) mais dans le même temps un taux de chômage record lui aussi avec une performance à 10% quand l'Allemagne réalise presque deux fois moins à 5,5%.  Où l'on voit de façon criante qu'il y a anguille sous roche, car si  les Français ont un bas de laine (qui aurait bien servi à Lejaby), tout comme l'économie nationale, cette épargne ne vient pas financer l'économie réelle et productive mais la seule économie financière, le "credit crunch" étant devenu réalité, puisque le chômage est endémique et l'économie en récession avec une croissance arrêtée. 

Le taux d'épargne pourrait donner l'envie de faire une petite folie en s'offrant des bas de soie à travers l'offre d'une économie de luxe visée par Lejaby sans toucher à l'essentiel du bas de laine; mais la dure réalité climatique et spécifiquement française du taux de chômage glaçant déjà évoqué (surtout pour les plus jeunes à presque 25% et les plus de 50 ans) contraint à porter des collants de laine, lingerie adaptée en temps de crise en général et de crise de l'emploi en particulier contre laquelle l'illusoire Sommet était censé lutter, en vain. 

Un Sommet social pour aborder, c'est du moins ce qui était annoncé, la très délicate question de la TVA sociale contestée jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, et pour cause, puisque si la mesure peut être efficace en phase de croissance, elle est catastrophique en phase de récession. Catastrophique parce qu'elle hypothèque toute reprise par la consommation, outre son caractère profondément inégalitaire sur le plan fiscal, lors même que la sacro-sainte (ou qui devrait être telle) et républicaine valeur d'égalité devrait s'imposer au politique comme une priorité absolue, au moment où le précieux et méconnu coefficient de Gini qui mesure le degré d'inégalité des revenus atteint en France 0,289, le rapprochement d'avec les pays les plus inégalitaires au monde  (La Chine, le Brésil) étant en marche, lentement mais sûrement.
Où l'on rappellera comme une donnée structurante sur le plan économique et politique que la première source d'inégalité est celle devant l'emploi et la formation, presque toutes les autres découlant de celle-là. Une inégalité qu'il faut prendre à bras le corps, moyens colossaux à l'appui, tant son déploiement nécrose la société toute entière. Las, le corps resta nu, et l'égalité dépouillée!

Un alignement de la France à travers le coefficient de Gini sur le moins-disant économique et social, ce qu'on appelle un nivellement de l'économie par le bas, le chômage massif objet du Sommet qui devait être traité constituant l'un des effets pervers de cette logique. Un chômage massif qu'on aura traité par dessous la jambe en réalité, dans un quasi bras d'honneur présidentiel insultant, autant pour les négociateurs assis à la table que pour les citoyens. Insultant puisque ce qui devait être négocié ne fut pas même abordé, le candidat gardant ses effets d'annonce pour plus tard, dans sa non-campagne vilement politicienne. 
Les demandeurs d'emplois actuels ou potentiels (c'est à dire absolument tous les salariés compte-tenu du contexte macro-économique) apprécieront cet exercice de vente sur catalogue électoral pour petit commercial en mal de l'ultime renouvellement de son CDD élyséen de 5 ans. 

Un sommet social où le Chef de l'Etat aurait du examiner avec les partenaires sociaux la façon de faire enfiler à la France le pardessus de la compétitivité, pour affronter les coups par en dessous des BRICS et de leur terrifiant et régressif dumping social. Mais de compétitivité il ne fut pas non plus question. Autant dire que s'agissant de la crise vue du dessus de l'emploi, le chef de l'Etat mérite bien un bonnet. Un bonnet dont la profondeur ne saurait être que E, métaphore vestimentaire oblige, le personnage n'ayant rien d'un saint (qu'on lira phonétiquement là encore, ndla), qu'on affublera donc du bonnet d'âne seulement des dirigeants européens les plus incapables de traiter face à face les difficultés colossales d'un emploi passé par dessus bord des préoccupations financières liées à la crise de la dette, en tout aveuglement économique.

Et nul ne sera dupe des mesurettes tout juste dignes d'un Premier Ministre (qui aura été malmené sans gants - l'accessoire élégant, toujours-  concernant sa méthode de réforme en 2003, mais il a l'habitude d'avaler des couleuvres, et de comporter davantage comme l'ami de son maître que comme une panthère - le souci du détail encore- face aux défis de la nation ). Mesurettes pour 430 millions d'euros malgré tout, mais dont absolument aucune ne contribue directement à traiter la question du chômage et de l'emploi, les 100 millions d'euros affectés au chômage partiel, nécessaires c'est évident, étant déjà entérinés avant le sommet. Et l'on ne parlera pas davantage, par exemple, de l'effet sur l'emploi du recrutement de 1000 collaborateurs pour Pôle Emploi (sur un effectif de 42 000), après que le même gestionnaire avisé ait supprimé 1800 emplois au sein de cette entité pour cause de crise, le solde net s'établissant donc à -800, ce qui n'échappe à personne. N'est pas Houdini qui veut. 

Où l'on voit que la panoplie de mesures s'apparente davantage à un étalage de colifichets qu'au renouvellement de la garde-robe des instruments de la politique du gouvernement en matière d'emploi. La belle aguicheuse ne trouve visiblement même plus le ressort de la simulation efficace, fanée qu'elle est par les échecs de son racolage budgétaire inefficace dont la dégradante et symbolique perte du triple A, et enlaidie qu'elle se trouve par le sinistre maquillage dégoulinant d'une convergence européenne et d'une règle d'or hier négociées elles, nécessaires en soi, mais qui ne vêtiront absolument personne en termes d'emploi, le risque étant grand pour les salariés avec et sans emploi de devoir aller "cul nu" et de "se faire rhabiller". 

A Lyon, les magistrats firent plutôt honneur à leur fonction en attribuant à un entrepreneur expert du secteur puisqu'il avait déjà dirigé La Perla, le bénéfice de la cession. Expert et familier du positionnement sur le segment de la lingerie du luxe, avenir marketing obligé auquel Lejaby est semble-t-il promis. A défaut de diffusion massive d'une lingerie bon marché faute de compétitivité, Lejaby se déclinera désormais à la façon des dessous chics chers à Gainsbourg. 

