dimanche 18 septembre 2011

De la tare originelle de la fonction Ressources Humaines


Ce qui m'a toujours frappé à propos des RH, de la fonction Ressources Humaines, et ce dès mes études il y a longtemps, et qui n'a fait que se confirmer depuis lors, c'est le degré auquel cette fonction repose sur un malentendu originel. Malentendu source de toutes les impostures et de toutes les tentatives de mystification à propos de "l'être au travail".

En effet, sur le plan économique, une entreprise idéale est une entreprise qui se passe des hommes. Ou à tout le moins qui en réduit le poids autant qu'il est possible. Trop chers, trop imparfaits, trop "statiques", trop imprévisibles, trop aléatoires, trop autonomes, ayant trop d'aspirations et de réflexions sur leur condition. Mais pourtant il faut bien "faire avec". Tout est dit: comment composer avec ce qu'on voudrait, dans l'absolu, éliminer.

On a donc créé la fonction RH "par défaut", contraint et forcé, pour organiser rationnellement la subordination de l'humain à la production. Pour en limiter les aspects négatifs et assurer une stimulation optimale, quel qu'en soit le prix personnel, afin de garantir à l'entreprise la pérennité de sa croissance et l'accroissement de sa rentabilité. 

Tout le reste, et surtout les sacro-saintes thématiques de la "valorisation personnelle" et du "capital humain", flanquées de toutes les théories managériales qu'on sait, y compris les plus séduisantes (dont certaines si à la mode, comme le management participatif dans l'entreprise 2.0 ou entreprise collaborative), est une théorisation élégante, mais hélas vide de sens et intrinsèquement contradictoire. Qui ne fait qu'auto-justifier la fonction RH dans son acception actuelle, sans que "l'humain" y trouve quelque avancée définitive que ce soit. 

Un signe? On n'a sans doute jamais autant parlé du dit capital humain, de la valorisation personnelle par le travail, des méthodes d'efficacité personnelle et d'épanouissement par le travail, du coaching des collaborateurs, que depuis qu'il y a un déséquilibre structurel aussi fort et se creusant sans cesse entre l'offre et la demande, avec les armées de chômeurs qui le manifeste; des tensions aussi fortes à la fois sur le marché du travail et à l'intérieur des entreprises; des contraintes si nombreuses et une pression psychologique et managériale aussi poussées; un management plus productiviste que jamais, quel que soit l'habillage qu'on lui donne; des conséquences aussi nombreuses et funestes en termes médicaux sur la santé psychologique et physique des collaborateurs; un nombre aussi élevé de suicides au sein des entreprises. 


Les collaborateurs passent, voient leur nombre diminuer sans cesse ou leur turn-over s'accroître, s'épuisent. Mais la fonction RH reste. Plus efficace que jamais, même si elle-même soumise à la logique qu'elle contribue à déployer. Il serait donc à la fois nécessaire et pertinent d'en saisir le caractère fonctionnel, sans vouloir en promouvoir une dimension humaine qui ne l'habite pas.

Le but de l'entreprise, sauf idéalement peut-être, ce n'est pas l'homme. Les RH se réclament donc artificiellement et de multiples façons de l'une (la dimension humaine), pour en réalité contribuer à la promotion de l'autre (la dimension économique). Rigoureusement, les RH devraient être rebaptisées, par exemple "SEH: Service de l'Efficacité Humaine". Comme les directives européennes par exemple le font depuis peu à propos de l'éducation, en parlant du "service de l'efficacité économique", décomplexées, utilitaristes et cyniques jusqu'à l'infâme, mais à tout le moins transparentes.
Ce qui aurait le mérite de lever l'ambiguité, et de souligner que ce qui compte en réalité au sein des entreprises, c'est bien l'aptitude de l'humain à servir l'objectif unique de la profitabilité. Sans qu'on ait besoin de l'alibi de l'humanité et de la valorisation de soi.

On nous objectera que ceci n'exclut pas cela. Que les collaborateurs peuvent y trouver leur compte. Que ce soit économiquement ou même personnellement. Mais précisément. Nous ne disons rien d'autre. "Y trouver son compte" relève de l'intérêt bien compris. L'échange humain au sein des entreprises relève de cela. Et uniquement de cela. Lorsque Hume définissait la justice comme cet intérêt bien compris, il soulignait qu'il ne faut pas aller chercher hors l'échange lui-même, dans une quelconque transcendance, le fondement de la dite justice.
De même, ne faut-il pas aller chercher dans une quelconque théorie de l'entreprise conçue comme à dimension humaine et lieu de valorisation de soi, la justification du lien qui associe le collaborateur à l'entreprise, dont les RH doivent être l'un des outils efficaces. Les RH ont une finalité économique, pas humaine, et doivent organiser, rationaliser, optimiser la gestion de l'humain pour que des intérêts a priori divergents deviennent, pour l'intérêt de l'ensemble des parties, convergents.
En réalité, et une fois relégués les alibis, la valorisation des collaborateurs n'est elle-même qu'un outil efficace qui contribue à la qualité de leur contribution. Elle n'est pas une fin. Et demeure un moyen. On serait donc bien naïf de s'enthousiasmer, comme on le voit de plus en plus autour d'acteurs de RH sévissant sur les réseaux sociaux ou autour de l'entrepreunariat, à propos de la prétendue dimension humaine des RH, faisant comme si l'humain était une fin en soi dans cet environnement, ce qu'il n'est pas. N'a pas vocation à être. Et ne sera jamais, parce qu'il ne le peut pas. Au sein des entreprises du moins.

Les RH ne peuvent pas devenir ce qu'elles ne sont pas. Ni enfanter de ce qu'elles ne portent pas. En somme, elles demeurent une fonction ni plus ni moins "humaine" qu'une autre. Une fonction parmi d'autres. Un mal nécessaire.
Ce qui explique sans doute la façon qu'on a depuis toujours de la cantonner, au sein des entreprises, sans jamais lui accorder la considération qu'on octroie aux fonctions de vente ou à celle de production.  Discrimination? Peut-être, s'agissant d'une fonction jugée, à tort, "improductive". Mais aussi symptôme d'une honte à l'égard d'une fonction qui ne peut pas s'afficher comme ce qu'elle est réellement compte-tenu de sa tare originelle. Voudrait-on réhabiliter les RH et leur donner un nouvel élan, mais fondé cette fois-ci, qu'il faudrait sans doute tomber les masques, d'où notre proposition de les rebaptiser en "Service de l'Efficacité Humaine" par exemple. Ce n'est pas qu'une question de mots. C'est aussi un recentrage managérial.
L’ambiguïté serait levée. La tare originelle disparaîtrait. Les RH s'afficheraient comme ce qu'elles sont: une fonction en charge de la productivité optimale du capital humain de l'entreprise.


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