LE MONDE EST TROP VASTE POUR SE LIMITER A UN SEUL CENTRE D'INTERET
Histoire, politique, économie, culture, philosophie, art, littérature, société, sciences, web, entreprise, médias sociaux, stratégie, prospective, high-tech
Aujourd'hui, j'ai croisé par deux fois le spectre d'Hitler.
Le spectre d'Hitler et la publicité
La première fois, c'était en regardant l'image d'une nouvelle campagne publicitaire inscrite dans un plan de communication en santé publique, destinée à sensibiliser aux dégâts occasionnés par la conduite en état d'ébriété. Le message "Conduire en état d'ivresse vous fait perdre tout respect de la vie"
L'image, la voici.
Invoquer Hitler et même le mettre en situation pour faire passer un message sur le respect de la vie au volant et dénoncer la conduite en état d'ébriété, est-ce une bonne idée?
La question n'est pas de savoir s'il faut faire "choc" pour être efficace. Les campagnes de prévention et d'éducation en matière d'utilisation de la ceinture de sécurité, d'alcool au volant, d'utilisation des mobiles pour envoyer des texto, ont largement démontré qu'il fallait ne pas donner dans la suggestion, le message soft voire subliminal, pour atteindre l'objectif escompté. Dont acte donc, en matière de prévention et d'éducation, il faut montrer. Et surtout ne pas oublier de verbaliser après, pour se réapproprier les images, ne pas les laisser dans le champ des impressions mais les faire entrer dans le champ de la conscience.
Voir l'image d'un chauffard ivre grimé en Hitler renvoyée par un rétroviseur a-t-il des vertus pédagogiques? D'emblée, on ne lit pas le message. Il faut scruter la page pour cela. On ne prête pas plus attention aux traces lumineuses. On ne voit que le visage de cet individu, affublé d'une moustache de sinistre mémoire, paupières tenant difficilement ouvertes, le regard a moitié perdu, dont le champ de vision n'embrasse plus que les images floues d'une réalité qui n'est plus qu'un brouillard. C'est à peine si l'on prête attention à la vitesse affichée: 180 km/h. Le regard est aimanté par le visage... d'Hitler.
Si ça s'arrêtait là, ça ne serait simplement qu'une publicité ratée de plus. Non, ce qui fait question au fond, c'est le message. "Conduire en état d'ivresse vous fait perdre tout respect de la vie". Ce qui est insupportable, indécent, obscène ici, c'est de voir la shoah instrumentalisée et banalisée comme un simple manquement "au respect de la vie". Où l'on voit en outre que cette campagne est ratée, puisque l'image ne parle pas seule. Il faut avoir lu le texte pour établir le lien entre le visage d'Hitler et ce qui est en cause: le respect de la vie.
Obscène et ratée.
On peut n'être en rien publiphobe et ne pas s'empêcher de voir ici un dérive alarmante d'une certaine créativité publicitaire qui, dans un chaos intellectuel effrayant et sans aucune perception, même minimale, de la hiérarchie des valeurs les plus fondamentales, tente de choquer par tous les moyens. Quintessence de la stupidité et de l'indécence.
Et Desproges de me revenir à l'esprit: "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui". Ainsi, peut-on communiquer sur tout, mais pas en faisant n'importe quoi. Et qu'on ne nous accuse pas d'une nostalgie de je ne sais quel ordre moral. Instrumentaliser Auschwitz pour vendre de la prévention, voilà qui est au-delà de l'immoral. Inqualifiable.
Pour une publicité aux vertus sensément pédagogiques, on se dit qu'il faut commencer, de toute urgence, par éduquer les éducateurs! A défaut de vertus pédagogiques, cette publicité illustre au moins une attitude démagogique, vilement racoleuse et récupératrice. Espérons que cette campagne sera un flop, ce que l'analyse du visuel ne manque pas d'annoncer.
Tout le monde n'a pas le talent et la pertinence de Chaplin....
Le spectre d'Hitler et la Réforme de la psychiatrie
Le 22 Mars 2011, les députés ont adopté en première lecture un texte portant réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement.
La mise en perspective historique, philosophique, psychiatrique de l'analyse de Prieur est très pertinente, je vous conseille donc la lecture intégrale du billet.
Pour en reprendre les articulations majeures:
Durcissement des conditions d'internement d'office; traitement de type carcéral et non plus médical; mesures liberticides; création d'un véritable casier psychiatrique; durcissement des conditions de sortie... et tout cela sans aucun moyen nouveau. Le retour du sécuritaire dans toute son horreur. La négation de plusieurs décades d'efforts et même davantage pour considérer "le fou" non comme inhumain ou criminel mais comme un malade qui a besoin de soins et qui devra retourner à la vie normale. D'un mot: "le retour du refoulé asilaire".
Ce qui m'a amené pour la 2ème fois ce jour, à retrouver le spectre d'Hitler.
Car cette réforme a des relents bien singuliers qui nous rappellent de sinistres pratiques dont l'histoire atteste la réalité.
Le 1er Décembre 1939, Hitler avait signé un décret autorisant l'euthanasie (la déportation puis le gazage) des malades mentaux après avoir commencé par prononcer leur internement. 70 000 malades mentaux avaient alors été gazés entre Octobre 1939 et Août 1941. Des voix et des protestations s'étaient alors élevées, après un sermon prononcé par l'évêque de Munster. L'extermination cessa officiellement le 24 Août 1941. Mais 30 000 malades mentaux furent encore exterminés dans les camps avant la fin de la guerre.
La problématique du 3ème Reich était de parvenir à la "race pure", nettoyée de ses "scories" et de ses "cafards". "Poids morts", "fardeaux vivants", "enveloppes humaines vides", "existences superflues". Telle était la rhétorique pour justifier cette action inhumaine.
Le premier acte, comme à l'accoutumée, étant le recensement. Un acte administratif. Le décret? Un acte de l'exécutif n'ayant fait l'objet d'aucune intervention du législatif. L'idéologie: la race pure. La rhétorique: stigmatisation, désignation de boucs émissaires.
Certes, la politique menée par le gouvernement et sa majorité ne saurait conduire à cette forme ultime de la négation de la maladie mentale comme pathologie qui se traduit par la négation physique pure et simple, l'extermination tout court des malades mentaux. Notre République a posé quelques garde-fous.
Mais la méthode est bien voisine. La rhétorique quant à elle s'appuie sur les mêmes principes. Quant à l'idéologie qui sous-tend cette politique, dans sa dimension quasi uniquement sécuritaire, elle est profondément perverse.
Sortir d'une vision du "fou" conçu comme "l'aliéné" relevant du seul "internement" avait pris des décades. Stigmatiser les malades mentaux au nom de faits divers, au demeurant extrêmement douloureux pour les familles des victimes et de la conscience collective (les homicides de Pau et Grenoble en 2004 et 2008), revenait une fois de plus à désigner des boucs émissaires. Et légitimer une formidable régression sociale et médicale.
Cette régression s'est accompagnée de choix économiques ramenant les malades mentaux dans le champ de l'aliénation: les 70 millions d'Euros consacrés à la sécurisation et non au traitement adapté ou à la prise en charge efficace. Accompagnée de moyens de suivi.
Utiliser des circulaires à caractère administratif à l'adresse des préfets, comme celle du 11 Janvier 2010 pour s'assurer de la "compatibilitéde la mesure de sortie avec les impératifs d'ordre et de sécurité publics" et renforcer le dispositif en requérant l'avis "des services de police ou de gendarmerie" pour étayer la décision des préfets, revient à préempter le médical par l'administratif. Tout en neutralisant potentiellement le judiciaire. A l'heure où l'on ne cesse de s'en remettre en quasiment toute chose aux experts, les psychiatres ne sont-ils pas précisément les experts qualifiés pour apprécier la dangerosité d'un patient? Une saine logique eut voulu qu'on s'attachât d'abord à l'avis médical puis à l'avis administratif. Ici, renversement des choses: tout ce passe comme si les psychiatres n'avaient quasiment plus qu'une voix consultative, face à une voix décisionnaire qui est celle de l'administration.
L'attention accordée à la parole des psychiatres, des malades, des patients? Inexistante. Puisque tamisée par le filtre sécuritaire et la nécessité de donner le change à l'opinion par une démonstration de force. Une démarche purement politique qui ne tient aucun compte de l'expertise pourtant indispensable, pas plus que des acquis de l'expérience.
Les conditions de vie des malades? Retour à l'univers carcéral. Avec privation d'aller et venir à la clé au sein de l'univers hospitalier. Privatives de liberté donc, y compris pour ceux hospitalisés de leur plein gré. Un amalgame sans non. Faudra-t-il rappeler que le malade mental n'est pas a priori un danger pour lui et pour les autres, justifiant qu'on le prive a priori de ses droits fondamentaux, ce qui revient à le considérer a priori comme un délinquant ou criminel "en puissance", et ce sans justification possible?