On n'aura pas mis de rubans au paquet cadeau, car c'est malgré tout dans la douleur que cette cession intervient, seuls 195 emplois sur les 450 étant sauvés dans le cadre du plan de reprise validé par le Tribunal. Largement de quoi être sans dessus dessous pour les salariés qui ont perdu leur emploi. Mais à tous le moins aura-t-on préservé une part de la pudeur et du respect de principe que l'on doit à ceux qui vivent de leur travail, qui plus est salarié. C'est à dire la très grande majorité des français, n'en déplaise à un chef de l'Etat qui voudrait que tous se transforment en chefs d'entreprise pour marché inexistant ou déprécié, rien que pour dégonfler les statistiques du chômage, précisément.

A l'Elysée, on aurait du lutter contre le chômage non pas en faisant dans la dentelle, mais en abordant le fléau à la sulfateuse, comme aurait dit Michel Audiard. On aura visiblement préféré les délices des ronds de jambes de la négociation à la puissante étreinte des options budgétaires courageuses utiles à la réduction de cette plaie de l'économie. 

Les syndicats qui n'en pensent pas moins seront restés sur leur quant à soi (qu'on lira phonétiquement, ndla).

Il est des caresses (dans le sens du poil) insupportables dans leur douceur feinte comme leur subtilité hypocrite, quand des sujets comme celui de l'emploi sont en cause. C'est le lot du désenchantement lorsque la tromperie a brisé l'indispensable unité du couple entre un peuple et son représentant ultime, a fortiori lorsque l'on doit traverser les épreuves. 

L'emploi et sa privation surtout, qui méritent mieux qu'un représentant insouciant en articles de luxe, quels qu'ils soient (et depuis le premier jour), qui se concentre sur l'accessoire là où il faudrait parler d'une efficace combinaison de moyens à la fois budgétaires, fiscaux, et administratifs. 

De se concentrer sur l'apparence, on laisse souvent les interlocuteurs et électeurs désemparés et/ou en colère. En panne, en rade, comme leur vie professionnelle et leur vie tout court.

Sans dessus dessous.


capture d'écran du site lemonde.fr




A propos de l'avenir, avec Henri Bergson


Instantané philosophique

(S'agissant d'une publication initialement réalisée sur Facebook sous la forme d'un statut, d'où l'ellipse)

(Il/Je)

Pris par les urgences de la vie, va à l'essentiel pour vous souhaiter à tous une belle et bonne journée mes amis!

Non sans penser avec Bergson, dans un superbe message plein de lucidité et d'espoir malgré et au-delà des vicissitudes de l'existence et de la marche de l'histoire, à ce temps qui nous file entre les doigts et dont le produit paradoxal nous étreint jusqu'à la plainte individuelle ou collective parfois, sans avoir le dernier mot pourtant, et c'est là toute la grandeur de notre liberté à l'oeuvre:

"L'humanité gémit, à demi écrasée sous le poids des progrès qu'elle a faits. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle."

Et si nous décidions que l'avenir, ici, maintenant, chaque jour, là où nous sommes, est réellement à nous?



capture d'écran du site cyber bougnat .net

mercredi 18 janvier 2012

Le regard visionnaire d'un géant. In memoriam Gustav Leonhardt



In memoriam Gustav Leonhardt (30/05/1928 - 16/01/2012)

Un géant discret, à la fois musicien-instrumentiste, chef et musicologue de génie à qui nous devons d'avoir non pas seulement exploré mais revisité et surtout compris de l'intérieur pour la dévoiler la musique baroque, sa logique instrumentale, ses canons d'interprétation. 

Un humaniste devenu par son immense culture l'un des piliers de notre conception musicale du baroque. Un paradoxal avant-gardiste soucieux et habité par le respect de cette période ancienne autant que de ce type d'écriture articulé sur un contrepoint exigeant et une polyphonie qu'il lisait en précurseur à partition ouverte.

Un musicien profondément ascétique et d'une rare élégance, doté d'une intelligence musicale fulgurante faite de vision de la structure comme de l'unité profonde des oeuvres (on pense par exemple à ses travaux remarquables sur l'art de la fugue; ou au défi qui consista à enregistrer, à quatre mains avec Harnoncourt, l'intégrale des cantates de Bach, le résultat étant vertigineux d'unité précisément, d'inventivité et de fidélité); de perception analytique de chaque composante, des options rythmiques à la technique instrumentale pure, du choix des instruments à la couleur des voix (qu'on se rappelle sa complicité avec Alfred Deller ou Paul Esswood, cette proximité, cette intimité, avec des contre-ténor n'ayant rien d'accidentel), de la retenue et du contrôle du son à l'expression d'une dynamique jamais forcée venue de l'intérieur, de l'équilibre des voix à la manifestation de la richesse d'une polyphonie complexe.

Ce qui nous rend le maître néerlandais si touchant et intime, c'est sans doute ce mélange d'une sobriété extrême alliée à une forte vibration intérieure, sa musique en devenant prodigieusement vivante. 

Lorsque Leonhardt joue ou dirige, un souffle passe. Et l'on s'enthousiasme (que l'on prendra au sens strict sans doute, du grec ?????s?asµ?? , inspiration ou possession par le souffle divin), à l'écoute de ce démiurge qui sculpte la matière sonore avec sobriété et élan, la forme voulue par le compositeur se re-dessinant avec pureté et dans une variété infinie.

Sans lui, la musique baroque et son interprétation ne seraient pas ce qu'elles sont, d'Harnoncourt à Kujiken, d'Herreweghe à Koopman ou Hogwood, les générations héritant sans discontinuité de ce legs musical structurant unique et définitif. 

Tous ceux qui interprètent, aiment, enseignent le baroque tournent donc la dernière page de cette partition fondatrice, l'art du baroque en musique étant néanmoins plus vivant que jamais, pour une large part grâce à Leonhardt. 

Nous devons aussi à Gustav Leonhardt une extraordinaire liberté, loin de toutes les chapelles, de tous les ghettos et de tous les dogmatismes sur le sujet. Car pour avoir toujours été ascétique dans ses interprétations, le musicien fut aussi merveilleusement lyrique (qu'on repense à sa façon si ample, si belle, de faire chanter chaque ligne à l'intérieur de la polyphonie). 

Gustav Leonhardt ou comment refuser de choisir entre rigueur et liberté, les deux étant nécessaires à l'expression du beau en musique, à l'âge baroque. 

Nous terminerons ce bref hommage avec son interprétation de la Cantate BWV 180 de Bach. 
"Schmucke dich, o liebe Seele", "Sois belle, toi, ô ma chère âme".

Une cantate dont le livret traduit cet élan de l'âme qui se fait belle, parce que désirante et aimante, pour Celui vers lequel elle va, abandonnant la noirceur de l'enfer de ce monde, et gagnant la clarté qui est son refuge et son élément ultime. 

