jeudi 19 janvier 2012

Dentelle(s) et dessous

(Au lendemain du "Sommet social" du 18/01/2012 tenu à l'Elysée et voulu par le Chef de l'Etat, ainsi que de la cession de l'Entreprise de lingerie Lejaby jusqu'ici placée en liquidation judiciaire)

Les hasards de la vie économique et sociale ont voulu que le jour où le Tribunal de Commerce de Lyon prononçait la cession de l'entreprise de lingerie Lejaby, le Chef de l'Etat convoquait en grande pompe les partenaires sociaux à l'Elysée afin de tenir un "Sommet social" qui devait être déterminant dans la lutte contre un chômage massif flirtant désormais, officiellement, avec la barre fatidique des 10%. C'est du moins ainsi qu'on l'avait mis en avant de longue date, communication (gesticulation) électorale faisant loi.

Autant dire que si sur le front de la juridiction consulaire, les magistrats devaient faire dans la dentelle pour tenter de sauver l'experte entreprise de dessous et autres parures qui employait encore (n'employait plus que) 450 personnes, 4 sites de production ayant déjà été fermés depuis 2003 et la production délocalisée en Chine et la Tunisie, évidemment; à l'inverse, c'est l'artillerie lourde qu'il fallait déployer sur la présidentielle scène de ce qui était présenté comme une initiative majeure de l'exécutif pour faire face à la gangrène qui détruit à la fois notre économie, notre cohésion sociale, et notre même unité nationale. 

Et accessoirement pour tenter de faire oublier que l'actuel inexpérimenté, imprévoyant et responsable capitaine à "deux sous" (qu'on lira phonétiquement, ndla), qui rappelait en 2007 alors qu'il était déjà en campagne (vague souvenir d'avocaillon) "l'obligation de résultat" à laquelle il se devait en matière de chômage par opposition à "l'obligation de moyens", pour en déduire son objectif du quinquennat pour l'emploi fixé à 5%- pour tenter de faire oublier donc, que ce tricoteur politique aura été l'artisan efficace d'un chômage à deux chiffres, si l'on tient compte des tactiques et manipulatrices radiations administratives massives de Pôle Emploi (entre 20 000 et 40 000 par mois,  le soin étant laissé au lecteur de calculer ce que cela donne en extrapolation annuelle et d'apprécier la qualité de l'information - la propagande- officielle).  

Largement de quoi être au 36ème dessous pour l'économie et le moral des français. Et un défi pour ce spécialiste du voile démagogique, car il est bien malaisé de masquer les chiffres pour tenter d'érotiser sur le plan politique une cohorte de près de 5 millions de chômeurs en vue de la toute prochaine échéance reine.  

Un Sommet en forme de Grand-Messe sociale pour un candidat-président sur le fil du rasoir électoral qui ne pourra pas se contenter de se retrouver bras dessus bras dessous sur les estrades de ses futurs meeting pour essayer de faire oublier qu'il aura mis l'économie sans dessus dessous notamment avec ses options fiscales hasardeuses, clientélistes et oligarchiques, son absence totale de politique industrielle, et sans faire dans la dentelle si l'on en juge par le détricotage minutieux et extensif du droit social et de l'Etat-Providence opéré sous couvert de RGPP, de convergence européenne, de conservation d'un Triple A, trésor perdu malgré tout. 

Un Sommet Social pour tenter de rééquilibrer, sans le dire - et peut-être même sans le savoir!- , une donne entre le travail et l'épargne s'agissant d'un Etat qui détient la seconde place européenne en la matière avec un taux d'épargne record à près de 16,8% (données 2010 OEP parues en 2011) mais dans le même temps un taux de chômage record lui aussi avec une performance à 10% quand l'Allemagne réalise presque deux fois moins à 5,5%.  Où l'on voit de façon criante qu'il y a anguille sous roche, car si  les Français ont un bas de laine (qui aurait bien servi à Lejaby), tout comme l'économie nationale, cette épargne ne vient pas financer l'économie réelle et productive mais la seule économie financière, le "credit crunch" étant devenu réalité, puisque le chômage est endémique et l'économie en récession avec une croissance arrêtée. 