Pire, la mise en place d'un "fichier des antécédents médicaux des malades". Comme le disent les psychiatres, un véritable "casier psychiatrique". Dont il restera à suivre de très très près les modalités d'accès. Il suffirait que l'on accordât à l'administration ou aux autorités de police le libre accès à ce fichier pour que non seulement la loi, mais aussi le secret médical soient mis à mal. Établir un fichier est chose aisée. En contrôler l'utilisation est autrement plus délicat. La CNIL commençant visiblement à peiner tant elle est sollicitée en la matière, surprenant parfois par certains silences ou certaines prises de parole tardives.
cc Ouest France
Résumons-nous:
Énoncer a priori que les malades mentaux sont un danger pour eux mêmes et pour la société relève de l'idéologie. Non de la science et encore moins des données d'expérience, quel que soit le caractère douloureux de certains évènements isolés survenus par le passé. C'est ainsi que l'on avait procédé dans l'Allemagne de 1939 en estimant que les malades mentaux n'étaient pas conformes à la nature de la race allemande.
Stigmatiser une population, celle des malades mentaux, pour donner le change à une opinion inquiète et fragilisée, relève de la rhétorique politique. Ce qui s'appelait en 1939 de la propagande. Pas du discours raisonnable que l'on devrait tenir dans une démocratie adulte, qui plus est dans le cadre d'une concertation au demeurant inexistante.
Ne pas tenir compte de l'expertise des acteurs (médecins psychiatres, infirmier(e)s spécialisés en psychiatrie, patients, familles), mais préempter cette expertise par une approche administrative, y compris dans la décision de mettre fin ou non à une hospitalisation forcée (sans consentement), c'est courir le risque d'entrer dans l'arbitraire policier et sécuritaire. Dont l'issue est inévitablement le maintien a minima préventif de l'hospitalisation, en raison même de l'idéologie qui sous-tend la procédure. Or lorsque l'administratif et le policier préemptent le médical, naît un véritable danger démocratique. Comme celui qui s'est manifesté dans l'Allemagne de 1939.
Sismothérapie (utilisation d'électrochocs) cc Vol au dessus d'un nid de Coucou
Etablir des fichiers portant sur les antécédents médicaux des malades, revient à substituer à une logique médicale de suivi, une logique administrative et policière de contrôle, et donc à criminaliser a priori le suivi des malades mentaux. sans que l'encadrement de la consultation ait été pensé. En 1939, on désignait ce type de procédé du nom de recensement, aux fins que l'on connaît.
La psychiatrie moderne a sans nul doute besoin de moyens, de structures, de relais pour mieux accueillir, soigner, suivre, accompagner, permettre la réintégration/réinsertion. Elle n'a pas besoin de censeur, mais d'aides. Penser la maladie mentale uniquement en termes de menace pour la société, c'est revenir à une conception du malade mental défini comme l'aliéné. Comme en 1939 lorsque le malade mental était en définitive un "sous-homme". C'est se débarrasser, tout en légiférant, de la question des maladies mentales comme d'une vraie question de santé publique, ce qu'elle est, pour en faire une question policière, ce qu'elle n'est pas. Recul sans précédent!
Notons que ce qui advient aujourd'hui avec la réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sans consentement, fait écho à d'anciens débats relatifs à un prétendu dépistage précoce possible de la criminalité. Vous rappelez-vous? C'était une antienne du futur président de la République, réactivée par un rapport de Jean-Marie Bockel en Novembre 2010. Fausse bonne idée laminée par les spécialistes. Mais qui participait de la même idée: il faut prévenir par tous moyens la délinquance. Hier celle des enfants. Aujourd'hui celle des malades mentaux. Enfants, malades mentaux, tous des délinquants et des criminels en puissance. Ou de l'art d'entretenir une psychose sécuritaire.
Munch - Le Cri
Cécile Prieur, dans son article, parle d'un "retour du refoulé asilaire" en lieu et place d'une réforme sanitaire. Ceci s'impose en effet comme une évidence. Mais les racines du mal sont beaucoup plus profondes. Le refoulé est sans doute beaucoup plus ancien, qui a justifié notre plongée dans l'histoire du XXème siècle, à la recherche du traitement que le Reich avait réservé aux malades mentaux.
Les nouvelles dispositions législatives ne tuent pas physiquement les malades mentaux, voilà la différence. Mais en les stigmatisant, en les privant, de fait, de voies et de facultés de reconstruction de soi, en les privant de leurs libertés fondamentales, en les ramenant à la place des "aliénés", et en ne leur offrant plus comme univers qu'un univers médical subordonné à une emprise policière et carcérale, elles les voue à une mort sociale inévitable.
Il appartient à une République de protéger le corps social. Cela n'a jamais réussi en aliénant ni en enfermant purement et simplement (voir l'exemple américain).
En 1939, la logique de l'exclusion des malades mentaux a été poussée à son paroxysme, l'extermination, dans une barbarie sans précédent.
Mais au moins une voix s'était-elle élevée, celle de l'évêque de Munster. La barbarie avait un peu reculé.
Dans la France de 2011, l'exclusion des malades mentaux se fait de façon feutrée mais efficace, sous couvert d'une idéologie sécuritaire. Et somme toute sans aucune solution avec une loi en trompe-l'oeil qui ne règle rien sur le fond.
Cette semaine, on ne compte plus les communicants de toutes obédiences qui vibrent, s'émeuvent, se pâment, frétillent, bruissent, phosphorent, crient au génie, répètent et citent à l'envi, se voient symboliquement adoubés par une déclaration de Biz Stone, co-fondateur de Twitter:
"L'homme est un animal social. Nous avons besoin des média sociaux afin de nous entraider, de devenir plus agréables, et de faire des choses plus importantes, plus belles"
On ne contestera pas ici la pertinence économique de la conviction de Biz Stone, s'agissant d'avoir créé et développé la plateforme de microblogging N° 1 mondiale, Twitter pouvant aujourd'hui se prévaloir de performances de fréquentation, de trafic, financières particulièrement flatteuses. Nous rapportons même ci-dessous les tous derniers chiffres de mars 2011, éloquents. Biz Stone est un entrepreneur de talent et un chef d'entreprise visionnaire, avisé et talentueux.
Mais nous sommes a minima surpris face à cet émoi collectif qui zappe sans autre forme de procès le fait que ce n'est pas Biz Stone, mais un grec, il y a presque 2 500 ans, qui a le premier affirmé que "l'homme est un animal raisonnable" et aussi que "l'homme est un animal social". Il s'appelait Aristote. L'un des pères du rationalisme. Le père de la logique. Celui de la psychologie. Celui de l'épistémologie. Celui de la philosophie politique. Celui de la poétique. Celui de la physique. Le théoricien de la métaphysique. L'illustre auteur de l'Ethique à Nicomaquedont cette citation est extraite.
Aristote
"L'homme est un animal social"
Non, jeunes générations et communicants de toutes chapelles, ce n'est pas Biz Stone qui, dans une fulgurante révélation, a découvert et désigné cette dimension sociale envisagée comme constitutive de la nature humaine. C'est ARISTOTE!
Ce n'est pas qu'une question d'érudition ou de défense des droits d'auteur! C'est beaucoup plus que cela. L'enjeu est tout autre.
Que Biz Stone ait contribué à promouvoir une application web inédite et révolutionnaire permettant à l'homme, cet animal social donc, de déployer cette sociabilité de façon inédite à tel point qu'avec Facebook, Twitter, avec un formatage de 140 petits caractères, a littéralement révolutionné les rapports humains, c'est une évidence! Avec Twitter, les relations entre les individus ne seront plus jamais les mêmes; les révolutions ne seront plus jamais les mêmes; les habitudes de consommation ne seront plus jamais les mêmes; les pratiques d'entreprise ne seront plus jamais les mêmes; les relations humaines, le commerce, le marketing, ne seront plus jamais les mêmes;le journalisme ne sera plus jamais le même, et plus généralement l'information. Etc.
Là est le talent de Biz Stone: avoir contribué, avec Twitter, à ancrer les media sociaux dans notre vie, sans quasiment aucune limite.