Une intention que Bach traduit avec un lyrisme fou, le Choral introductif étant comme une vague que rien n'arrête, un souffle qui se prend et se reprend dans le mouvement sans cesse relancé de chacun des pupitres et du tutti qui le soutient et lui donne la réplique, les vents (flûte I et II; hautbois I et II) introduisant une légèreté aérienne permettant et symbolisant l'élévation. 

Un choral comme une aspiration irrépressible vers la beauté. 

Gustav Leonhardt apparaît ici tel qu'en lui-même: d'une grâce infinie, d'une subtilité sans bornes, toute technique - ô combien éprouvée pourtant dans la couleur, l'intensité, la clarté, l'équilibre, la diction - étant comme intégrée, dépassée, sublimée, de telle sorte que seule la musique demeure, le chant de cette âme éprise de Lumière nous touchant au coeur et nous emportant dans son mouvement merveilleusement élégant, divinement simple, formidablement confiant.

Une cantate BWV 180 et un Choral qui ressemblent beaucoup au maître en réalité, que nous remercions de nous avoir fait emprunter avec tant de constance, d'inspiration et d'esprit visionnaire ce si joli chemin vers la clarté d'une musique baroque lumineuse, toute son oeuvre continuant de nous éclairer. 

D'avoir éveillé et habitué notre regard à la clarté d'une musique qui se mérite, mais sans jamais aucun élitisme malgré l'immensité de votre culture,
D'avoir tracé puis ouverte la voie vers la contemplation d'un certain ordre du monde à travers une musique qui constitue à elle seule un ensemble complexe de symboles,
D'avoir fait de la revisitation du baroque un espace de conquête que nous n'avons pas fini d'explorer, vos élèves et complices directs étant eux aussi des géants,
D'avoir montré à quel point la docilité à une forme pourtant terriblement contraignante, le contrepoint, pouvait aussi inaugurer un espace de liberté et de créativité sans pareil,
D'avoir pointé les trésors pour l'avenir que sont les instruments du passé et les techniques d'exécution associées quand ils ne s'enferment pas en eux-mêmes mais portent le souffle créateur du compositeur,

D'avoir ainsi à travers tout cela et sans que le mouvement y soit limité, su élever nôtre âme et faire grandir notre écoute,

De nous avoir donné tant de bonheur musical et enseigné l'exigence libératrice qui permet d'y parvenir par nous-mêmes, la musique baroque étant autant une partie (une période, un mode) de l'art musical qu'un art de vivre et une façon d'exister et d'être présent au monde,

D'avoir fait résonner sous nos cieux à travers cette musique baroque tant aimée un autre chant du monde dont le souffle venu d'hier nous porte avec plus d'assurance et de lucidité vers demain, ce qui est la part de tous les grands fondateurs,

Merci, Maître. 


Cantate BWV 180 - Choral (Soprano, Alto, Ténor, Basse)

Schmücke dich, o liebe Seele,
Pare-toi, ô chère âme,

Laß die dunkle Sündenhöhle,
Quitte le sombre trou du péché

Komm ans helle Licht gegangen,
Viens dans la lumière éclatante,

Fange herrlich an zu prangen;
Commence à briller glorieusement ;

Denn der Herr voll Heil und Gnaden
Car le Seigneur, plein de salut et de grâce

Läßt dich itzt zu Gaste laden.
T'a convié maintenant comme invité.

Der den Himmel kann verwalten,
Lui qui peut régner sur le ciel

Will selbst Herberg in dir halten. 
Voudrait trouver sa demeure en toi.



mardi 17 janvier 2012

A propos de la Flûte enchantée par Samuel Ramey, Basse

Instant musical
(Publié initialement sur Facebook, sous la forme d'un "statut", d'où l'ellipse)

(Il/Je)

Vous invite, pour ce début de soirée, à une sublime et enchanteresse évasion musicale et mythologique.

Avec l'aria "O Isis und Osiris" extraite de "Die Zauberflöte" Acte II scène I du génial salzbourgeois. Ici dans l'interprétation de Samuel Ramey, une basse de toute beauté experte dans Mozart et Haendel, faisant par ailleurs merveille dans les rôles des méchants du répertoire dramatique.

Il déploie ici son talent avec l'Academy of St Martin in the fields sous la direction de Sir Neville Marriner. 

Ecoutez, les dieux vous parlent, sur fond de Choeur des Prêtres, Mozart entrouvrant la porte des cieux avec une grâce et une magie ineffables qui sont la marque de cette oeuvre anachronique, fantasmagorique, puissante et inspirée.

Belle soirée à vous tous!



En chemin, avec Antonio Machado


Instant philosophique

De la modestie voire de la faiblesse, mais aussi de la force en marche de l'homme qui va. 

De l'importance d'avoir la force d'y croire qui fait inventer la Voie si chère à Edgar Morin, royale ou pas (en hommage à Malraux), même lorsqu'on croit à l'impasse ou au désert et que l'on se sent perdu, individuellement ou collectivement. 

De la nécessaire humilité du marcheur, chacun de nous comme nous tous ensemble en réalité, condamné à avancer pas à pas telle est notre condition humaine, se trompant parfois mais traçant ainsi sa route, celle qui constitue une révélation de ce qu'il y avait à parcourir et dévoile ainsi le monde, les autres, et le sens. 

Un sens précisément, tout à la fois orientation et signification, la seconde étant sans aucun doute beaucoup plus importante que la première qui risque de faire manquer le véritable but à force de tenter d'imposer un terme au chemin, arbitraire par définition, l'itinéraire en lui-même étant fécond.

Et si, comme l'a dit un autre poète, Antoine Pol honoré par Brassens dans le sublime "Les passantes", autre belle histoire de pas amoureux qui se succèdent,

"Pour peu que le bonheur survienne, 
"Il est rare qu'on se souvienne,
"Des épisodes du chemin 

Alors nos pas sont aussi riches d'espérance, d'une promesse, ce bonheur là nous attendant peut-être, et c'est une disposition bien plus qu'un hasard du parcours que de savoir le rencontrer, au fil de la route que nous inventons en même temps que nous la parcourons, magnifiques démiurges de nos existences finies. 

