mercredi 21 septembre 2011

Du serment d'allégeance, de la République et de la Défense Nationale






"Comme il faut de la vertu dans une république, et dans la monarchie de l'honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement despotique ; la vertu n'y est point nécessaire et l'honneur y serait dangereux." Montesquieu


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Ainsi donc M Copé propose-t-il "un serment d'allégeance aux armes". Qui concernerait chaque jeune  parvenu à la majorité et chaque demandeur de la nationalité française.

Laissons de côté la manœuvre politicienne si grossière à huit mois de l'élection présidentielle, qui vise non plus seulement à émettre un message, mais à effectuer une véritable tentative de rafle sur l'électorat frontiste, flattant le nationalisme le plus archaïque.  Manœuvre qui a au demeurant échoué à peine l'annonce faite. 

Laissons de côté aussi l'interprétation détournée des propos de Kennedy s'agissant de savoir ce que les citoyens doivent à la nation. Le président démocrate visait non pas la force des armes, mais la mobilisation de tous et toutes autour des grands enjeux et des valeurs de la démocratie américaine.

Laissons de côté encore  l'attendu de la mesure et le procès d'intention inepte fait à la gauche, s'agissant de dresser artificiellement une France contre une autre sur le thème de la défense de la patrie. Comme si l'histoire n'avait pas largement montré que le patriotisme n'avait pas de couleur politique, les victimes et martyrs autant que les héros et les traitres ne se caractérisant pas par leur camp.


Rappelons par contre et au premier chef l'origine historique de l'allégeance: cette soumission au suzerain formalisée dans le droit féodal. Le serment d'allégeance étant la reconnaissance de la fidélité et de la soumission  à un roi. 
L'allégeance est de renoncement à sa liberté; de renoncement à soi. Et de déclaration d'adhésion inconditionnelle et pour partie irrationnelle à un ordre ou à un être dont on reconnait la supériorité.

Rappelons encore que les Etats-Unis demandent en effet à ceux auxquels ils accordent la nationalité américaine de prêter un serment spécifique d'allégeance. Serment d'allégeance distinct de celui du Président ou des élus. Mais présentant ceci de commun qu'il s'agit d'une allégeance à la Constitution et non pas au drapeau. Aucune raison ici d'être choqué. Le nouveau citoyen déclare sa fidélité à ce qui fonde et donne corps à l'Etat de droit américain. Et reconnaît son histoire, à travers celle de la nation.

Mais rappelons également que ces mêmes Etats-Unis ont varié autant sur le fait de prononcer le serment d'allégeance au drapeau, la faculté d'y contraindre, que sur le protocole. Ainsi, n'est-il pas possible de rendre obligatoire de le réciter dans une école au motif que cela constitue une atteinte à la liberté d'expression, et donc à la constitution. De même, hier récité le bras levé et en avant, à la façon d'un salut hitlérien, ce serment se prononce aujourd'hui la main sur le coeur ou au salut.

Rappelons enfin que les Etats-Unis ne sont pas embarrassés par leur passé en matière d'allégeance. A la différence de la France dont le Gouvernement de Vichy aura hier, il n'y a pas si longtemps, vu l'armée prêter un infâme serment, prenant part à une collaboration active. Ou armée rime alors de façon sinistre avec souveraineté mais aussi avec crime. Ou la République s'est souillée à jamais dans l'odieux et sinistre triptyque: Travail, Famille, Patrie. Ou l'on aura confondu, précisément, soumission à un ordre ignoble et défense de notre identité commune.


Faire prêter le serment d'allégeance aux armes par les jeunes parvenus à leur majorité, c'est reconnaître un échec cuisant de la République et de son système éducatif. Qui n'auront su ou pu ni prouver, ni transmettre les principes fondateurs de l'ordre républicain et les valeurs qui le structurent. Dont le fait que la souveraineté soit un bien commun et éminemment précieux, susceptible de devoir être défendu par les armes si nécessaire.  

Devoir prêter allégeance aux armes à dix-huit ans revient à faire de la République et de ses principes une réalité extérieure à la vie des citoyens, artificielle. Comme à faire de la Nation et de l'histoire commune qui nous sculpte et nous unit pourtant, une réalité abstraite. Lors même que c'est tout au long de la vie scolaire par l'Histoire, les Lettres, la Philosophie, l'éducation civique, mais aussi par l'exemple donné de la part de ceux qui ont la charge de l'Etat, autant que par leur souci et leur respect constants des principes de la République, que cette conscience citoyenne devrait  se constituer. 

Ce qui nous ramène à Montesquieu précisément. La République est de valeurs connues, identifiées, assimilées et devenues comme le prolongement naturel de notre être; de droits et de devoirs connus et respectés. Bref, de conscience citoyenne. Réussit-on à la rendre effective que la vertu républicaine dont parle le théoricien de la République qui est la notre surgit. Plus besoin de prêter allégeance aux armes à l'adolescence ou au tout jeune âge adulte, dès lors que l'évidence s'est imposée aux consciences citoyennes de l'importance de la République et de la grandeur comme de la dimension structurante de la Nation. Un patriotisme éclairé ne peut être que le fruit d'une éducation et de l'exemple. Pas la résultante de quelques phrases prononcées à la va vite lors d'un improbable rendez-vous citoyen, quel qu'en soit la forme.

