lundi 19 septembre 2011

Du bruit de l'arbre qui tombe et de la phénoménologie



L'ami, songeur

L'arbre qui tombe dans la forêt fait-il du bruit si personne ne l'entend ?


Lui, interpellé

Si c'est fait exprès, c'est subtil. Si c'est un hasard, tu dois vite commencer écrire des poèmes onirico-philosophiques mon ami. Car tu touches là, à ta façon, à une théorie philosophique qui existe déjà. 

Laisse-moi te dire, en  quelques mots, de quoi il retourne. 
Si le monde n'existe comme monde que pour une conscience qui se le représente, alors au sens strict, hors cette conscience qui le "vise" intentionnellement, il n'a pas de réalité. Donc l'arbre dont tu parles n'existe pas comme objet quand il tombe, et encore moins son bruit, si nul ne l'entend. 

On dira "mais c'est absurde, il y a la réalité". A quoi le philosophe objectera que cette "réalité" ne se dévoile comme telle que pour une pensée qui l'appréhende, et n'a aucune existence "en soi". La "réalité", ça n'existe pas! Il n'y a que des constructions, des projections, des visées intentionnelles sur une réalité qui ne se constitue comme telle qu'à travers l'expérience d'un sujet qui la pense. D'ailleurs, nous ne savons toujours pas, et nous ne saurons jamais ce qu'est la réalité! L'objet même de la question se dérobe au moment même où nous la formulons. 

On dira "mais la chute de l'arbre est un fait objectif", le "bruit" qu'il fait aussi. Et bien non, car fait-il un "bruit ou émet-il un "son"? Certes, à la base, il y bien une onde, conçue comme phénomène matériel. Mais les propriétés acoustiques et harmoniques du son ne sont telles que pour un sujet qui les perçoit. 
Certes il y a un rapport entre la structure physique de l'harmonique et la sensation auditive de celui qui le perçoit. Mais précisément, le bruit de l'arbre ne devient "son" avec toutes ses propriétés que dans l'expérience que l'on nomme psycho-acoustique. On ne saurait caractériser le "bruit" de l'arbre dans l'ensemble de ses propriétés que par rapport à l'expérience du sujet qui entend: ça fait mal ou non aux oreilles selon que le bois craque fort ou pas; c'est feutré ou pas selon ce qui recouvre le sol; c'est "impressionnant" ou pas selon le nombre de décibels, etc... Bref, toute la palette de l'expérience subjective "construit" la réalité de l'arbre qui tombe. Qui n'a donc plus rien d'un fait objectif "en soi". 
Ou encore, le botaniste va le regarder d'une certaine façon; le rationaliste d'une autre; le météorologiste d'une autre; le poète (comme toi) d'une autre encore, l'animiste des sociétés primitives comme une manifestation transcendante, etc. 

Ainsi et pour reprendre ton aphorisme, si personne ne l'entend, l'arbre ne fait pas de bruit. Insensé? Tout au contraire, cela souligne à quel point notre présence au monde et la façon de le "viser" (l'expression est des phénoménologistes, puisqu'il faut les appeler ainsi), définit le dit monde. 

C'est tout le livre de la connaissance dans toute sa diversité qui s'ouvre alors. Aussi celui de la responsabilité. Car si je suis responsable du "bruit" de l'arbre qui tombe, alors je suis responsable de la terre entière! Enfin, c'est tout l'art, toute la philosophie qui s'ouvre aussi dans cet arbre qui tombe. Accessoirement, on voit aussi s'ouvrir le grand livre des relations humaines: toi, moi, les autres, nous ne "visons" pas le bruit de l'arbre de la même façon. L'échange peut commencer! 

Vertigineux non?






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