Le mot "démiurge" appliqué à nos vies étant à prendre au sens strict, Platon ayant vu juste bien avant la formalisation existentialiste de "l'en soi" et du "pour soi", qui déambulait précisément lui aussi, lui déjà, comme son maître Socrate, la pensée et son mouvement ayant à l'évidence grandement à voir avec l'humble et sublime condition du marcheur dont la pensée va comme le corps, dans une exploration qui est invention, c'est à dire découverte. 

Existences finies mais pourtant appelées à l'universel, et en cela, à une forme d'infini, puisque "l'homme passe infiniment l'homme" comme l'a si bien saisi Pascal dans l'une de ses fulgurances métaphysiques pour lesquelles on n'a guère besoin de théologie. 

Où il ne s'agit pas de croire aveuglément à ce que pourrait être la route, comme éclairée d'en haut, pour cette raison simple et essentielle que la démarche la crée. Il faut ainsi faire descendre la transcendance sur terre, le libéralisme ayant ses vertus quand il ne parle pas que d'économie, qui pointe la puissance de la liberté humaine à l'oeuvre quand les chemins qu'elle trace, à travers les dédales ou les modestes sentiers qu'elle emprunte, deviennent de véritables voies et pourquoi pas royales.

Où l'on voit aussi la dimension centrale de la responsabilité de celui (de ceux, nous tous) qui créons, littéralement, cet itinéraire, ce qu'on l'on nomme nos "parcours de vie" et la chose n'a rien d'un hasard du langage, nos pas étant à la fois notre moteur, notre chemin, notre vérité et notre vie.

Où enfin, où d'abord, la musique de la langue de Machado, rythme et harmonie chantantes mêlées, est en soi une invitation à prendre avec enthousiasme nos bâtons de pèlerin pour aller de l'avant vers ce futur que nul n'a pensé pour nous et que nos pas enfantent, libre étant à nous de faire en sorte que la joie accompagne nos pas, y compris lorsque nos pieds nous font mal parfois d'avoir trop marché ou d'en avoir trop vu, l'horizon de la route sans cesse repoussé constituant la plus belle des vues que le regard puisse embrasser, que le soleil s'y lève ou y disparaisse, au gré des jours qui vont.

"Caminante no hay camino, se hace el camino al andar"
"Toi qui chemine, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant"

Antonio Machado

Poète auquel un autre poète, Aragon, homme de quête lui aussi, rendit ainsi ce pudique et magnifique hommage

"Machado dort à Collioure
"Trois pas suffirent hors d'Espagne
"Que le ciel pour lui se fît lourd
"Il s'assit dans cette campagne
"Et ferma les yeux pour toujours.

Bonne route et belle journée à tous!




dimanche 15 janvier 2012

Le Monde selon 007


La vie comme elle va. Le monde selon 007

(Un jour de séance ciné centrée sur les opus du célébrissime agent du MI6)

(Billet publié initialement sur Facebook, sous la forme d'un "statut", d'où l'ellipse)

(Il) 

S'il en juge par la connaissance encyclopédique de Junior sur le sujet (la matière devrait-on dire), son décodage temps réel de ce qu'il voit, son anticipation minutieuse des scènes et dialogues, 

A visiblement transmis de façon très efficace le goût comme la délectation:

de la scène d'ouverture à haute teneur en adrénaline; 

du générique conçu comme une oeuvre dans l'oeuvre; 

des musiques de John Barry et des interprétations de Shirley Bassey à Tina Turner; 

du mythique Walther PPK; 

des répliques cultes comme "Vodka Martini, shaken not stirred"; 

des Aston Martin (quelle vulgarité les Ferrari!); 

de l'humour so british; 

d'une certaine misogynie insupportable et délicieuse dès qu'on la prend au second degré, surtout quand elle est justifiée par de sculpturales plastiques et des charmes si désarmants et ensorcelants que ceux de... ("Chacun sa préférée papa"; "ça c'est sûr, fils!"), les héroïnes françaises n'ayant la plupart du temps pas du tout à rougir de figurer dans ce casting là, dont le rôle ne se limite pas nécessairement à l'exploration de la variation infinie des courbes en fonction des lumières ou des positions relatives (il faut rester décent); 

des purs produits de l'imagination technologique intarissable et pleine d'humour elle aussi de Q; 

de la suavité comme de la vibrante incarnation de ce que fantasmer veut dire si délicieusement portée par Miss Moneypenny; 

de la sublime et envoûtante froideur de M incarnée par la grandiose Judi Dench; 

des méchants plus vrais que nature quand ils sont portés par Michael Lonsdale, Gert Froebe, Christopher Walken, Telly Savalas ou Matthieu Amalric; 

de l'exploration caricaturale de la guerre froide, de son avant et/ou de son après à l'ère du pouvoir des pétroliers, des médias, ou du green business; 

de l'action conçue comme une culture cinématographique à part entière, un art dans l'art (tout le monde n'y réussit pas, y compris dans la légende);

des bonbons acidulés que sont certains opus, oubliés (ou pas du tout) dès qu'on les a consommés, mais après avoir distillé un plaisir qu'on ne cherchera pas à dissimuler;

d'une galerie de portraits dans laquelle, c'est indubitable et inévitable, Sean Connery occupe une place définitive, mais suivi de près par... ("Chacun ses héros papa"; "c'est certain, fils!"...)

de la revisitation du MI6, de la CIA, du KGB ou la DGSE , le prélude à une réflexion sur les services secrets n'ayant pas nécessairement ni restrictivement à être austère ou universitaire (il faut savoir faire feu de tout bois);

de la révision ludique des données d'un atlas géopolitique, la magie du cinéma contractant les espaces et les durées, quitte à réintroduire ensuite la nuance et les rectifications utiles; 

des effets spéciaux qui constituent eux aussi une dimension à part entière de la culture cinématographique, le numérique n'ayant pas toujours tué la magie des origines, ce qui est plutôt bien; 

du dénombrement lorsqu'il va jusqu'à 007 et au "licence to kill" qui l'accompagne, la matière n'étant pas si innocente que ça, au-delà de la réjouissante et systématique hécatombe qu'on savoure bien calé dans son fauteuil (ce n'est pas bien, mais c'est si rigolo!); 

de certains établissements dits de luxe, dans lesquels on évoluera avec bonheur le temps de la projection, et qu'au-delà il faut avoir dans son carnet d'adresse pour savoir ce que vivre avec opulence veut dire ("ma petite entreprise connait pas la crise" comme l'a chanté Bashung);

etc, etc, etc

Mais au fond, incluant et au-delà de tout ce qui précède, d'une certaine culture de l'insouciance et de l'inconsistance indispensable semble-t-il à l'équilibre général. 

