mardi 13 septembre 2011

De la crise des banques françaises et de l'absence de peur de Frédéric Oudéa


Ainsi donc, ce Mardi 13 Septembre sera-t-il à marquer d'une pierre noire, s'agissant des grandes banques françaises. Après la comédie des stress tests auxquels un nombre important d'établissements ont échoué, lors même qu'insuffisamment exigeants; après le "plan de sauvetage de la zone euro" du mois de Juillet, tellement définitif qu'il est déjà caduque lors même que les parlements viennent à peine de le valider; après les rumeurs promptement démenties par les intéressés d'une fragilité de leur assise financière début Août, mais dont les faits prouvent aujourd'hui qu'elles n'étaient pas totalement infondées- après donc cet étalage de contre-vérités, pour ne pas dire de mensonges (l'Autorité des Marchés Financiers devrait apprécier); de mesures inappropriées parce que sous évaluées;  d'opérations de communication pour ne pas dire de désinformation- place à la réalité.  Car les marchés ont leur logique qui, pour être cynique et impitoyable, emporte néanmoins avec elle quelque part de vérité. On ne saurait durablement les berner. L'heure est aux comptes. A l'évaluation de l'impact des risques réels, avérés. Aux conséquences sur l'appréciation de la solvabilité des banques, celle des Etats aussi, de la façon de prendre en charge la dette souveraine d'un ou plusieurs Etats. A l'appréciation de la santé comme de la stabilité réelles de la zone Euro, compte étant tenu du poids de la dette souveraine de celui (de ceux) des Etats le plus concerné.

Mais une réalité ignorée est toujours une réalité qui se venge. La Société Générale, la BNP et le Crédit Agricole sont explicitement menacés d'une dégradation de leur note; ont vu leur cotation s'effondrer de plus ou moins 50%; ont des bilans plombés par des actifs toxiques et surtout par la menace que fait peser la dette grecque détenue en portefeuille. Un consensus semble s'établir autour du fait que la Grèce sera dans l'incapacité d'honorer sa dette, ce qui ouvre directement la voie de la restructuration de cette dernière (les fidèles lanciers envoyés au feu pour défendre le système campant d'autant plus fermement sur le terme qu'il en cache en réalité un autre. Celui de faillite). Avec l'impact évident sur les comptes de ces banques. On ne tait plus la nécessité à venir de soutenir ces établissements, via la BCE (qui a déjà anticipé et déclaré qu'elle jouerait son rôle à l'égard de ceux qui en auraient besoin) ou par tous moyens utiles. Les accords Bâle III ne sont pas encore entrés en vigueur que déjà le temps pris pour mettre en place un renforcement du système bancaire suite à la crise de 2007/2008 s'avère trop long. L'Euro se trouve au bord du précipice. La zone euro chancelle. L'Europe vacille. 

Le scénario du pire est donc advenu. Ce qui était d'autant plus normal et prévisible que l'on n'aura pas su tirer en temps réel les conséquences de la crise précédente. Le "double dip" est là lui aussi, avec des économies européennes dotées d'une croissance atone voire en repli, auxquelles on inflige néanmoins des plans d'austérité qui auront pour seul effet de tuer encore un peu plus la croissance. Plans d'austérité qu'il faudra mécaniquement encore renforcer, au regard des évènements. La récession n'est donc plus un spectre qui se profile, mais une réalité qui se concrétise inexorablement, nourrie par l'idéologie de la bonne gestion (!) des déficits. 

La situation est si préoccupante que Jacques Attali n'hésite pas, dans son éditorial de Slate du Lundi, à affirmer que puisque les politiques n'auront à aucun moment pris la mesure de la gravité et de l'ampleur du problème, le seul sursaut qui tienne désormais devrait prendre la forme d'une initiative du parlement européen qui se déclarerait "assemblée constituante" afin d'engager l'Europe dans la voie du fédéralisme. Afin qu'une véritable coordination des politiques budgétaires et économiques et, c'est indispensable, une harmonisation étendue, préservent l'édifice européen en passe de se disloquer, l'Euro se brisant sur l'écueil de l'absence totale de solidarité entre les Etats membres, la Grèce n'étant que le premier domino à s'effondrer, entraînant avec lui tous les autres: Banques, Etats, Monnaie. 

C'est peu dire que l'heure est grave; sinon dramatique pour le destin commun de plus de 500 millions d'européens. On voudrait entendre un discours qui prenne acte de la fébrilité des marchés et de la justesse des raisons qui la motive. Un discours qui donne à voir qu'on a envisagé une sortie par le haut  (une vraie logique budgétaire supranationale) face à un problème de dette souveraine inédit dans son ampleur. Un discours qui traduise que si les accords de Bâle III ne sont pas encore pleinement concrétisés, les mesures liées aux ratio de capitalisation sont en cours de déploiement, le bien fondé de ces derniers étant pleinement validé. Un discours qui indique comment on a anticipé une défaillance majeure prenant la forme d'une crise de la dette souveraine, les chutes subséquentes, et les éventuels besoins ponctuels, le temps de parvenir au niveau des exigences de Bâle III. 

Tous éléments dont il n'est nulle part écrit par principe qu'ils déstabiliseraient davantage les marchés, puisque précisément, ils auraient le mérite de donner à ces derniers des signaux forts. Agir ainsi ne serait pas jouer contre soi-même, mais permettrait de restaurer la sacro-sainte confiance. Faut-il redire qu'on ne triche pas avec les marchés. Encore moins avec les agences de notation, quelque jugement qu'on porte sur elles. 
Mais encore faut-il avoir quelque chose à dire aux marchés. Encore faut-il avoir réellement prouvé que la solvabilité est acquise et que les liquidités sont en proportion suffisante. Que l'on a nettoyé les actifs toxiques. Que les provisions qui devront être passées pourront être supportées sans fragilisation. Encore faut-il avoir une vision non pas simplement de la sortie de crise, mais du nécessaire infléchissement et de la nécessaire accélération de la construction européenne permettant la stabilisation de la zone euro, et prenant la forme d'une intégration économique plus forte. 