Le taux d'épargne pourrait donner l'envie de faire une petite folie en s'offrant des bas de soie à travers l'offre d'une économie de luxe visée par Lejaby sans toucher à l'essentiel du bas de laine; mais la dure réalité climatique et spécifiquement française du taux de chômage glaçant déjà évoqué (surtout pour les plus jeunes à presque 25% et les plus de 50 ans) contraint à porter des collants de laine, lingerie adaptée en temps de crise en général et de crise de l'emploi en particulier contre laquelle l'illusoire Sommet était censé lutter, en vain. 

Un Sommet social pour aborder, c'est du moins ce qui était annoncé, la très délicate question de la TVA sociale contestée jusque dans les rangs de la majorité présidentielle, et pour cause, puisque si la mesure peut être efficace en phase de croissance, elle est catastrophique en phase de récession. Catastrophique parce qu'elle hypothèque toute reprise par la consommation, outre son caractère profondément inégalitaire sur le plan fiscal, lors même que la sacro-sainte (ou qui devrait être telle) et républicaine valeur d'égalité devrait s'imposer au politique comme une priorité absolue, au moment où le précieux et méconnu coefficient de Gini qui mesure le degré d'inégalité des revenus atteint en France 0,289, le rapprochement d'avec les pays les plus inégalitaires au monde  (La Chine, le Brésil) étant en marche, lentement mais sûrement.
Où l'on rappellera comme une donnée structurante sur le plan économique et politique que la première source d'inégalité est celle devant l'emploi et la formation, presque toutes les autres découlant de celle-là. Une inégalité qu'il faut prendre à bras le corps, moyens colossaux à l'appui, tant son déploiement nécrose la société toute entière. Las, le corps resta nu, et l'égalité dépouillée!

Un alignement de la France à travers le coefficient de Gini sur le moins-disant économique et social, ce qu'on appelle un nivellement de l'économie par le bas, le chômage massif objet du Sommet qui devait être traité constituant l'un des effets pervers de cette logique. Un chômage massif qu'on aura traité par dessous la jambe en réalité, dans un quasi bras d'honneur présidentiel insultant, autant pour les négociateurs assis à la table que pour les citoyens. Insultant puisque ce qui devait être négocié ne fut pas même abordé, le candidat gardant ses effets d'annonce pour plus tard, dans sa non-campagne vilement politicienne. 
Les demandeurs d'emplois actuels ou potentiels (c'est à dire absolument tous les salariés compte-tenu du contexte macro-économique) apprécieront cet exercice de vente sur catalogue électoral pour petit commercial en mal de l'ultime renouvellement de son CDD élyséen de 5 ans. 

Un sommet social où le Chef de l'Etat aurait du examiner avec les partenaires sociaux la façon de faire enfiler à la France le pardessus de la compétitivité, pour affronter les coups par en dessous des BRICS et de leur terrifiant et régressif dumping social. Mais de compétitivité il ne fut pas non plus question. Autant dire que s'agissant de la crise vue du dessus de l'emploi, le chef de l'Etat mérite bien un bonnet. Un bonnet dont la profondeur ne saurait être que E, métaphore vestimentaire oblige, le personnage n'ayant rien d'un saint (qu'on lira phonétiquement là encore, ndla), qu'on affublera donc du bonnet d'âne seulement des dirigeants européens les plus incapables de traiter face à face les difficultés colossales d'un emploi passé par dessus bord des préoccupations financières liées à la crise de la dette, en tout aveuglement économique.