Et peu importe la forme, celle-là ou une autre, le gratuit, l'inutile et l'éphémère ne pouvant pas ne pas occuper une place réelle dans nos existences. Existences visiblement plutôt masculines. Nul n'est parfait!

Vous laisse donc, puisqu'il vient d'être interpellé sans ménagement et en ces termes, pour regarder la suite de l'un des tout récents épisodes de la captivante saga:

"My name is Bond, James Bond"

Enchanté fils! 

"World is not enough"!

Si tu t'en tiens à ça, tu iras loin, en effet!

God save the Queen!








Qu'Il se taise!

(Suite à une notification du Monde indiquant que le Chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, prendrait la parole à la fin du mois de Janvier pour s'adresser aux Français. . Et moins de deux jours après la perte par la France de son Triple A, sur décision de Standard & Poor's

Et de n'avoir rien fait pour empêcher ce qui arriva, son action (sa non-action) expliquant tout au contraire une large fraction des plus récents évènements liés à la notation de la France, tout obsédé qu'il était par son petit pouvoir, tout pétrifié et jusqu'au boutiste qu'il était dans ses schémas économiques erronés et caduques, et aveugle aux réalités financières du moment, 

En ce Dimanche matin de gueule de bois, de consternation et de graves interrogations pour l'économie française,

Il parla. 

Mais c'était bien le moins. Car si rien n'était "insurmontable", comme il l'avait dit avec une légèreté stupéfiante à ce sujet, lors même que l'un de ses conseillers le pointait comme un "trésor national", tout était devenu extrêmement grave. Il ne le savait que trop bien.

Alors, encore et toujours, Il parla. 

Pour annoncer ... qu'Il allait ... parler! 

Aux Français à la fin du mois.

Parler encore et toujours.

Parler pour ne rien dire.

Parler pour tenter d'exorciser l'impuissance.

Parler pour tenter de provoquer une catharsis collective qui n'a d'autre but que d'essayer, dans un ultime spasme, dans une ultime convulsion, toutes deux répugnantes sur le plan éthique et indécentes à la République, de faire croire que le destin de la Nation ne s'écrit qu'avec lui pour les mois qui viennent encore et au-delà, dans un mortel baiser dont le venin a déjà commencé de détruire, véritable nécrose politique, tous les tissus de la Société.

Parler pour tenter de "reprendre la main", vocabulaire de "petit joueur" qui lui va si bien, mais avec notre mise collective et c'est tout le problème, en forçant le destin pour annoncer sa candidature afin de parachever dans les cinq ans à venir le désordre absolu, historique, inégalé, très durable hélas, qu'il aura concouru à introduire et ancrer. 

Parler pour invoquer sûrement la responsabilité, l'unité nationale, la nécessité de faire bloc, l'impératif se persévérer dans le chemin (l'impasse totale) politico-économique choisi et suivi depuis des années jusqu'à l'échec cuisant qu'on voit, et autres éléments d'une tentative, ratée d'avance, de culpabilisation ou d'instauration de la peur (le démagogue à l'état brut, n'est-ce pas). 

Quoi de mieux que les heures parmi les plus sombres d'une Nation en presque 70 ans, confirmée par une perte symbolique et effective capitale, pour déployer une rhétorique éculée dont on connait déjà toute la teneur et les figures, sans exception, dans une tentative de renversement qui tient plus de la partie de bonneteau politique que de la responsabilité de la chose publique? 

Nul ne sera dupe, mais une fois encore, le souffle d'un pantin auquel on aura tout juste rappelé qu'il n'avait rien du démiurge pour lequel il se prend, la belle illusion!, viendra envahir l'espace politique de son néant auto-réalisateur, comme la funeste crise européenne et nationale dont il est pour partie responsable, sa politique ayant fait le lit de la chute. On a les responsabilités de sa fonction, il ne faudrait pas l'oublier quand on s'apprête encore à prendre la parole en vain comme à briguer un second mandat.

Il faudra donc subir, en plus des conséquences économiques graves de son incurie, et jusqu'au bout, sa logorrhée inepte. Et celle de ses zélés et inconsistants porte-parole. 

C'est bien connu et c'est aussi sa fonction, la proximité des urnes délie les langues et stimule la parole politique, démocratique et républicaine (mais pas qu'elle en réalité). Jusqu'à la démagogie parfois. Souvent.

L'un de ses mérites souvent ignoré est parfois, rarement, de faire taire ce qui insulte la conscience politique, l'identité d'une nation, voire les idéaux républicains eux-mêmes.

Certains, beaucoup visiblement y compris dans son camp, ont hâte qu'ils s'en aille. Leur vote futur servant à cela.

D'avoir subi jusqu'à la lie cette apologie de la volonté réformatrice obsessionnelle ne masquant, fort mal au demeurant, que la plus totale incapacité et impuissance, les erreurs de jugement économique et financier et les contre-sens des politiques et mesures engagées ne faisant que consacrer ce fourvoiement absolu que l'on vient de payer de la première dégradation qu'on sait d'un marqueur inestimable quand on pense et vit en euro et pas en dollars, qui sera suivi bientôt d'un nouvel abaissement, la question des agences étant presque annexe tant le diagnostic qu'elles font est juste, que cela plaise ou non.

D'avoir enduré cet éloge permanent de la parole vide et inefficiente,

La France étant désormais symboliquement humiliée, économiquement diminuée (et que cessent les minimisations irresponsables de bon nombre de politiques, journalistes et commentateurs qui ne savent visiblement pas compter), politiquement fragilisée sur le plan européen, parce que financièrement dégradée.

D'avoir à payer pour longtemps désormais le prix de cet interminable, affligeant et consternant bégaiement présidentiel de cinq ans oscillant entre éructation, incantation, trahison, vile séduction, illusion, mensonge, reniement, et autres vices du discours quand il s'allie au pouvoir, 

On aura surtout hâte qu'il se taise.

Qu'Il se taise enfin.


capture d'écran du site lemonde.fr


vendredi 13 janvier 2012

Perdu!


Finances publiques temps réel (18:10)

Perdu!


(Après vérifications du Monde et sous toutes réserves)

Mise à jour 20:20: Invité du JT d'une grande chaîne TV, François Baroin confirme la dégradation de la note de la France.

Résumons-nous:

On devra donc prévoir +1% de taux à 10 ans, soit entre +2,5 et 3 milliards d'euros par an dès 2012 et environ + 15 milliards d'euros par an en 2017. 