Davantage. Le patriotisme éclairé qui nous fait dépositaire, acteur et promoteur serein de l'identité nationale est affaire de liberté et d'adhésion. Que l'on cultive au fil des ans dès le plus jeune âge, dans l'exploration et la compréhension de l'Histoire commune et de l'organisation politique partagée. On ne saurait imposer la République de façon factice. Mais on peut en montrer la forme, le sens et la valeur au fil du temps, commençant dès le plus jeune âge. Sachant qu'on ne parle pas ici d'endoctrinement mais d'éveil puis de construction et de consolidation de la conscience citoyenne. L'Ecole doit premièrement répondre à cela. 

Réclamer l'allégeance aux armes, c'est souligner la faillite de l'éducation de la liberté du citoyen, autant que nier l'essence de cette dernière. Et du coup remettre en cause jusqu'aux fondements constitutionnels même de la République. Car on ne peut sans contradiction imposer ce qu'on aurait du éduquer. La monarchie appelait l'allégeance. La République réclame l'adhésion éclairée. On ne saurait imposer aux jeunes citoyens français de renoncer à ce qu'ils sont, des citoyens précisément et non des sujets, pour tenter de palier l'incurie d'un  système dans lequel on ne cherche pas en permanence, ou si peu, à donner corps à cette citoyenneté. Exit donc un tel serment imposé aux jeunes citoyens.

Le serment d'allégeance imposé aux demandeurs de la nationalité française peut quant à lui se concevoir. Mais comme l'expression symbolique de l'adhésion de principe à la République et rien d'autre. C'est la Constitution qui doit alors être visée. Certainement pas les armes! La République et la Nation sont le bien. Les armes n'en sont le cas échéant que le garant. En demandant de faire allégeance aux premières, on appelle la responsabilité et le devoir que concrétise le fait de prendre le cas échéant les secondes, si la patrie est en danger. Ou si les intérêts d'un monde libre sont menacés, puisque la République, c'est aussi le partage de droits universels. Les armes ne sont pas en elles-mêmes le bien le plus précieux, comme un glissement intellectuel aberrant pourrait donner à le penser, pris dans la tentation idéologique d'un programme politique réducteur et racoleur tel celui proposé par JF Copé.
Ce n'est pas une question de mot. Mais de principe. Sous peine que l'identité nationale soit encore renvoyée à une dimension artificielle qui aurait encore et beaucoup plus de mal à résister aux multiples communautarismes. Comme c'est le cas aujourd'hui. Sous peine même que l'idée de défense de la Patrie et des droits universels soit remise en cause, le devoir de défendre étant alors rapporté et non justifié de l'intérieur même du champ de la conscience citoyenne.

La République est universelle, une et indivisible. La Nation est par là même une et indivisible. La seule valeur et la seule légitimité des armes leur vient de la République et de la Nation. On doit par priorité et par principe demander à ceux qui briguent la nationalité française l'adhésion de principe aux premières. Cela inclut l'adhésion aux secondes si nécessaire. Mais l'ordre des choses importe ici. Et la hiérarchie.


On le voit bien par les lieux historiques et philosophiques mêmes où les propos de M Copé nous ont entraîné: l'adhésion à la République et à la Nation sont si centrales qu'elles méritent bien plus que des propositions à l'emporte-pièce et démagogiques sur un hypothétique serment d'allégeance aux armes.

Avoir placé le débat sur le terrain de la gadgétisation d'un serment au demeurant inadapté, parce qu'il concerne deux populations n'ayant pas à être rapprochées du point de vue de leur expérience politique, et se trompe d'objet (car disons le tout net: c'est la Constitution qui est en premièrement en cause; pas la défense nationale qui vient après)- n'est certainement pas prêt de contribuer à donner au débat sur le rapport entre l'identité nationale et la défense la dimension qu'ils doit avoir.
On n'en sera pas étonné, compte-tenu du contexte et de la rhétorique usuelle de celui qui en a pris l'initiative. Tout en le déplorant profondément. Le malaise provoqué dans son clan constitue une illustration de cette impasse comme de la légèreté de la mesure et de ses attendus, au-delà du porte à faux électoral qu'elle peut induire.

La République et l'adhésion des citoyens, jeunes ou impétrants, mérite mieux que la provocation et le clivage ou l'insulte à l'histoire, autant qu'aux véritables fondements de la conscience citoyenne. Et surtout est affaire, nous l'avons dit, de patriotisme éclairé, de choix politique libre et conscient. Citoyens français, nos enfants le sont de par le droit du sol. Citoyens éclairés, ils le deviennent par l'éducation et l'exemple. De même, ceux qui souhaitent faire leur notre Patrie doivent-ils commencer d'être respectés en tant qu'hommes et femmes libres soucieux d'adhérer librement et en pleine conscience à une Constitution. Non pas d'être considérés comme des sujets devant se plier à un arsenal militaire. Une véritable conscience des enjeux de la Défense Nationale ne peut s'appuyer que sur de tels fondements. Fort loin donc de ce qui nous est ainsi proposé.





   


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