Mais être un animal social, ça ne revient pas seulement, pour reprendre son propos, à "nous entraider, de devenir plus agréables, et de faire des choses plus importantes, plus belles", c'est à dire à être solidaires, gentils, à envisager de belles et grandes entreprises communes. Ça, c'est la version édulcorée et "marketée" de la pensée d'Aristote. Les mauvaises langues y verraient même une certaine niaiserie, ou du cynisme. On y voit pointer et même s'exprimer cette pseudo et inquiétante naïveté qu'il y avait déjà dans le désormais célèbre "Don't be evil" de Google ou la typologie facebookienne de "L'ami". Une spontanéité sociale généreuse et productive instaurant un ordre dont le conflit serait gommé. Le paradis sur terre apporté par Twitter!
Dire que "l'homme est un animal social" signifie pour Aristote, beaucoup plus fondamentalement, que notre nature même d'être humain ne peut se construire que dans et par la dimension sociale. La sociabilité n'est pas une propriété rapportée, c'est une dimension constitutive de notre humanité. La sociabilité n'est pas accessoire, notre humanité étant constituée antérieurement à la rencontre avec autrui. C'est dans et par la rencontre avec autrui que se constitue notre propre identité. Nous ne sommes en définitive ce que nous sommes que par la socialisation.
Raphaël - Autoportrait avec un ami
Mais jamais Aristote n'a déduit de cette dimension sociale de notre humanité l'absence du conflit dans le rapport à autrui. Bien au contraire, puisque tout le traité de l'éthique à Nicomaque dont la citation est extraite, expose la façon dont la vertu, par laquelle la raison éduque le désir et le transcende, s'impose à nous comme objet d'un apprentissage qui contribue à faire de nous l'homme que nous avons à être, permettant une sociabilité réelle, "en acte", épanouie. On ne nait pas juste, on le devient. On ne naît pas intègre. On le devient. Toute notre éducation, jamais achevée, est le processus par lequel nous permettons à autrui, par l'intégration de lui à nous, de contribuer à la sculpture de nous-même. Et Aristote d'insister sur la réciprocité. Car qu'est la sociabilité sans la réciprocité? La loi du plus fort!
Ramener la sociabilité de l'homme à l'usage des média sociaux est incontestablement percutant en termes de communication. Mais il y a là quelque chose d'éminemment réducteur, voire même de dangereux. Aristote nous parle d'anthropologie, d'éthique. Biz Stone nous parle de médias et d'interactions sociales. Le plan n'est pas le même.
Et si puissants les dits média soient-il devenus, on ne saurait voir l'homme, le sujet, absorbé par le média.
A moins que ce ne soit une tentation; une dérive possible; un risque connaturel des média sociaux. Ne commence-t-on pas à s'interroger sur des addictions, et donc des pathologies liées aux média sociaux?
On peut en demeurer à une approche ludique de la question. On peut aussi se poser la question en des termes susceptible de relever de pathologies cliniques. La cyberdépendance, notamment envers les média sociaux n'est plus une fiction, là où émergent des cas de survalorisation ou d'auto-dépréciation en relation avec un nombre d'amis Facebook.
Ou encore, quid de la vie privée, et de la tension entre une ereputation subie et/ou contrôlée, et la sphère personnelle et l'intimité? Bien sûr, on nous objectera que le propos de Biz Stone n'était pas celui-là; qu'il ne pensait pas, somme toute, à mal. Qu'il ne s'agissait que d'ouvrir le champ du possible sur le plan des relations humaines sculptées par les média sociaux. Que l'on doit en demeurer aux aspects positifs. Reste que la vision proposée a quelque chose d'édénique. Et que s'engager pleinement dans la sphère des media sociaux pour en faire une source de valeur ajoutée pour notre vie sociale et personnelle, ce qui est indispensable, n'empêche pas la lucidité sur la sculpture de soi, et encore moins de souscrire à une vision édulcorée de la dimension sociale de notre humanité.
Ce qui nous ramène inéluctablement à la philosophie. Car à vingt-deux siècles d'intervalle d'avec Aristote, au XVIIIème siècle cette fois, Kant (après Hobbes et d'autres théoriciens d'un droit naturel partant de la violence originelle de l'homme: "L'homme est un loup pour l'homme") parlera d'une "insociable sociabilité de l'homme" (in "Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique"). Car tout n'est pas rose en notre humanité dans sa dimension sociale.
Le propos d'Aristote, pour être décisif, inaugurait la problématique sans la conclure. Kant lui donnera une profondeur de champ particulière. Certes, l'homme est un animal social et cherche par là même la reconnaissance d'autrui, son intégration à la communauté; mais en même temps, il ne souhaite pas se soumettre à ses règles. D'où la figure du conflit. Le dépassement de cette tension originelle se faisant alors par le droit. La culture et la civilisation elles-mêmes n'étant que la résultante du dépassement de cette tension et de cette contradiction originelle.
Retour à Twitter et à Biz Stone. Ce n'est pas linéairement que l'histoire s'écrit, à la faveur de la sociabilité positive de l'homme. Les média sociaux expriment et nourrissent au plus haut point notre sociabilité. Mais "l'insociablilité" n'y est-elle pas en quelque façon souvent gommée? N'est-il pas souvent de convention tacite de ne pas aller au conflit sur un média social, sous peine d'être "banni" de la communauté, de la "tribu", groupe social par excellence? N'y a-t-il pas quelque chose d'aseptisé au royaume de Twitter? On est bien loin de cette entraide spontanée et des belles choses dont nous parle Biz Stone.
Mais accordons lui ce qui lui revient: Twitter, comme tous les média sociaux, permet aussi le déploiement rapide et viral de multiples solidarités efficaces.
Biz Stone
So?
Par ses propos, Biz Stone n'a pas fait qu'un bon mot de communicant expérimenté. Il expose aussi en quelques caractères (mais n'est-ce pas normal pour l'un des pères de Twitter?...) une théorie des média sociaux qui prend appui sur un modèle consensuel, réducteur et affadi de l'homme défini comme animal social, ainsi qu'Aristote le caractérisait pour la première fois il y a vingt-deux siècles.
La philosophie autant que la sociologie et l'histoire montrent à quel point il est sans doute beaucoup plus réaliste de partir d'une théorie de l'insociable sociabilité de l'homme; de la figure du conflit accolé à la sociabilité; de l'antagonisme placé au coeur de la relation sociale comme l'une de ses composantes structurelle. Négliger cette dimension, c'est sombrer dans un édénisme, voire un angélisme somme toute réducteur et qui peut bien vite s'avérer contre-productif sur le terrain même des média sociaux.
Pensons à l'intérêt que présente une approche de l'homme non pas comme animal social "affadi" et spontanément consensuel, mais comme animé d'une insociable sociabilité, pour ce qui est de la gestion des critiques sur une page Facebook par un Community Manager. La première version pousse à fermer les yeux. La deuxième à entrer dans la médiation par le dialogue, l'échange, l'appel à la communauté, bref, aux forces vives de la sociabilité. La page Facebook d'une entreprise n'est pas le service clientèle, mais les "attaques" possibles doivent être appréhendées comme ce qu'elles sont: des critiques qui s'imposent à la marque ou à l'entreprise. Le modèle de l'insociable sociabilité est autrement plus productif que la théorie des "belles choses" proposée par Biz Stone.
C'est si vrai que la principale résistance des cadres français à l'égard des média sociaux relève de l'impossibilité de contrôler la communication. Comprenons que le caractère dialectique et éventuellement conflictuel des échanges est posé comme un a priori et que, rompant d'avec une communication uni-directionnelle, la communication bi et a fortiori multi-directionnelle pose problème. Dépasser ces freins est affaire de pratique des média sociaux, c'est aussi intégrer le conflit possible (l'insociable sociabilité) comme donnée de base pour mieux le prendre en charge sur le média théâtre, le cas échéant, de la contradiction.
Pensons encore à la socialisation des résultats sur les moteurs de recherche. Cette socialisation véhicule nécessairement la controverse et non le consensus mou. Les avis des internautes "socialisés" divergent. La gestion de ces contenus à la fois pertinent et critiques, et leur exploitation ultérieure par la marque ou l'entreprise via sa présence sur les média sociaux, s'articule beaucoup mieux avec une théorisation de l'homme conçu dans une insociable sociabilité ou encore dans une sculpture de soi dans une relation dialectique à autrui, plutôt que dans une sociabilité linéaire et univoque.
Tournons aussi vers l'e-tourisme qui tente aujourd'hui de faire le ménage dans ses rangs à l'égard de ceux de ses protagonistes qui, ne jouant pas le jeu, "falsifient" les bons avis et gomment les mauvais. L'angélisme n'est pas ici de mise. La contradiction doit d'emblée pouvoir être acceptée comme structurante de la relation aux prospects et clients. L'établissement doit maintenir les avis négatifs, l'insociable sociabilité, et venir sur les lieux d'échange promouvoir une réponse ou un débat.
