mercredi 7 septembre 2011

Le nuage de Tchernobyl et la justice


Ainsi donc le seul prévenu dans le procès du nuage de Tchernobyl aura-t-il bénéficié d'un non-lieu. La justice vient d'en disposer de la sorte. Il n'y a pas eu de "tromperie aggravée". Les français ont été parfaitement informés. Circulez, il n'y a rien à voir. La justice a énoncé la vérité et tranché pour ce qui est de la version officielle. 

Il y a un peu plus de 25 ans, le 26 Avril 1986, le coeur du réacteur ayant fondu,  l'enceinte de la centrale de Tchernobyl s'effondrait libérant son nuage de mort. Ce nuage, par un merveilleux prodige, se sera donc arrêté, comme nous le confirma alors le docte professeur au service de la communication officielle. La propagande devrait-on plutôt dire.

Sauf que. Sauf que très vite et depuis lors, des laboratoires indépendants, des médecins, des épidémiologistes, des journalistes analysèrent, étudièrent, enquêtèrent. Car si le nuage, par une improbable fantaisie physique et météorologique, s'était arrêté, une radioactivité anormale était néanmoins visiblement à l'oeuvre, notamment dans le Midi et en Corse. A l'oeuvre pour contaminer la végétation, puis le lait notamment, et enfin la chaîne alimentaire. A l'oeuvre pour qu'une recrudescence anormale de cas de pathologies de la thyroïde apparaisse. 

Les intéressés établirent la corrélation. La justice aura eu besoin de 25 ans et, on le conçoit aisément, d'un nombre d'expertises consistant, pour affirmer qu'il n'y en avait pas. Elle aura eu besoin dans la dernière ligne droite, de procéder à une omission tactique. C'était en Août 2011. Ainsi un rapport majeur établissant la dite corrélation n'aura-t-il pas même été pris en compte. Il fallait bien faire cadrer la vérité judiciaire avec la thèse officielle, n'est-ce pas? 
Envisager une responsabilité, même individuelle, revenait à ouvrir la boîte de Pandore, et à imposer la lancinante question de l'indemnisation, l'Etat n'étant alors plus garanti d'être épargné à la faveur de nouvelles initiatives procédurales. Or, c'est habitude, l'Etat est bien prompt à négliger les effets réels, dès lors qu'il s'agit de problématiques sanitaires dans lesquelles sa responsabilité est susceptible d'être engagée, directement ou non. Nier, minimiser, étouffer, faire durer pour ne pas payer. Telle est depuis toujours la méthode. 

Les victimes? Les malades de la thyroïde en hausse de 44% après 1986, pour certains sous traitement à vie? Les cancers de la thyroïde dont le nombre est trois fois plus élevé en Corse que sur le reste du territoire, comme le Ministère de la Santé le reconnut officiellement en 2007? Les cas de stérilité ou de malformation? D'un mot, les drames humains? La justice a décidé que tout cela n'existait pas. Ou était imputable à d'autres causes, ce qui revient au même. Qu'il n'y avait pas de corrélation. 

Qu'il n'y avait donc ni responsabilité, ni culpabilité. Des victimes sans coupables. Des maladies sans cause. Des drames humains sans réparation ni prise en charge. 

Et l'on repense aux épouses (aux veuves) de ces techniciens, ingénieurs, militaires présents lors des essais nucléaires français en Polynésie. Durant des décades, elles auront vu leur mari souffrir puis, souvent, décéder en raison de leur exposition aux radiations. Depuis des décades, elles aussi se seront heurtées à une Justice qui, la plupart du temps, aura décidé, rapports d'expertise à l'appui, que là aussi, il n'y avait pas de corrélation entre les cancers constatés et l'exposition avérée à des éléments radioactifs. Nucléaire civil ici; nucléaire militaire là. Une même technologie, l'atome. Un même danger. Et une même irresponsabilité face aux conséquences.

Et l'on repense également à cette recrudescence de cas de pathologies de la thyroïde à proximité de l'usine de retraitement de la Hague. A ce médecin ayant procédé à une enquête épidémiologique. Aux démentis officiels. A la persistance du problème.

La grandeur nucléaire de la France valait et vaut bien, visiblement, quelques catastrophes sanitaires. Les enjeux de défense et industriels justifient bien, apparemment, qu'on nie la réalité des pathologies comme des souffrances des victimes. La raison d'Etat vaut bien, de toute évidence, que la justice ne s'honore pas par sa distinction essentielle d'avec l'exécutif.

Il eût été d'une grande nation que sa justice affirme son indépendance et reconnaisse à la fois les conséquences et les causes en pointant du doigt la responsabilité de celui qui véhiculait l'information officielle. Il eut été d'une justice responsable qu'elle se soucie d'abord des malades autant que du droit des citoyens d'être informés des périls majeurs qu'ils encourent, lorsque tel est le cas, avec une technologie des plus dangereuses. Il eut été d'une justice utile et précieuse que, par une décision éclairée et n'occultant pas les faits, elle pointe les devoirs qui s'imposent aux politiques comme à tous ceux qui sont en charge d'instances informatives ou de vigilance sanitaire, dès lors qu'il s'agit du nucléaire et de ses conséquences possibles ou avérées. De toutes ses conséquences. 

On aura visiblement privilégié, par une vision étriquée et parcellaire, comme par une décision inique, la protection d'intérêts apparemment supérieurs, à celle des victimes effectives, autant qu'à celle des citoyens que nous sommes tous. On aura exclu la réparation des préjudices majeurs liés à une tromperie d'Etat. Cet Etat peut donc continuer à se tromper comme à jouer avec la santé des citoyens en toute impunité, avec la bénédiction de la justice. 

Tchernobyl et la Corse; Mururoa; La Hague. L'histoire se répète qui voit la souffrance des victimes systématiquement niée. La justice non seulement n'en sort pas grandie, mais s'en trouve même un peu plus discréditée. C'est peu dire que nous sommes fondés à concevoir les plus grandes interrogations, a fortiori lorsque la France confirme de façon presque arrogante son option nucléaire sur le plan énergétique, sans avoir tiré la moindre conséquence d'une autre catastrophe encore plus récente, celle de Fukushima.

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