Mais, en lieu et place de cela, on n'entend, à quelques rares exceptions, aucun discours qui donne à penser que les décideurs économiques et politiques ont pris la mesure des évènements et de leur responsabilité. On exerce un lobbying actif à l'endroit de la BCE (qui ne semble guère se prêter au jeu) pour différer et assouplir la mis en oeuvre de Bâle III. On sous-estime l'impact de l'origine des désordres, encore inédite dans l'histoire de la zone euro. On sous-estime la toxicité des actifs présents dans les bilans. On fait relayer par la voix de Ministres tout aussi ridicules que peu convaincants un discours lénifiant sur la santé de l'économie nationale, la solidité des Etablissements financiers et l'absence de problème, oubliant qu'il y a un mois à peine, la BCE a du soutenir une banque européenne qui n'a pas été nommée et qui aura eu besoin de 500 millions d'euros de liquidité. Lors, la menace de la défaillance grecque n'était pourtant pas aussi explicite! 
On oscille ici bien plutôt entre déni et méthode Coué, que l'on juge sans doute nécessaire pour "ne pas affoler les marchés". Position d'autant plus illusoire que précisément, les dits marchés reprochent à ces mêmes décideurs, et font payer très cher à l'ensemble des acteurs, leur cruel manque de transparence et de réalisme sur les risques réels attachés au mode de gestion choisi pour faire face à une évènement critique, celui de l'explosion de la dette souveraine d'un pays membre de la zone euro, l'acculant à la perspective de la défaillance.

Symbole absolu de cette attitude pour le moins irresponsable, les propos tenus ce jour par le Président-Directeur Général de la Société Générale, Frédéric Oudéa. 
"Je n'ai pas peur" a-t-il déclaré. Dont acte. Les places boursières s'effondrent. La capitalisation des banques font de moitié en 3 semaines. La banque même de ce dirigeant a d'ores et déjà annoncé qu'elle devrait augmenter les licenciements prévus dans son son plan "Ambition 2015" (le bien nommé), en rapport direct avec les évènements. Les banques centrales vont être sollicitées pour des montants supérieurs à ceux de 2008. Les citoyens et contribuables européens en sont quittes pour des plans d'austérité avec des hausses immédiates et des ponctions directes sur le pouvoir d'achat. Les PME vont voir le crédit dont elles disposent réduit de façon draconienne parce qu'elles présentent des risques accrus (un comble), avec les conséquences inévitables en termes de défaillances d'entreprises, de chômage et de repli de la croissance. Les comptes publics vont se trouver encore plus déséquilibrés avec obligation de renforcer encore davantage les politiques d'austérité. La richesse nationale va confirmer son déclin dans une spirale descendante. Un pays membre de la zone euro est en situation d'insolvabilité avec un contexte social et humain dégradé à l'extrême. Le risque systémique n'a jamais été aussi proche. La menace politique qui pèse sur ce qui a été le fruit de plus de 60 ans d'efforts au sortir de la seconde guerre mondiale, en Europe, n'a jamais été aussi forte. 
Mais ce dirigeant de banque qui aura besoin demain, c'est inévitable, de la BCE et de l'Etat français "n'a pas peur".   
Frédéric Oudéa est à lui seul une figure. Une incarnation. Celle de l'aveuglement, du cynisme, du court-termisme, de l'arrogance, de la légèreté condamnable, mais aussi de la faillite d'un système bancaire coupé de l'économie réelle et enfoncé dans les contradictions de l'économie financière et de la spéculation, y compris sur, contre et au détriment des Etats et même des autres banques.  
Il serait bien que nos gouvernants, à la différence de 2008 et des prêts qui furent consentis avec des contreparties alors tenues secrètes, ce dont tout un chacun put apprécier la valeur démocratique s'agissant de fonds publics, se rappellent cela, au désormais proche moment de soutenir la Société Générale et les autres grandes banques. Car on ne saurait indéfiniment pallier sans contraintes accrue les irresponsabilités et manque d'anticipation, et donc de prudence s'agissant pourtant de leur coeur de métier, l'analyse du risque, d'acteurs économiques majeurs. 

Bergson définissait ainsi le rire: "Du mécanique plaqué sur du vivant". Lorsque Frédéric Oudéa déclare "Je n'ai pas peur", on peut aussi partir d'un immense éclat de rire tant cette déclaration est surréaliste. La réalité vivante et à l'agonie de l'économie réelle: celle de la Grèce, celle de la zone euro, celle de la France, celle des banques, celle des entreprises, celle des citoyens et contribuables, se laisse si peu et si mal cerner par cette répartie que l'on ne peut qu'y voir l'expression d'une pensée rigide, enfermée dans sa construction, et coupée du réel. Psycho-rigide? Peut-être. Sans doute même. A tout observateur sensé, la situation, les risques, les enjeux, les conséquences donnent le vertige. Ce vertige peut être dissipé par l'analyse économique et politique. La peur pour n'avoir pas le dernier mot, fait partie intégrante de la perception d'une telle situation économique. En se privant de la peur, l'auteur de cette saillie se prive de la vie. On peut en rire, à n'en pas douter. Rire jaune sans doute. Mais aussi en frémir, compte-tenu des responsabilités de l'intéressé.


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