vendredi 9 septembre 2011

De la colère et de l'indignation




"La raison veut décider ce qui est juste ; la colère veut qu'on trouve juste ce qu'elle a décidé." Senèque

Le troisième

"La colère, je n'en supporte pas les manifestations intempestives. C'est toujours laid une colère, même si le motif est parfois valable. Voir un homme hors de soi constitue à la fois un spectacle terrible et désolant, autant que révélateur d'un redoutable aveu de faiblesse. L'homme en colère est un homme qui se dépossède de lui même en se soumettant à l'émotion qui l'anime. Hors de lui, il ne s'habite plus. Les raisons qui le meuvent alors ne sont plus que les raisons de sa colère. Plus les siennes. La colère fait peur encore, autant à celui qui la subit qu'à celui qui la déploie. Voilà pourquoi la colère a besoin de s'alimenter elle même. De se chercher des raisons et de les brûler pour continuer d'exister. Non, vraiment, je déteste cette colère qui fait sortir de leurs gonds et d'eux mêmes ceux qui sont habités par elle."

Le second
 
"Mais alors, acceptes-tu l'indignation? Voire même l'indignation véhémente? Car à considérer la chose avec application, toutes les colères ne se valent pas, n'est-ce pas? On évoque bien les "saintes colères". Il est des colères précieuses, voire nécessaires semble-t-il. Mais s'agit-il encore de colère? Il semble bien que si l'homme indigné est le sujet d'une certaine violence, comme l'homme en colère que tu décris, pourtant cette certaine violence n'est pas assimilable à celle qui habite le premier. Il peut être indispensable de s'indigner, comme un prélude à une action éclairée. S'indigner, c'est nourrir de sa force un refus de la volonté et même de tout l'être. Ce refus ne demandant qu'à s'expliciter rationnellement. Je peux m'indigner sans devenir prisonnier de cette force. Tout au contraire. Cette indignation est comme une expression originelle de la force qui m'habite et qui veut donner corps à un refus que ma raison trouve juste d'opposer. Sans ce sursaut intérieur, ma raison serait inopérante. J'ai besoin de la force de mon indignation pour permettre à ma raison de s'opposer à ce qu'elle désapprouve. L'indignation serait donc non pas une faiblesse, mais au contraire une force. Non pas une émotion laide, mais une émotion féconde. S'indigner, pour tendre son être vers ce qui devrait être et qui n'est pas advenu. Pour le faire surgir, précisément. S'indigner et faire le lit de la raison. Ou à tout le moins de raisons, au demeurant étrangère à la colère qui n'entretient plus de rapport objectif au monde et crée ses propres justifications. A l'évidence la force à l’œuvre dans l'indignation, loin d'être une violence qui détruit, est un puissant moteur qui appelle un travail de la conscience qui scrute les raisons. Dire qu'elle est bénéfique ne me semble donc en rien exagéré."





Lui

L'indignation est de réflexion. La colère est de passion. 
Tout comme vous mes amis, je déteste les colères qui font que celui qui en est le sujet devient comme possédé, en même temps qu'il se dépossède de lui-même. Qu'elle soit froide ne change d'ailleurs rien à l'affaire. La froide colère n'est encore qu'une passion dans laquelle le sujet fait taire sa raison pour ne plus lui demander que de sélectionner les motifs pour s'alimenter. D'où d'ailleurs la redoutable efficacité de la froide colère. La raison s'applique alors avec méthode à ne plus considérer que ce que la colère réclame pour exister, loin de toute vision équilibrée et apaisée des choses. Rouge de colère ou habité d'une froide colère, celui qui laisse exister en lui cette forme de violence n'est plus que le jouet de sa passion.
L'indignation quant à elle, à l'opposé de tout cela, transforme cette violence originelle en force, la transcende, et lui fait avoir besoin d'une raison qui veut sortir de l'impasse. La colère nous conduit à des apories. L'indignation nous libère. Ou du moins ouvre une voie qui nous libèrera pour autant qu'on la suive. La colère ne fait que se nourrir d'elle-même, asservissant notre conscience, obscurcissant nos pensées et les brûlant. L'indignation ouvre nos yeux, nous pousse au questionnement et à l'action pour faire advenir ce qui est juste. Pas de place pour l'éthique chez celui qui est mu par la colère. Là où l'homme indigné lui, cherche à faire exister ce qui fait sens, et respecte les choses comme les êtres. 
Indignés, nous décidons encore de façon lucide. Coléreux, nous n'avons plus de prise sur rien et sommes voués à l'excès ou à la dérive. Puissions-nous nous garder d'être coléreux. Et cultiver notre faculté de nous indigner.



La colère d'Achille - JL David 1819




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