Média sociaux ne signifie pas homogénéité, uniformité, consensus, comme les prolongements normaux d'une sociabilité de l'homme sans accrocs. Partir d'une conception de l'homme, animal social mais se construisant dialectiquement et même de façon conflictuelle dans sa relation à autrui est aussi un excellent moyen de laisser les média sociaux révéler une richesse et une pertinence reflétant la diversité des acteurs de ces média que sont les internautes multi-réseaux, multi-connectés et multi-plateformes.
Aujourd'hui, 28 Mars 2011, nous fêtons un singulier anniversaire. Il y a 32 ans, jour pour jour, c'était le 28 Mars 1979, le premier accident de l'histoire du nucléaire civil se produisait dans la centrale de Three Mile Island. Accident et non pas incident, puisque l'évènement fut classé 5 sur l'échelle internationale des évènements nucléaires (INES).Accident lors duquel le coeur du réacteur a en partie fondu. Le mythe d'une exploitation civile du nucléaire garantie contre toute défaillance s'envolait en même temps que des accidents en chaîne se produisaient pour accéder jusqu'au début de fusion du réacteur.
Des enseignements technologiques furent tirés de ce grave accident, notamment par EDF.
Centrale nucléaire de Three Mile Island
12 jours plus tôt, très exactement, le 16 Mars 1979, un film de James Bridges était sorti sur les écrans. Son titre: The China Syndrome.
Avec Jane Fonda, dans le rôle de Kimberly wells, journaliste qui assiste, en direct, avec son cameraman, Michael Douglas, alias Richard Adams, à un incident dans une centrale nucléaire, alors qu'elle effectue un reportage dans la salle de contrôle de la centrale. Le film donne à voir comment l'ingénieur responsable de la Centrale, Jack Lemmon, va à la fois chercher à comprendre ce qui s'est passé, refusant d'oublier ou de minimiser; découvrir que lors de la construction de la centrale, pour des raisons économiques, la radiographie de soudures n'aura pas été effectuée sur toutes les composantes sensibles, ce qui aura provoqué la rupture d'un circuit de refroidissement et l'accident mettant la centrale en péril; comment, une fois convaincu de la gravité des faits et des risques majeurs encourus par les populations civiles, il cherchera à informer la presse de ce qui était advenu; comment finalement il sera littéralement exécuté dans la salle de contrôle par les exploitants de la centrale, le faisant passer pour un forcené uniquement pour pouvoir préserver les intérêts économiques liés à la remise en marche de la centrale quels que soient les risques. Puis le film donne à voir le surgissement de la vérité via Fonda et Douglas; incarnant le pouvoir de la presse. Le film connut un grand succès et souleva de vifs débats. Et pour cause: il était prophétique, au regard ce qui devait se passer 12 jours plus tard à Three Mile Island.
Le titre, "Le syndrome chinois", désignant l'hypothèse de la conséquence la plus grave d'une fusion d'un réacteur nucléaire dans laquelle les éléments combustibles en fusion du coeur (corium) percent les barrières qui le confinent et s'enfoncent dans la terre. A faire froid dans le dos. Du cinéma? Rien que du cinéma?
Ce phénomène n'est jamais advenu tel quel. Néanmoins avec la catastrophe nucléaire de Three Mile Island, la réalité avait rattrapé la fiction. Le film "Le syndrome chinois" s'était teinté d'un sombre réalisme. Les perspectives apocalyptiques n'avaient plus rien de spéculatives ou théoriques. Le pire était possible. Les faits l'avaient montré.
Puis il y eut la catastrophe nucléaire de Thernobyl en 1986, révélée 48 heures après sa survenance. L'équivalent de 1000 explosions nucléaires. Avec un bilan particulièrement lourd, tant pour les techniciens que pour les civils ukrainiens et européens. Qu'on ne dressa de façon exhaustive que bien longtemps après, tout du moins pour les conséquences sur la population civile. Bilan qui ne saurait d'ailleurs être encore arrêté (160 000 victimes directes; 15 millions de personnes exposées; des matières encore radioactives pour des centaines d'années). Nous avons tous encore présent à l'esprit, en France, le mensonge officiel visant à rassurer le bon peuple en l'assurant que le nuage radioactif s'était arrêté aux frontières. Imposture suprême. L'intervention de la CRIIRAD fut alors déterminante pour contribuer à l'établissement d'un bilan digne de ce nom. Mais les intérêts économiques étaient énormes.
Finalement, la réalité nous ramenait à nouveau au film "Le syndrome chinois". Il fallait coûte que coûte taire les conséquences non pas tant pour ne pas provoquer de panique, que pour éviter d'avoir à s'interroger sur la sûreté du nucléaire civil, quitte à ce que des conséquences lourdes et difficiles ne soient pas tirées, et ce au nom des enjeux économiques et stratégiques. Garantir une indépendance énergétique appuyée sur le modèle du nucléaire civil diminuant la facture pétrolière valait bien un mensonge d'Etat. Valait bien, apparemment, la vie d'un nombre indéterminé de civils. Ce qui fût fait, grossièrement. C'étaient les Ukrainiens qui n'avaient pas pris les bonnes décisions, pas entretenu correctement leur centrale. Ce n'était pas le nucléaire civil qui était en cause. Et l'on continua.
Avec le concours de la BERD qui s'engagea néanmoins courageusement, avec Jacques Attali à sa tête, dans ce combat contre une prolifération et une exploitation incontrôlée du nucléaire, certaines centrales furent démantelées. Mais le coût d'un démantèlement est considérable (qui allait payer pour cela?), et les alternatives immédiates et proportionnées sont inexistantes. Comment faire lorsque, comme en Bulgarie, ou en Roumanie, une unique centrale produit à elle seule de 10 à 40% de la consommation électrique d'un Etat? Alors la raison économique l'emporta. Les incidents se sont multipliés (il y en eut en 2001, en 2002, en 2006 avec 22 systèmes de sécurité défaillants sur les 62 existants à Kozlodoui par exemple). Il y en eut des centaines. L'avons-nous su? Quelle presse relaya alors ces informations? Quel suivi fut proposé de l'avancée et des blocages rencontrés? Quel système pour responsabiliser et protéger les populations civiles?
Rappelons nous aussi les effets de la canicule sur les centrales nucléaires françaises et le caractère plutôt artisanal des ripostes, autant que les dégâts collatéraux. Ce n'était pas dans un pays pauvre, pris à la gorge sur le plan énergétique. C'était en France, l'une des 3 première puissance mondiales en matière de nucléaire civil.
Three Mile Island et Tchernobyl n'étaient au fond que la face émergée d'une technologie puissante mais insuffisamment encadrée, contrôlée, gouvernée de façon indépendante, pour que la sécurité demeure la priorité absolue. La raison économique continua de triompher. La banalité du mal était advenue au monde du nucléaire civil.
Jusqu'à Fukushima le 12 Mars 2011.
A quelques jours près 32 ans avant le sinistre anniversaire de Three Mile Island. Au Japon. Nation pourtant reconnue pour sa maîtrise du nucléaire civil. Au Japon, venant juste après la France en matière de nucléaire. Au Japon, qui se savait sur une zone sismique extrêmement exposée. Au Japon qui a même inventé le terme de Tsunami et qui était bien placé pour savoir le péril possible. Au Japon qui reconnait aujourd'hui avoir sous-estimé les conséquences d'un tsunami et n'avoir pas "calibré" la sécurité de ses centrales nucléaires comme cela s'imposait. On devine la raison: le coût. Risquer les feux de l'enfer et une catastrophe sans précédent pour optimiser des coûts et un investissement. Mettre dans la balance un ROI et un désastre local et mondial. Vous, moi, aurions hésité mille fois. Tepco n'a pas hésité. Tepco n'a pas renoncé à cette sous-sécurité. Tepco ne s'est pas même assuré pour les dommages subis par la centrale pour des raisons de coût de la prime (les assureurs refusant par ailleurs de couvrir le risque nucléaire). Et Tepco est aujourd'hui absolument démuni sur le plan technique, sa responsabilité à la fois devant le Japon et devant le monde entier étant engagée et gigantesque.
Centrale nucléaire de Fukushima - cc Leblogfinance
Au Japon, où l'on découvrit les mêmes plaies que dans le film "Le syndrome chinois": minimisation du risque sismique; construction sous-sécurisées parce que n'intégrant pas le risque sismique au niveau auquel il aurait du être pris en compte; absence d'anticipation d'une conjonction de facteurs géologiques et techniques (l'impossibilité de refroidir le coeur des réacteurs les centrales n'étant plus alimentées électriquement et les moteurs diesels devenus inopérants en raison du tsunami); improvisation dans les moyens mis en oeuvre (refroidissement pas eau de mer avec un risque de cristallisation problématique, ce qui n'a pas manqué d'avenir); mensonge sur la maîtrise de la situation et le degré de gravité, les réacteurs entrant en fusion les uns après les autres.