Il va donc falloir augmenter les impôts et baisser encore les dépenses pour supporter la charge de la dette sans compromettre le respect des critères du Traité de Lisbonne et les règles du futur traité européen. Bonne année 2012, chers concitoyens.

Compte-tenu de ces données, la récente réduction de 0,2% de la dette publique totale dont le gouvernement était si fier vient d'être littéralement phagocytée par l'inévitable hausse des taux. 
Un plan de rigueur pour rien. 

Le 3ème plan de rigueur en moins d'un an devra être anticipé et intervenir "avant" la présidentielle donc. Intéressante perspective électorale.

Pour mémoire, le deuxième plan de rigueur a été mis en oeuvre pour économiser... 8 milliards d'euros. Un coup pour rien, copie à revoir. Les français apprécieront.

1% de plus en partant de 3,8% pour le taux à 10 ans, cela donne 4,8% pour le financement de la dette souveraine française. Ce qui nous met désormais en tendance comme en valeur presque sur le même plan que l'Espagne et l'Italie. Qui a du trouver 80 milliards d'euros d'économie. Bienvenue au club des mauvais élèves.

Subsidiairement, le spread avec l'Allemagne va atteindre 200 points. Un record historique et un gouffre.

L'ensemble des établissements financiers, collectivités territoriales et mécanismes européens vont être impactés. Montant total de la facture? Très difficile à chiffrer. En centaines de milliards d'euros sans doute, pour avoir un ordre de grandeur.

Le marché du crédit va s'assécher (le scénario du pire du "credit crunch"), hypothéquant très gravement la croissance et confirmant le scénario d'une hyper-récession, la récession étant déjà avérée.
On voit l'impact général sur les fondamentaux de l'économie nationale.

Durée estimée pour sortir de ce très mauvais pas, à supposer que les budgets successifs le permettent? On comptera en années.

Toute la zone euro va être impactée, et donc la future construction fédérale, la France ne pouvant plus abonder au même taux dans les mécanismes régulateurs (MES). 

Un scénario de crise géopolitique s'ouvre donc, l'Allemagne (épargnée, comme la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg) ne voulant certainement pas être entraînée dans la tourmente financière qui frappe la France et l'Autriche. 

Petite consolation: l'euro va s'effondrer par rapport au dollar (c'est déjà fait en temps réel). Ce qui nous rendra plus compétitifs mais va renchérir notre facture énergétique. Nous serons donc perdants au regard des volumes et de la balance. Nos amis européens vont adorer, qui vont être touchés eux aussi.

Corrélativement: les marchés ont déjà intégré la perte du triple A pour environ 0,2 à 0,5%. D'où le taux à 10 ans actuel, très élevé. La pression des taux va donc se confirmer jusqu'au point précédemment évoqué.


Pour mémoire:

" Si elles (les agences, ndla) devaient nous le (le triple A, ndla) retirer, nous affronterions cette situation avec sang-froid. Ce serait une difficulté de plus, mais pas insurmontable" Nicolas Sarkozy. Décembre 2011.

"La perte éventuelle de la note AAA de la France ne serait pas cataclysmique" Alain Juppé - Décembre 2011

"Pas insurmontable", certes. 
Mais il va bien falloir trouver les dizaines de milliards supplémentaires qui viennent de plomber nos finances publiques en raison de la mauvaise conduite du budget de l'Etat. 

Vu de l'Elysée ou de Bercy, ou du budget des ménages, de celui des Entreprises ou des Collectivités Territoriales, l'analyse ne va certainement pas être la même.
Il va en falloir du sang-froid et de la chair à dette fraîche, pour compenser cette perte, Monsieur le Candidat-Président.

Accessoirement: vous vous êtes présenté comme un "bon gestionnaire", n'est-ce pas? Euh....


"Pas un cataclysme", c'est déjà beaucoup plus hypothétique. 
Tant financièrement, qu'économiquement, que socialement, que politiquement, que du point de vue de la construction européenne.

Tout le monde n'est pas les Etats-Unis, Messieurs.

Ah, Ah, Ah... 

Glurps!


PS 
Nous étions... Vendredi 13 n'est-ce pas? Comme on a de l'humour chez S & P!

Pour le temps réel sur la perte par la France de son triple A, animé par Françoise Fressoz, spécialiste des finances publiques (et très pertinente dans cet exercice), c'est par ici:





Sang pour cent

Ou cent pour sang, comme on voudra.

Nous y sommes parvenus, à ce seuil symbolique des "cent" jours avant le premier tour de l'élection reine de la Vème République. 

Là où certains disent "déjà", il faudrait sans doute ajouter "enfin", tant la clarté, la dignité, la hauteur, mais aussi l'adéquation intrinsèque et chronologique, la faisabilité, la pertinence des solutions, sont quasi absents (qu'on lira phonétiquement) du débat d'une non campagne déjà entamée. Ce qui n'est nullement original, tout en étant profondément ulcérant tant les enjeux économiques, politiques, sociaux, géostratégiques, sont capitaux. Plus que cent jours d'une chronique de la démagogie et de la haine politique ordinaires en période électorale, donc. 

"Enfin" cent jours, tant l'action de l'exécutif, aux abonnés absents lui aussi, lui d'abord, sur les sujets capitaux de politique économique depuis près de cinq ans, laisse une France exsangue, économiquement et financièrement asphyxiée, avec un record historique de dette publique à 1600 milliards d'euros augmentée de plus de 30% par rapport au début du mandat (il fallait agir avant si on l'avait vu, et non pas au second semestre 2011, presque au bout du mandat, en invoquant de façon démagogique un "héritage" et "la crise". Car alors, à quoi sert-il d'élire un chef de l'Etat, justement?); un financement de la dette au plus haut historique à 3,8% à 10 ans soit le double du taux supporté par l'Allemagne avec laquelle le spread ne cesse de se creuser; avec un ressort de croissance littéralement cassé puisque l'économie est entrée en récession au dernier Trimestre 2011, situation dans laquelle l'OCDE a prévu le maintien durant encore deux trimestres en 2012; une industrie dévastée avec un recul de 25% de la part de sa valeur ajoutée dans le PIB pour atteindre le record historiquement bas de 14%; une compétitivité effondrée puissamment illustrée par un déficit de la balance des paiements ressortant à 71,6 milliards d'euros pour 2011; un chômage à 9,8% promis au record de 10,2% début 2012; une baisse de près de 14% de la durée du travail à temps plein sur la période 1999/2010 soit plus du double de ce que l'INSEE prétend à 5,2% (source Rexecode)- on est très loin des présidentielles et démagogiques incantations de 2007 "travailler plus pour gagner plus", n'est-ce pas?; un plongeon inégalé des perspectives d'investissement des entreprises en 2012 pour 4% (contre les 14% envisagées en 2011) et de consommation des ménages. Etc, etc, etc.