Et nul ne sera dupe des mesurettes tout juste dignes d'un Premier Ministre (qui aura été malmené sans gants - l'accessoire élégant, toujours-  concernant sa méthode de réforme en 2003, mais il a l'habitude d'avaler des couleuvres, et de comporter davantage comme l'ami de son maître que comme une panthère - le souci du détail encore- face aux défis de la nation ). Mesurettes pour 430 millions d'euros malgré tout, mais dont absolument aucune ne contribue directement à traiter la question du chômage et de l'emploi, les 100 millions d'euros affectés au chômage partiel, nécessaires c'est évident, étant déjà entérinés avant le sommet. Et l'on ne parlera pas davantage, par exemple, de l'effet sur l'emploi du recrutement de 1000 collaborateurs pour Pôle Emploi (sur un effectif de 42 000), après que le même gestionnaire avisé ait supprimé 1800 emplois au sein de cette entité pour cause de crise, le solde net s'établissant donc à -800, ce qui n'échappe à personne. N'est pas Houdini qui veut. 

Où l'on voit que la panoplie de mesures s'apparente davantage à un étalage de colifichets qu'au renouvellement de la garde-robe des instruments de la politique du gouvernement en matière d'emploi. La belle aguicheuse ne trouve visiblement même plus le ressort de la simulation efficace, fanée qu'elle est par les échecs de son racolage budgétaire inefficace dont la dégradante et symbolique perte du triple A, et enlaidie qu'elle se trouve par le sinistre maquillage dégoulinant d'une convergence européenne et d'une règle d'or hier négociées elles, nécessaires en soi, mais qui ne vêtiront absolument personne en termes d'emploi, le risque étant grand pour les salariés avec et sans emploi de devoir aller "cul nu" et de "se faire rhabiller". 

A Lyon, les magistrats firent plutôt honneur à leur fonction en attribuant à un entrepreneur expert du secteur puisqu'il avait déjà dirigé La Perla, le bénéfice de la cession. Expert et familier du positionnement sur le segment de la lingerie du luxe, avenir marketing obligé auquel Lejaby est semble-t-il promis. A défaut de diffusion massive d'une lingerie bon marché faute de compétitivité, Lejaby se déclinera désormais à la façon des dessous chics chers à Gainsbourg. 

On n'aura pas mis de rubans au paquet cadeau, car c'est malgré tout dans la douleur que cette cession intervient, seuls 195 emplois sur les 450 étant sauvés dans le cadre du plan de reprise validé par le Tribunal. Largement de quoi être sans dessus dessous pour les salariés qui ont perdu leur emploi. Mais à tous le moins aura-t-on préservé une part de la pudeur et du respect de principe que l'on doit à ceux qui vivent de leur travail, qui plus est salarié. C'est à dire la très grande majorité des français, n'en déplaise à un chef de l'Etat qui voudrait que tous se transforment en chefs d'entreprise pour marché inexistant ou déprécié, rien que pour dégonfler les statistiques du chômage, précisément.

A l'Elysée, on aurait du lutter contre le chômage non pas en faisant dans la dentelle, mais en abordant le fléau à la sulfateuse, comme aurait dit Michel Audiard. On aura visiblement préféré les délices des ronds de jambes de la négociation à la puissante étreinte des options budgétaires courageuses utiles à la réduction de cette plaie de l'économie. 

Les syndicats qui n'en pensent pas moins seront restés sur leur quant à soi (qu'on lira phonétiquement, ndla).

Il est des caresses (dans le sens du poil) insupportables dans leur douceur feinte comme leur subtilité hypocrite, quand des sujets comme celui de l'emploi sont en cause. C'est le lot du désenchantement lorsque la tromperie a brisé l'indispensable unité du couple entre un peuple et son représentant ultime, a fortiori lorsque l'on doit traverser les épreuves. 

L'emploi et sa privation surtout, qui méritent mieux qu'un représentant insouciant en articles de luxe, quels qu'ils soient (et depuis le premier jour), qui se concentre sur l'accessoire là où il faudrait parler d'une efficace combinaison de moyens à la fois budgétaires, fiscaux, et administratifs. 

De se concentrer sur l'apparence, on laisse souvent les interlocuteurs et électeurs désemparés et/ou en colère. En panne, en rade, comme leur vie professionnelle et leur vie tout court.

Sans dessus dessous.


capture d'écran du site lemonde.fr




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