Le japon qui finalement, ce Lundi 28 Mars 2011, 32 ans jour pour jour après l'accident nucléaire de Three Mile Island, en appelle, désespéré, à l'aide la communauté internationale et notamment de la France (EDF, Areva), pour faire face et enrayer ce scénario du pire qui dure depuis près de 15 jours.
"Tepco ne semble pas maîtriser la situation. L’entreprise vient de demander l’aide d’Areva, du CEA et d’EDF".
On pourra ironiser sur le bénéfice pour la France d'un transfert de technologie demandé dans l'urgence. J'apprends même ce soir le déplacement imminent du Chef de l'Etat au Japon. Soutien d'une nation généreuse à une nation meurtrie ou opportunisme technologico-économique? Les deux peut-être... Ou encore besoin de se rendre compte sur place du péril réel, masqué par les diagrammes rassurants de nos multiples dispositifs de sûreté, et le discours tout aussi rassurant de nos ingénieurs acquis au nucléaire civil.
Mais au-delà, la plus grande gravité s'impose. Si l'exploitant en arrive à ce point, s'il en est à ce degré d'impuissance, ses déclarations mensongères ayant même été dénoncées par le gouvernement Japonais, alors nous sommes bien en présence du pire. Nul ne sait donc ce qu'il est en train d'advenir à Fukushima. Aucune incantation catastrophiste ici. Un fait. Au demeurant conforté par la lecture des experts américains cette fois-ci qui, dans le New York Times, avouent également la difficulté sinon l'impossibilité de déterminer les risques subsistant, et donc d'anticiper en quoi que ce soit le devenir de la centrale nucléaire de Fukushima et de ses réacteurs.
Y aura-t-il un avant et un après Fukushima?
Je n'ai jamais été un anti-nucléaire radical. J'inclinais même à penser que ce type de technologie présentait de multiples avantages sur le plan énergétique, économique, environnemental (mais oui!). Je pensais que nos ingénieurs avaient pris la mesure du risque, autant que les autorités de contrôle, pas seulement en France, mais dans tous les pays exploitant le nucléaire civil, et que le déploiement progressif des dispositifs utilisant des sources d'énergie propres, sûres et renouvelables, constituerait, dans la durée, une alternative pertinente. Je me trompais lourdement.
Avec Fukushima, je suis interpellé ici comme citoyen. Citoyen d'un monde qui nous est commun.
Et je m'interroge sur la limite de nos moyens. Sur la fragilité de nos systèmes prétendument infaillibles de sûreté, là où les faits prouvent le contraire. Sur la pertinence à persister dans une voie qui ne supporte aucune défaillance, ce que rien ne peut pourtant garantir. Sur les apprentis sorciers que nous sommes devenus. Sur cette tension entre profit et menace universelle; entre autonomie énergétique et risque permanent d'un catastrophe mondiale; entre droit à la vie et prise en otage permanente de cette vie au nom d'un modèle énergétique sans doute déjà périmé.
J'en étais là de mes réflexions lorsque mes lectures du jour m'ont fait tomber sur cette page d'un blog du monde baptisé "la Mouette" qui expose, dans un article intitulé "Fukushima: on a laissé jouer des enfants avec des allumettes", les réactions d'Hubert Reeves, l'astrophysicien, suite aux évènements de Fukushima. Hubert Reeves, un scientifique dans une discipline exigeante qui ne souffre aucune approximation. Un spécialiste de physique nucléaire. Un rationaliste chez qui on ne pourra soupçonner aucune tendance "idéologique". Un scientifique qui depuis toujours pense l'univers et le monde dans leur unité. La richesse du monde dans son unité et sa diversité. Un ancien partisan du nucléaire qui aura changé d'avis. Un scientifique dont je veux reproduire ici quelques pensées ultimes, suite à Fukushima;
"On peut développer les systèmes de sécurité les plus efficaces contre les erreurs techniques, on n’est jamais à l’abri des erreurs humaines. Les principaux accidents nucléaires – Three Miles Islands (1979), Tchernobyl (1986) – ont été provoqués par des erreurs humaines. Le nucléaire exige une sécurité sans faille"
Comment expliquer que des ingénieurs, parmi les meilleurs de la planète, se soient contentés d’un mur de sécurité de moins de sept mètres de hauteur contre les tsunamis, dans une des régions les plus exposées aux risques sismiques de la planète ? Avait-on oublié les vagues de plus de vingt mètres des tsunamis précédents ? »
« Comme pour n’importe quel projet de ce type, la question de la sécurité a sans doute été discutée au moment de l’évaluation des devis pour la construction des centrales. On l’évalue en termes de probabilité d’un accident. Il n’existe pas de risque zéro. Mais en pratique, comment prend-on la décision ? C’est là qu’intervient le conflit entre la sécurité et le profit. Ici on a favorisé le profit. On a joué et on a perdu, en livrant des dizaines de millions de personnes aux aléas des mouvements géologiques et des vents"
De telles erreurs sont possibles et de tels malheurs arrivent dans bien d’autres contextes. La différence, c’est que ces accidents n’ont pas nécessairement une incidence planétaire. Ils ne mettent pas en danger la vie demilliers de personnes. Ce conflit entre la sécurité et le profit est pour moi une des raisons pour laquelle je pense que le nucléaire est une activité trop dangereuse pour être confiée aux « humains trop humains » (pour reprendre l’expression de Nietzsche).
"On ne laisse pas les enfants jouer avec les allumettes" Hubert Reeves
Three Mile Island - Tchernobyl - Fukushima. La trilogie d'un enfer.
Three Mile Island - Fukushima. 30 ans après et cette terrible conviction. Malgré toutes les mise en garde. Malgré les redites de l'Histoire et l'amplification des désastres (car la voie est déjà tracée. On nous explique déjà que Fukushima n'est "pas comparable à Tchernobyl". A ceci près que cette catastrophe vient après et en plus de celle de Tchernobyl). Malgré l'éveil de la conscience humaniste de scientifiques avisés. Malgré la souffrance des victimes (actuelles et futures). Malgré la voix des peuples (voir l'Allemagne aujourd'hui). Malgré le profond émoi de quasiment toutes les nations.
Le destin du monde est entre les mains d'apprentis sorciers qu'on laisse jouer avec des allumettes parce qu'il serait trop difficile et trop compromettant d'admettre que l'on s'est trompé et que l'on doit explorer de toute urgence et à très grande échelle des politiques énergétiques alternatives au nucléaire. L'orgueil d'une civilisation structurée par la science et la technique qui ne reconnaît pas ses limites en même temps que sa force et sa grandeur. La tentation prométhéenne éternellement rejouée au mépris de la vie des hommes et de la planète que nous avons en partage.
Et une question: Combien de Fukushima faudra-t-il encore pour que l'on cesse de laisser les enfants jouer avec les allumettes?
25 Mars 2011 17h00. Ce n'est pas l'heure de décollage d'une navette spatiale, mais l'heure de la disponibilité à la vente de l'IPAD 2, la nouvelle "ardoise" ou encore "tablette tactile", puisque la très sérieuse commission générale de terminologie en a décidé ainsi (le général de Gaulle aurait sans doute affublé cet archaïsme du doux nom de "machin"...), que les Apple maniacs ne vont pas manquer d'acquérir sans tarder.
Aussi le mini billet du jour est-il naturellement consacrée au dernier petit bijou de la firme de Cupertino.
Et toi, tu l'as payé combien ton Ipad 2?
Coup de projecteur donc sur le prix de la merveilleuse tablette numérique, en Europe et un peu partout dans le monde. C'est à un geek italien Mac addict que nous devons cette infographie (7BI )
Après mise à jour du comparatif, la précieuse ardoise est proposée à la vente en France entre 489€ et 813€ selon les modèles. C'est en France que son prix est le plus élevé à une exception près en Europe. Quant aux Etats-Unis, les américains peuvent se la procurer pour 390€ en 16Go et 648€ en 64Go Wifi + 3G. Pratique avec le dollar sous-évalué. Tant pis pour les Européens avec leur Euro maintenu à un niveau élevé... Tant mieux pour Apple qui rafle la mise. Formidable pour la balance commerciale! Mais revenons à la mythique tablette objet de toutes les convoitises du moment.
Je ne résiste pas à l'envie de vous proposer une petite vidéo de l'inévitable cohue, histoire de vous mettre dans l'ambiance (ici c'est dans l'Apple Store Cap 3000 le 25/03/2011 à 16h35), version storytelling:
On ne se bouscule pas, il paraît que les stocks sont suffisants!