Le tableau clinique de l'économie nationale le pire qu'on ait jamais dressé depuis la seconde guerre mondiale, y compris en tenant compte de la crise de 1973 et de ses répliques. Une économie hantée par le spectre de l'hyper-récession, tous les paramètres économiques sans exception étant réunis.

Une économie nationale à feu et à sang.

Une exception française, quand on compare avec nos voisins et amis européens, l'Italie et l'Allemagne notamment nous donnant aujourd'hui, à juste titre même si ce n'est pas toujours pour de bonnes raisons, des leçons à la fois de bonne gestion des finances publiques comme de réflexion et de travail à la restauration de la croissance (L'Italie de Mario Monti, en situation de crise elle aussi, étant sur ce point exemplaire. Ce que l'on méditera). 

Un tableau qui justifie incontestablement que l'on se fasse beaucoup de mauvais sang pour la nation française, dès lors qu'on échappe, réalisme oblige, à la coutumière béatitude électorale de ceux qui, candidats, nous promettent tour à tour ou tout à la fois, une élimination gratuite de notre pilosité faciale, des lendemains qui chantent, le tout à la place du rien, le mouvement à la place de la gesticulatrice inertie, la liquidité à la place de l'austérité, l'égalité après la destruction de son idée, et autres billevesées qui n'engagent que ceux qui y croient, là où les citoyens savent bien que le sang va couler, la seule question étant de savoir pour quel avenir, au-delà des sombres heures du moment (et pour un moment encore).

Il reste donc au sortant cent jours, pour tenter de démontrer que cet état de la France ne lui est pas imputable; que demain il fera tout ce qu'il a dit et oublié dès le lendemain de son élection en 2007 ou presque, découvrant (ou faisant mine de découvrir, le résultat étant le même) la réalité du pouvoir et du contexte; que la confiance (si possible aveugle, néo-despotisme incarné dans une hyper-présidence forçant le trait si français de la constitution de la Vème République oblige) en l'esprit de responsabilité qui l'anime est la seule option possible, qui lui fait promettre, mais sans le dire vraiment, du sang et des larmes en proportion plus importante encore, les plans de rigueur s'empilant sur les plans de rigueur, le prochain, déjà programmé mais soigneusement tu (la supercherie électorale, toujours), devant intervenir dès le lendemain de l'élection, si elle lui est favorable (François Fillon ayant déjà validé cette hypothèse). 

A ceci près que le champ de bataille économique sur lequel ce sang sera inévitablement versé par les français, quel que soit le futur Président, ressemble davantage, dans le modèle (?) proposé par le sortant, à une campagne de Russie qu'à une marche libératrice. 
Tant qu'on ne touche pas aux fondamentaux économiques et que la restauration opératoire c'est à dire formellement budgétée (par opposition à "incantatoire") de la croissance associée à un effort de justice, de répartition équilibrée et équitable des sacrifices (au regard desquelles la "TVA sociale" envisagée, par exemple, pour être en soi une mesure possible, ne sera en définitive qu'un instrument inégalitaire de plus), et de maintien de la protection sociale pour les plus exposés n'est pas une priorité absolue (toutes choses intégrées par Mario Monti, déjà nommé, dont on devrait largement s'inspirer de ce côté-ci des Alpes), la spirale économique et financière descendante ne peut pas être enrayée. 

Or ce n'est pas le discours du sortant et de ses porte-parole. Le sang va donc couler à flots. En l'espèce, le sang qui abreuve les sillons de notre récession économique est des plus pur: il s'agit de celui des citoyens français. Ce qui nourrit la sordide rhétorique politique de qui l'on sait.

Cent jours pour tenter de faire oublier que si le monde est à feu et à sang ce n'est pas d'abord en raison des légitimes aspirations des peuples à la liberté et des confrontations sanglantes que cela occasionne la plupart du temps au Proche ou au Moyen-Orient, ou en Afrique, mais parce qu'une économie financière entièrement dérégulée a mis les économies nationales à sac, malgré le caractère soi-disant protecteur d'une zone euro elle aussi au bord du gouffre à cause du financement non contrôlé des dettes souveraines, sans qu'on n'ait rien fait qui fut à la hauteur du problème, de BCE irresponsable parce qu'obsédée par l'inflation (inexistante) en FESF mort-né parce que sous-capitalisé (On se sera trompé d'environ 3000 milliards d'euros sur les besoins court-terme de la force de frappe. Une bagatelle.), ou de MSE pas encore né et déjà sous-doté en BCE désormais omnipotente aux missions élargies mais hors tout contrôle démocratique et tout gouvernement économique de l'Europe. 

Une construction presque cent pour cent hors sujet au regard des besoins financiers et du risque immédiat associé (10 000 milliards de dettes souveraines européennes consolidées), mais aussi du sens de la construction européenne (par "Traité" et non pas par "Constitution", ce qui sape a priori la pourtant indispensable légitimité démocratique de cette construction). On voit mal comment les cent jours qui viennent pourraient infléchir le sens de cette construction européenne là. Elle se fera, donc. Y compris si le principal rival actuel du sortant l'emporte. Mais il serait urgentissime de ré-infléchir et re-pondérer les priorités comme le fonctionnement de cette Europe fédérale en marche qui demeure une bonne chose à supposer qu'on ne persiste pas dans les travers monétaristes et démocratiquement confiscatoires hérités du Traité de Maastricht. Or là, rien n'est moins sûr.

Le congrès de Vienne avait permis de sortir de la folie meurtrière d'empires qui se déchiraient. Le sang versé était alors réel. Une nouvelle Europe en était progressivement sortie, même avec de cruelles rechutes. 

On nous présente aujourd'hui le futur Traité européen comme "la" réponse, fédérale, à la crise européenne qui frappe des Etats rendus solidaires jusqu'à la chute non pas tant par la force de leur adhésion à des ambitions économiques constructives communes que par la contrainte des dettes souveraines dont le financement mine les fondements mêmes de chaque Etat pris isolément et de tous les Etats devenus interdépendants par les Traités déjà mis en oeuvre, ce qui est la définition d'un risque systémique.

