dimanche 6 mars 2011

Lybie: Le Philosophe et le Diplomate

Après l'Egypte et suite aux mouvements insurrectionnels sur le pourtour de la Méditerranée, Bernard-Henry Levy s'est rendu en Lybie. L'occasion de revenir sur le Philosophe et son engagement: La philosophie et l'art de la guerre. L'occasion aussi de réfléchir sur le Philosophe et le Diplomate, puisque dans le même temps, Alain Juppé s'est rendu en Egypte.


Je savais que BHL était parti en Egypte la semaine passée. Je voulais voir ce qu'il avait tiré de ce voyage. J'ai donc cherché. Surprises et réflexions:

1) Le blog de BHL est à la fois classique et agréable. Bien. Mais surtout, il est très largement nourri. Pas un blog vitrine ou alibi. Pas un blog com. Non, un vrai contenu nous est proposé.



2) Le titre du Blog. Il m'a à la fois surpris et pas du tout: " L'art de la philosophie ne vaut que s'il est un art de la guerre". C'est ce que j'ai toujours pensé. Foin du philosophe au-dessus de la mêlée. Le philosophe est dans la cité. Il doit retrousser ses manches, et penser le monde qui s'offre à lui ici et maintenant. La praxis. Et dans notre monde, cette praxis est inévitablement exprimée dans le cadre du conflit. Donc le philosophe est en guerre. Non pas tant "contre" que "pour". Pour qu'advienne un monde plus humain. Et c'est chose trop sérieuse pour devoir être abandonnée aux seuls politiques ou aux seuls économistes.
En outre, la complexité du monde est telle qu'il faut constamment non pas seulement exercer une veille pour constater; mais affûter sa réflexion pour comprendre, décoder, décrypter, et proposer. Penser le monde pour aider à le changer. Or le temps présent, avec le printemps arabe change à une vitesse vertigineuse. Donc BHL est bien à sa place de philosophe.
La diplomatie française réagit avec des semaines de retard. La diplomatie européenne est inexistante et se retranche derrière la non ingérence (il nous faudra revenir sur ce fameux "droit d'ingérence"). La diplomatie américaine semble quelque peu embarrassée, même si elle adhère sans réserves, et ce fut la première, au vent de liberté et aux aspirations démocratiques des peuples arabes. Il est bien qu'un philosophe soit au coeur des soulèvements pour les penser, et nous donner à les comprendre et à les concevoir. Et pour donner aux politiques eux-mêmes des clés pour savoir comment agir là où leur impuissance justifiée par les règles d'un droit qui ne sert plus l'homme, est navrante, confondante.

3) Je cherche BHL sur Twitter et, nouvelle surprise, je m'aperçois que le philosophe utilise efficacement les outils du web 2.0. Je "follow", et dans la 1/2 heure, en ce Dimanche 6 Mars, je reçois un lien vers son article du jour sur la Lybie.



Déjà? Evident. Il va de pays en pays, sur les traces de ces hommes et femmes épris de liberté, las de la pauvreté, de la misère et de l'oppression. De ces hommes et femmes prêts à tout, aujourd'hui, pour secouer le joug qui pèse sur eux depuis si longtemps. Quand bien même on donne l'armée. Quand bien même on tire sur la foule, comme en Libye, avec des avions de chasse. 



L'analyse est lumineuse. Où l'on découvre ce qu'aucun média, télévisé, écrit, web, ne dévoile avec précision, à savoir les attentes réelles de ces peuples à notre égard. Il suffisait de savoir poser la question. Non pas de se demander s'il faut intervenir militairement ou non, comme le font, d'avance paralysés, les Etats membres de Nations Unies. Non, beaucoup plus simplement et efficacement, de demander à ceux qui ont su par eux mêmes engager leur propre libération, ce en quoi on pouvait agir.

Le travail d'analyse est remarquable. Ces attentes sont précises, très facilement accessibles: exercer un contrôle aérien pour éviter que la chasse ne décime à nouveau les foules, les chars et l'artillerie étant visiblement bien à la peine (cf les désertions; cf la désorganisation du commandement); organiser un brouillage des communications pour que les forces militaires deviennent définitivement inopérantes (Kadhafi aura bien su faire tomber l'internet en 1 journée; il devrait être aisé d'organiser un brouillage des télécoms, de toutes les télécoms. Plus de radars, plus de guidage des missiles, plus de guidage des avions); ne plus alimenter les villes qui n'en ont pas besoin mais celles, plus reculées, qui vont très vite souffrir du manque. Laisser les libyens continuer, comme ils l'ont fait, de neutraliser aéroports et autres lieux stratégiques avec des moyens de fortune, mais la redoutable efficacité que leur donne le goût de la démocratie. Etc.
Bref. Les solutions sont là. Les chancelleries et ministères de la défense occidentaux n'auraient somme toute que bien peu de chose à faire. On est bien loin ici d'une quelconque planification d'intervention militaire au demeurant inutile et qui conduirait à un fiasco (BHL cite inévitablement l'Iraq).

Le philosophe en guerre fait son travail. Que font les chancelleries?

Décalage
Peu après, je relis les infos de la veille. Alain Juppé, récent Ministre des Affaires Etrangères, effectue un voyage en Egypte afin de "redorer le blason de la diplomatie française". 
Oui, c'est exactement cela. Un philosophe va sur le terrain, rencontre les acteurs de ces révoltes, décode en deux jours leurs besoins et attentes, propose un plan d'action immédiatement accessible. Rend compte publiquement de tout cela. Just do it diraient les américains.Il n'y a qu'à faire.

Et dans le même temps, le chef de la diplomatie française pense à l'image de marque du corps diplomatique. Certes cette image a été durement altérée par la récente éviction de Michèle Alliot-Marie en raison des conflits d'intérêt réels ou supposés entre sa fonction et ses relations privées avec l'ex président ben Ali; par les saillies de M Boillon, ambassadeur de France en Tunisie; par le surgissement d'une guerre ouverte entre les diplomates français par le truchement de groupes qui s'expriment dans les colonnes de journaux. 

Mais l'heure est à utiliser tous les moyens pour accompagner ces peuples dans leur soulèvement, dans leur révolution, dans leur marche vers la démocratie. et pas d'abord à se préoccuper de savoir quelle image la diplomatie donne d'elle-même. Cruel décalage. Indécent.


Ils ont des yeux mais ils ne voient pas. Ils ont des oreilles, mais ils n'entendent pas. Difficile pourtant de ne pas entendre ce cri qui monte sur tout le pourtour de la Méditerranée et qui crie liberté. Difficile de ne pas voir que les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Yéménites se sont affranchis jusqu'ici et en quelques semaines d'un joug multicentenaire, quelles qu'aient été les identités de leurs tyrans ou despotes. 

Et l'on aura beau jeu, en ne faisant rien de ce qui est attendu, si ces mouvements de libération devaient ici ou là être récupérés par quelque fondamentalisme que ce soit, de dire que ce n'est pas la démocratie qui était en marche, mais un Islam guerrier. Ce qui est absolument faux. On aura beau jeu, si ici ou là un nouvel ordre militaire s'impose, de dire que ces peuples sont inaptes à la liberté, dans une rhétorique post coloniale tout aussi rétrograde que vide de sens, incarnation d'un pouvoir politique occidental incapable de penser l'Histoire qui se fait sous ses yeux. Incapable de soutenir efficacement l'action de ceux qui écrivent leur Histoire avec courage et détermination.

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