Ainsi le rêve de Steve Jobs se poursuit-il, ainsi le géant conforte-t-il sa place de champion de l'ergonomie et de la technologie, ainsi le mythe Apple est-il entretenu et la saga peut-elle continuer!
Mais attention, l'Applemania, ça peut s'attraper très très tôt!
Allez, pour finir, un petit clin d'oeil à ceux qui ont les tempes peut-être un peu grisonnantes, voire davantage, puisque, la commission l'a dit, on parle "d'ardoise", non mais!
C'est un coup de coeur que je souhaite vous faire partager, découverte au détours de ma TL (Twitt Line) et de son flux nourri. Il consiste en une infographie. Qui, sur un seul visuel, nous fait parcourir l'histoire de l'imprimerie depuis 618 avant JC en Chine, avec la première impression réalisée (et oui, la paternité universelle n'appartient pas à Gutenberg, même si celle de l'impression de la première bible en latin ne lui sera jamais contestée!), jusqu'à l'ebook.
Le visuel est splendide, centré sur une linotype. On croirait entendre le linotypiste travailler. Ça sent l'encre. On s'arrête sur la découverte de la quadrichromie, sur la numérisation des données dans les années 1980, sur le surgissement de l'ebook et du print ( l'impression numérisée). Cette infographie est à elle seule un voyage.
Elle rend également palpable l'évolution de nombre de processus liés à l'imprimerie, vers une dématérialisation complète des données et des outils. L'ebook (ou livre électronique, ou livrel, selon votre pratique linguistique) n'en est qu'à ses balbutiements. Mais si l'on se retourne vers l'histoire de l'imprimerie et si l'on tient compte de l'accélération exponentielle de cette dématérialisation, on mesure non pas seulement le chemin parcouru, mais la nouvelle ère dans laquelle nous sommes entrés.
Je ne retiendrai positivement des deux mandats de Jacques Chirac qu'une seule chose: Son discours prononcé le 16 Juillet 1995, lors des commémorations de la rafle du Vel' d'Hiv', lorsqu'il a reconnu la responsabilité de l'Etat Français dans la déportation des Juifs de France, sous l'autorité et avec la complicité active du Régime de Vichy.
Je ne retiendrai positivement de l'action Ministérielle de Dominique de Villepin que le discours qu'il prononça le 14 Février 2003 devant les Nations-Unies, pour motiver et faire savoir le refus de la France de s'engager dans une guerre en Irak.
Je ne retiendrai positivement de ce premier Mandat de Nicolas Sarkozy qu'une seule chose: son communiqué du 19 Mars 2011 à l'issue du Sommet de Paris pour le soutien au peuple libyen, en application de la résolution 1973 de l'ONU portant instauration d'une zone d'exclusion aérienne en Libye, assortie de la faculté de mettre en oeuvre toutes mesures nécessaires. Où la France aura mis sa diplomatie et sa puissance militaire, dans le cadre du Mandat donné par l'ONU, au soutien du peuple libyen dans son mouvement de rejet de la dictature de Kadhafi et son aspiration à la liberté et à la démocratie.
Comme chacun d'entre-nous, j'exprime ici ma solidarité profonde avec les fléaux que les Japonais ont à subir. Meurtris dans leur chair, dans leur âme, dans leur identité. Victimes d'une double catastrophe sismique et nucléaire.
Ce n'est pas le lieu, du moins ce jour, pour débattre des responsabilités, des conséquences, pour conduire des analyses.
Aujourd'hui, je tiens seulement à être avec eux, et à appeler tous ceux qui sont comme moi à soutenir l'action de la Croix-Rouge française qui s'est immédiatement engagée sur le plan humanitaire pour porter secours aux victimes.
L'argent toujours. Indispensable. Faisons un don. Oublions un instant nos peurs d'occidentaux encore protégés (mais pour combien de temps?), des conséquences de la catastrophe nucléaire aujourd'hui classée 6 sur une échelle de 7 par l'ASN, et ne pensons qu'à ces destins brisés, ces familles anéanties, ces hommes, femmes et enfants qui ont tout perdu, qui sont blessés de par les effets dévastateurs du Tsunami, exposés à des radiations, plongés dans une détresse immense.
La Croix-Rouge a toujours été là où il fallait depuis sa création lorsque l'histoire se faisait noire et cruelle, lorsque l'homme était en souffrance. La solidarité ne se calcule pas.
Lu le Dimanche 13 Mars l'excellent Billet de Nicolas Bordas consacré à Stéphane Hessel et intitulé "Et si vous vous engagiez avec moi aux côtés de Stéphane Hessel!" . Ce post venait après un échange que j'ai eu la veille sur Facebook, précisément à propos de "Indignez-vous!", dudit Stéphane Hessel. Réflexions, analyses... et engagement!
Au commencement, il y a le livre "Indignez-vous" de Stéphane Hessel
Voltaire s'était battu pour la tolérance. Hessel, au soir d'une existence incroyablement riche en combats et créations, se bat pour l'indignation et l'engagement. La filiation est lumineuse: Hessel, héritier des lumières, est un humaniste. Sa modestie en souffrira mais tant pis!
On ne saurait dissocier le livre des combats et réalisations de Stéphane Hessel.
Repères: Déporté; Membre de la Résistance; Secrétaire de la Commission des droits de l'Homme aux Nations-Unies en 1948, commission constituée pour entreprendre la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, dont René Cassin et Pierre Mendès France furent rédacteurs-contributeurs; militant anticolonialiste; diplomate; aux côtés des sans papiers au sein du Collège des médiateurs, des mal logés; engagé au Burundi, en faveur des Palestiniens et des Birmans (Nous laissons ici de côté la vilaine querelle et la polémique qui se déploie depuis quelques temps à ce sujet, même si la rue d'Ulm s'en est émue. Non qu'elle nous dérange, ou que nous soyons béats, mais l'action de Hessel dépasse largement les procès qui lui sont faits). La liste exhaustive est encore plus longue.
L'homme sait donc ce dont il parle lorsqu'il évoque l'indignation et l'engagement. Hessel, un intellectuel humaniste fourvoyé en politique? Un politique nourri d'humanités. Bien difficile d'arbitrer. Mais le faut-il? D'autant qu'il n'y a rien de partisan chez lui. Mais une obsession traverse incontestablement sa vie et son oeuvre: contribuer au mieux vivre ensemble des peuples et des hommes dans le respect des droits et des libertés. Et puis, il est passionné de poésie (qu'il se plaît à citer de mémoire. Ecouter le ici réciter Apollinaire et narrer le rôle de la poésie aux heures les plus noires de son existence), ce qui est fort attachant.
J'avais lu "Danse avec le siècle" lors de sa parution. Le "phénomène" Hessel n'était alors pas constitué. Mais une incroyable énergie traversait déjà l'ouvrage. "Comment cet homme qui avait traversé le XXème siècle et vécu concrètement ses horreurs, pouvait-il encore déployer une telle énergie, manifester une telle jeunesse", m'étais-je alors demandé en refermant le livre. La réponse était sous mes yeux: c'est la grandeur des luttes qui révèle l'homme. Hessel avait été des grands engagements y compris pour contribuer à sortir par le haut, par le droit (son mandat de Secrétaire de la Commission des Droits de l'homme auprès de Nations-Unies, constituée pour entreprendre la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'Homme), des impasses meurtrières de l'affrontement entre les nations.
Un très beau livre à deux voix avec JM Helvig est paru au mois de Janvier 2011 que je vous recommande. Il s'agit d'une réédition d'un ouvrage paru en 2008. Mais les données sont constantes. Où il dévoile, entre autres, sa conception du civisme qui cesse finalement d'être nationale pour devenir un civisme global. Où son universalisme se manifeste clairement. Où l'on repense inévitablement aux Lumières et à l'Humanisme: "Citoyen sans frontières"
Où l'on comprend en détail les principes des orientations définies dans son deuxième opus "Engagez-vous!"
On l'on voit finalement se dessiner pour le grand public les principes fondamentaux qui guident une partie de la réflexion et des travaux du Collegium International que nous évoquons plus bas dans ce billet.
Ecouter Stéphane Hessel parler de son engagement au sein du Collegium International, des défis majeurs qui s'imposent à nous (environnement, violence, pauvreté). Il aborde aussi le potentiel de l'ONU et ses missions, le droit international, et les manquements qui font qu'aucune gouvernance mondiale ne parvient néanmoins à faire pleinement exister un ordre mondial au demeurant accessible. Il souligne la force des valeurs contenues dans la charte des nations unies, partagées par tous, comme pilier d'un monde plus harmonieux et équilibré. Il s'exprime sur la guerre, la violence et leurs nouvelles formes. D'un mot, c'est la gouvernance mondiale qui est au coeur de cet entretien. L'interview, d'une tenue exceptionnelle, date de septembre 2007 mais est absolument actuelle. [Entretien Comité International de la Croix Rouge - Blog / Le Monde]
Mes échanges sur Facebook au sujet "d'Indignez-vous!" de Stéphane Hessel
Par un singulier concours de circonstances j'ai échangé à propos du livre et de l'indignation sur Facebook le 12/03/2011, suite à un post publié sur le mur Facebook de Télérama.