Cette Europe là est indispensable. Mais elle présente le double handicap de se faire à contre-temps (en phase de récession et d'endettement maximal), et sans accentuation suffisante du nouvel ordre économique régulé (Il n'y a aucune gouvernance véritable. Qu'on juge par exemple et de façon symbolique, l'écho de l'initiative française isolée en matière de taxe sur les transactions) et tourné vers la croissance (il n'y a aucun budget de croissance ou ratio pertinent applicable à des priorités économiques et budgétaires relevant d'une manière directe de la création de richesse par investissement public). 

Le sang européen va donc couler, nous nous répétons, pour des motifs économiques cette fois. Cent jours ou pas. Election présidentielle française ou pas. Cent jours ne changeront rien à l'affaire. La seule question étant de savoir pour quelle ambition européenne commune réellement profitable aux peuples européens eux-mêmes, et non pas aux financiers spéculant sur les dettes souveraines jusqu'à la contradiction absolue, tuer la poule aux oeufs d'or étant le risque actuel et avéré pour ceux-là. 

C'est dire si l'Europe devrait constituer un enjeu électoral majeur des cent jours qui viennent. 

Au vu des faits, des enjeux et des contraintes, il y a à l'évidence de quoi se faire un sang d'encre sur l'ensemble de ces sujets, explosifs, la bombe étant déjà armée. Et si certains, quel que soit le bord,  exploitent démagogiquement ces cent jours en oubliant qu'un compte à rebours économique et financier est bel et bien lancé, lui, qui se moque du calendrier électoral lui, et qui porte sur l'explosion ou pas de la zone euro et l'entrée ou non en hyper-récession de l'économie nationale et européenne, leur responsabilité sera grande.

D'autres spéculent déjà, gratifiés de 21,5% d'intentions de vote au premier tour selon les tous derniers sondages. Dont le message simpliste, économiquement débilitant et irresponsable et historiquement à contre-sens, s'écrit en noir, bien sûr. Celui des chemises qui ne sont pas que de papier et que l'on voudrait pouvoir froisser pour ne plus les voir. 

Mais on a les politiques qu'on mérite, le sortant portant une responsabilité considérable dans l'excellente santé politique de cette funeste composante au demeurant démocratique, qui aura précarisé à l'extrême une certaine fraction de la population constitutive de l'électorat populaire, détruit ses légitimes attentes à l'égard d'une certaine justice sociale et d'un certain ordre public (malgré les rodomontades des gris et sinistres ministres de l'intérieur successifs), et accrédité l'idée selon laquelle l'Europe n'est qu'un machin coûteux, inutile, anti-souverain, anti-républicain, non démocratique, qui ne protège de rien et qui expose à tout. Ce qui est faux, la contre-démonstration étant toutefois compliquée non pas sur le plan théorique (comme c'est aisé en réalité), mais à vue réduite et tout aussi légitime sur le fond, d'un français qui considère sa relation à l'emploi ou à l'entreprise, son pouvoir d'achat, ses conditions de vie, sa capacité d'épargne, sa protection sociale, le parcours de ses enfants, bref, tout ce qui fait le quotidien des citoyens. Ce dont on devrait aussi parler de façon plus privilégiée pendant les cent jours qui s'ouvrent, précisément.


Les marges de nanoeuvre économiques sont tellement réduites que l'on pourrait penser, faute de regarder de près, que celui-ci ou celui-là, c'est blanc bonnet et bonnet blanc, sorte de "50 -50  pour cent" électoral qu'on voudrait se partager en face à face au second tour. Il ne faudra pas oublier, c'est évident, faute de voir l'histoire se reproduire, un certain 21 Avril. Qui fut incontestablement un "jour sans" pour la République française. La faute n'en revenant toutefois pas au bénéficiaire.

Les candidats ont donc cent jours pour, faute d'avoir le pouvoir d'éviter le sang et les larmes largement évoqués, ce qui est impossible, tracer des perspectives responsables de conduite des affaires de l'Etat dans le respect des valeurs qui fondent la République et l'Europe dans ce qu'elle a d'essentiel. Des valeurs aujourd'hui gravement menacées pour les raisons explorées ici sur le plan économique et financier. Ce qui est loin d'être simple. Ce qui ne pourra pas être réalisé à cent pour cent. Raison de plus pour être rigoureux, mesuré et honnête dans les promesses autant qu'ambitieux dans les objectifs. D'autres le font à côté de nous. Avec succès qui plus est. La chose est donc possible, la crise ne pouvant pas être invoquée comme un motif d'échec ou d'irresponsabilité. Le sortant aurait du l'apprendre sous peine d'incarner définitivement une vivante contradiction politique, le processus étant déjà largement amorcé.

On évitera ainsi de perdre son temps et son énergie pendant les cent jours en question, et de ruiner un peu plus la parole du politique déjà plus que largement discréditée. Et pour cause.

Et l'on fera peut-être ainsi en sorte que, quel que soit le vainqueur, le 22 avril et le 6 Mai 2012 soient davantage des jours "avec" que des jours "sans".  D'être sans cesse exposée à la vue du sang des victimes de la crise économique, la République et la Nation en ont cruellement  besoin.

Sans ironie, ni naïveté.

Enfin, il va de soi que pour disposer encore de cent jours avant, les candidats ne peuvent pas ne pas être conscients que la notion "d'état de grâce" de cent jours là encore est désormais caduque. A l'heure de la finance dérégulée, à qui la faute?, le prochain n'aura que 24 ou 48 heures pour agir. C'est ce qu'ont désormais les "managers de la chose économique et politique" et non plus les légitimes dépositaires de la responsabilité de la "res publica". On le déplorera, certes, mais il fallait y penser en engageant l'économie mondiale dans le champ de l'ultra libéralisme. Désormais, faire marche arrière sera extrêmement difficile, sinon impossible, et réclamera beaucoup de courage et de détermination sur le volet gouvernance. Dont on parle peu; et sur quoi on ne fait presque rien.
24 ou 48 heures donc, soit très exactement ce qu'ont eu les nouveaux premiers ministres grec ou italien pour rassurer les marchés lors de leur prise de fonction.

C'est dire si la légitimité démocratique et la notion de souveraineté sont comme gommées dans le système économique actuel, qui ont elles aussi sérieusement besoin d'être réaffirmées, et pourquoi pas à l'occasion de l'élection clé qui s'annonce.

Mais pour cela, il faut être crédible. Et au-delà de cent jours.

Sang rire.