Où je défends l'idée selon laquelle "L'indignation est un acte fondateur". Elle se prolonge dans l'action ou la création qui sont les formes de l'engagement.
Extraits (A toutes fins utiles, je rappelle aux contributeurs de Facebook, au demeurant masqués, que les conditions générales d'utilisations de Facebook, acceptées par eux, leurs font renoncer à toute propriété notamment sur les commentaires mis en ligne, a fortiori sur une page publique)
Petite typologie tirée de mes échanges sur Facebook:
Il n'est pas inintéressant de chercher à identifier les types de réactions face au livre "Indignez-vous!" A défaut d'un sondage ou d'un "micro-trottoir", je me suis servi de mes échanges comme d'un "micro-facebook"! Voilà qui n'a aucune valeur scientifique et qui n'y prétend d'ailleurs pas, mais qui demeure très instructif. Le livre est loin de faire immédiatement consensus. Mais en creusant bien et en acceptant la confrontation, l'interaction, l'échange et la contradiction (ce qui est bien le moins sur un réseau social!), plusieurs profils se dégagent qui éclairent les modalités de l'adhésion ou du rejet de la thèse proposée, ou plutôt de l'exhortation de S. Hessel à un sursaut des consciences. Et ces profils recoupent assez bien le retour d'information que l'on peut avoir par ailleurs. Les profils donc:
Conclusion de ce "micro-réseau" sur Facebook: la résistance à l'indignation ne vient pas tant de l'incapacité à s'indigner que de l'absence de vue sur l'articulation entre indignation et action. La notion d'engagement vient répondre à cette difficulté. Exit donc les critiques à l'égard de Hessel sur le thème "discours pour bobo", ou "nostalgie crypto-anarchiste", ou "revival de l'esprit révolutionnaire". La proposition de Hessel peut être accueillie avec d'autant plus de résonance qu'il ne fige pas l'indignation dans la posture de la révolte mais qu'il la canalise et la pousse dans celle de la création et de l'action. S'indigner, c'est réfléchir pour agir. La révolte ne laisse quant à elle souvent la place qu'à l'explosion sur laquelle il est quasi impossible de construire. L'indignation, elle, constitue le terreau de l'action. Il est étonnant de voir à quel point le terreau est potentiellement riche parmi les citoyens.
"Indignez-vous!" de Stéphane Hessel et l'Europe
L'article de Télérama.fr daté du 12/03/2011 au sujet du succès de l'opus "Indignez-vous!" du même Stéphane Hessel n'a rien d'anecdotique. A preuve, sa très large diffusion européenne, outre les 1,5 millions d'exemplaires vendus en France.
Il s'agit d'un livre d'entretiens avec Gilles Vanderpooten, qui fait suite à "Indignez-vous!"
Encore un livre à deux voix donc. Le premier, Vanderpooten a 25 ans. On allait presque ajouter "et tout à apprendre", sans vouloir le blesser! Le second, Stéphane Hessel, 93. Où Hessel dit avec encore plus de profondeur le pourquoi de ses engagements et de la nécessité de s'engager après s'être indigné. Où les pistes sont dévoilées. Dont la création de l'OME, Organisation Mondiale pour l'Environnement, l'écologie étant d'un des "principaux défis du XXIème siècle". Mais aussi droits de l'homme, sans-papiers, sans-logis, lutte contre les inégalités.
Ce qui est très convaincant dans cet ouvrage, c'est la façon dont les droits de l'homme s'incarnent. Ce qui est puissant, c'est cette exhortation à l'adresse des jeunes générations de la part d'un homme qui a, en son temps, refusé l'inacceptable en entrant dans la Résistance. C'est la traduction d'un humanisme incarné. Hessel n'est au fond ici qu'égal à lui-même. Profondément humain, visionnaire et prêcheur d'un monde qui doit être habité par une humanité consciente et lucide sur ses vraies priorités. Où l'on parle d'avenir donc. Et où l'on coupe court à toutes les polémiques nées à l'occasion de la publication d' "Indignez-vous!" sur le caractère prétendument très théorique de l'appel.
Dans son billet, Nicolas Bordas s'interroge notamment sur la Gouvernance mondiale qui doit être repensée du point de vue des paradigmes (Protection de l'environnement, protection et défense de l'identité culturelle, coexistence de la laïcité et des religions, coexistence des économies capitaliste et solidaire, réduction des déséquilibres majeurs) proposés par Hessel comme une nécessité absolue. En définitive, Hesssel prolonge et décline aujourd'hui avec "Engagez-vous!" et la réédition de "Citoyen sans frontières", les formes concrètes de la gouvernance mondiale qu'il a contribué à construire notamment en tant que contributeur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et dont il appelle l'amélioration de ses voeux, tout en pesant de tout son poids en ce sens.
Ce qui nous intéresse dans le propos de N. Bordas, c'est cette articulation qu'il crée explicitement entre une option à la fois individuelle (la prise de conscience) et collective (la gouvernance mondiale), tout en proposant un relais adapté à l'époque: l'utilisation des média et réseaux sociaux, dont Facebook et Twitter.
Car là est en effet l'enjeu ultime de l'entreprise "Indignez-vous!". Sans l'intégration de cette prise de conscience des paradigmes majeurs que sont la citoyenneté universelle (on repense à Emmanuel Kant et au remarquable texte de l'Idée d'une histoire universelle du point de vue cosmopolitique- qui défend l'idée d'un progrès de l'humanité conçu comme un progrès du droit pour dépasser l'insociable sociabilité de l'homme, dont les multiples écarts et déséquilibres actuels ne sont que l'une des manifestations; on repense à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et à son préambule "(...) Considérant qu'une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement (...)" ), la préservation et la promotion des identités culturelles, la réduction des inégalités majeures qui plongent une partie de l'humanité dans la misère, la préservation de l'environnement, à un système institutionnel international qui prenne appui sur eux, il n'y a pas d'avancée possible. Or ce second volet est précisément celui de la gouvernance mondiale.
Les outils sont là, et ils sont "calibrés" pour, à supposer qu'on leur assigne de justes fins, nous répète Hessel. Le lien est organique, nous suggère Bordas. Reste à atteindre un seuil critique de consciences éclairées. D'où l'invitation de Bordas à s'engager à ses côtés et au sein de son Groupe Facebook ainsi que sur le réseau Twitter du Collegium. Reste à établir la connection. Et à en persuader qui de droit. D'où le Collegium International.
Soyons cohérents. "Indignez-vous!" est là pour déclencher une prise de conscience. Ou y inviter.
"Et si", pour reprendre une expression visiblement chère à Bordas, l'engagement prenait corps ici et maintenant, dans le regroupement de ces consciences indignées et déterminées à s'engager. A quoi servirait d'attendre demain? Tout peut commencer vraiment. Il suffit de le faire. Je l'ai fait!
Le think tank Collegium International a besoin d'être connecté à la société civile pour être plus fort dans ses actions?
Pourquoi le groupe Friends of the Collegium sur Facebook n'en serait-il pas l'un des outils, voire l'un des leviers privilégiés? De même pourquoi ne pas garder une étroite connection avec un fil Twitter comme celui qu'il est aisé de rejoindre en cliquant ici: http://twitter.com/TheCollegium ?
Je trouve la démarche des plus intéressantes, et n'ai pas manqué de rejoindre le groupe dès ce Dimanche 13/03. Et visiblement, N. Bordas gère ses demandes de participation en temps réel. Réactif (Normal pour un homme de média).
Le bébé "Friends of The Collegium" est né sur Facebook le Samedi 12 Mars 2011 à 16:14, des mains de N. Bordas. A l'heure où nous publions ce billet, il est gros de 17 membres. Pas si mal.
Un think-tank qui regroupe politiques (M. Rocard), philosophes (E.Morin), diplomates (S. Hessel bien sûr), et de nombreux intellectuels et scientifiques. Je ne les cite pas tous, on trouvera le lien des membres ci-dessous!
On nous rabâche sans cesse des discours gorgés d'initiatives pseudo citoyennes. Distinguer le bon grain de l'ivraie. Celle-ci en est une vraie. De même les think tank se multiplient. Celui-là présente au moins l'avantage de ne pas représenter des intérêts immédiatement matériels, économiques, politiques ou corporatistes. Il est désintéressé et vise directement le bien des peuples et des hommes pour le présent et pour l'avenir.
Peut être plus difficilement palpable dans ses contours immédiats, mais néanmoins de poids. Car il s'attaque véritablement au fond. Ses membres n'ont en outre, au regard de leur parcours, pas à attendre de nouveaux honneurs d'une telle initiative. Désintéressement et volonté de traiter sur le fond les grands déséquilibres de notre monde, de peser sur une édification collective des peuples respectueuse des différences et de l'unicité du monde auquel nous appartenons ( l'interdépendance), de proposer un modèle respectueux des exigences à la fois anciennes et nouvellement apparues, au gré des soubresauts de l'histoire la plus récente depuis la création de l'ONU (la Charte de gouvernance mondiale).
On pourra se convaincre de tout cela en regardant la liste des membres du Collegium International. Croisement des cultures, des nations, des disciplines: Politique, biologie, économie, philosophie, droit, physique. Ce Collège illustre à lui seul l'indispensable pluridisciplinarité pour qui veut peser sur le destin des nations. Mais on observera aussi la grande liberté de pensée qui caractérise chacun de ses membres. Un gage d'indépendance pour les propositions.
Les textes fondateurs méritent une lecture et une attention soutenue, centrés sur le constat des désordres majeurs, sur le concept d'interdépendance et sur un projet de Charte pour la gouvernance mondiale. Où le Collegium International n'a pas, à juste titre, la plume légère pour qualifier la disproportion entre l'importance des enjeux face aux désordres mondiaux croissants, et les multiples sommets inaboutis. Et encore, ces textes datent-ils de la période 2008/2009. Or la situation n'a fait que s'aggraver depuis. Les graves crises financières qui secouent les Etats-Unis et l'Europe depuis lors, se succédant à un rythme de plus en plus élevé, et avec une ampleur toujours accrue; la redistribution géopolitique des cartes sur le pourtour de la Méditerranée constituant un scénario absolument inédit, avec l'émergence de l'urgence de cette gouvernance; la catastrophe nucléaire survenue le 11 Mars au Japon, avec ses répliques et son onde de choc sur les modèles de production énergétique dans le monde entier, pour ne citer que quelques exemples, viennent souligner à quel point interdépendance identifiée et construite, ainsi que gouvernance mondiale ne relèvent pas de l'utopie, mais du sens même de l'histoire et des besoins immédiats des peuples et des hommes qui les constituent.
Il n'y a donc que de multiples et bonnes raisons pour répondre à l'appel de Hessel s'agissant de s'indigner et de s'engager; et à celui de N. Bordas, s'agissant de le rejoindre au sein de ce groupe "Friends of The Collegium", pour, on ne peut que le souhaiter ardemment, contribuer à ce que le Collegium International aie davantage les moyens de ses actions en termes de représentativité de la société civile.
Et la politique dans tout ça?
La tentation est évidemment grande pour les partis, quels qu'ils soient, de tenter de récupérer la voie ouverte par Stéphane Hessel avec "Indignez-vous!" puis "Engagez-vous!". Certains s'y sont même essayés à la sortie des opus. Mais la fibre qui était sollicitée chez le lecteur, et la matière même, transcendaient par nature les clivages politiques. Lorsqu'il s'agit de droits et de valeurs aussi fondamentaux, difficile pour un quelconque parti de tenter d'avoir le monopole. Contradictoire même! De plus, la parole politique étant largement discréditée, du moins dans les pays industrialisés, prendre ouvertement le relais du propos de Stéphane Hessel tout en étant, quel que soit le "camp", l'incarnation d'un immobilisme ou d'un déficit d'action relevait de l'exercice plus que périlleux.
D'un mot, toute tentative de récupération politique du double appel de Hessel est vouée à l'échec. Son propos, comme l'action du Collegium International se situent au-delà. Sur le plan des principes, des droits, des valeurs, et des institutions supranationales qui les incarnent (ou sont sensées les incarner), comme de celles qui sont à créer (l'Organisation Mondiale de l'Environnement appelée de ses voeux par Hessel).
Il n'est pas inintéressant de constater que bien après la mise en ligne de son billet "Et si vous vous engagiez avec moi aux côtés de Stéphane Hessel", N. Bordas a été interpellé sur son propre mur à la fois sur le caractère utopique de la gouvernance mondiale, et sur le caractère politisé ou non de l'initiative du Collegium International. La question ne peut pas ne pas se poser. Sa réponse fut la seule possible: le Collegium International est un réservoir d'idées créé pour aller au-delà de ce qui fonctionne encore mal, et envisager ce qui s'impose en réponse aux nouveaux désordres et surtout au nouveaux défis (l'OME).
On se situe avec le Collegium International sur le plan de réponses universelles à des problèmes universels. Aucun parti politique ne peut se placer sur ce plan là. Au mieux, les différentes majorités qui se succèdent tireront-elles profit de cette réflexion pour faire évoluer et concrétiser les avancées de cette gouvernance mondiale réelle et surtout efficace et équilibrée.
Dès lors, soutenir l'action du Collegium International via le Groupe Friends of the Collegium, c'est se situer a priori au-dessus des discours partisans, et hors le champ de la récupération politique. Ce qui ne signifie en rien neutralité et mise à distance, bien au contraire. Se "mettre au-dessus de", pour mieux pouvoir "s'engager dans".
Envoi
Et si cette double initiative, celle du Collegium International et celle de Friends of The Collegium, à peine naissante et déjà chère à tous ceux qui croient en l'humanité et en l'homme s'avérait "payante"?
Et siFriends of The Collegium permettait de canaliser les indignations et de les rendre productives, au service des ambassadeurs et chercheurs-créateurs que sont les membres du Collegium International?
Et si le concept central d'interdépendance gagnait peu à peu du terrain dans l'esprit des dirigeants et de ceux qui pilotent les organisations internationales, avec le pouvoir d'action que cela implique?
Et si le concept d'une authentique gouvernance mondiale fondée sur des valeurs humanistes imprégnées des immenses défis actuels se révélait un concept clé de la structuration des relations internationales au XXIème siècle?
Et si les déséquilibres humains, écologiques, économiques n'avaient pas toujours le dernier mot?
Et si l'homme était capable de servir l'homme, comprenant son intérêt de n'être plus un loup pour l'homme?
Et si l'accumulation des crises, plutôt que de nous précipiter vers des abîmes, faisait émerger le modèle proposé par Hessel et ceux qui l'entourent, comme le sillon à creuser, la voie qui conjugue progrès, harmonie et justice pour tous les peuples?
Et sil'universalisme respectueux des différences et des cultures venait prendre la place des haines et des communautarismes réducteurs et destructeurs?
Et siun droit universel nourri des plus récentes réflexions (cf l'avenir de la planète) devait commencer de s'imposer, vraiment, comme réponse face à un chaos jamais égalé coexistant paradoxalement avec un niveau d'organisation tout aussi inégalé dans sa sophistication économique, technique et juridique?
Et si le concept d'une véritable gouvernance mondiale se substituait au morcellement des actes souvent erratiques, aux renoncements, aux non-dits, voire aux lâchetés des gouvernances qui se succèdent (ces sommets stériles programmés ou réunis à la hâte en situation de crise) et qui n'aboutissent, lorsqu'ils le peuvent, que bien pauvrement et bien lentement, au regard des enjeux?
J'arrête là. Il y a matière pour de nombreux débats au sein de Friends of The Collegium, si pertinemment initié par Nicolas Bordas . Il y a de nombreuses interactions à développer sur les réseaux sociaux pour soutenir l'action du Collegium International auquel appartient Stéphane Hessel. Comme il y a matière pour de nombreux billets sur ces questions vitales.
Quant à moi, c'est dit et fait: J'y suis allé, et me me suis engagé dans le Groupe Facebook Friends of The Collegium.
(PS: le "Et si" est un clin d'oeil rhétorique à Nicolas Bordas. Qu'il nous permette de mettre un peu d'humour dans cette matière sérieuse!)
Deux pensées me viennent à l'esprit pour finir. Je vous les livre, la seconde étant dénuée de toute forme politique d'intentionnalité:
"We have to work harder to uphold the ideal that we are all equal & deserving of the chance to pursue our own happiness." Barack Obama le 12/03/2011
Nous reviendrons dans un très prochain billet sur les évolutions de la gouvernance mondiale au regard des perspectives inaugurées par Hessel, à la lumière des récents évènements du printemps arabe et de la double catastrophe sismique et nucléaire survenue au Japon. A très bientôt sur jb-reys.blogspot.com