mardi 10 janvier 2012

Atlantico, SeaFrance, l'élection présidentielle et l'esprit d'entreprise


(Qui n'était pas prévu, mais je n'y résiste pas. Il faut savoir être attentif au réel.)

Jean-Sébastien Farjou, jeune et gourmand rédacteur en chef d'Atlantico (déjà identifié sur l'échiquier électoral des médias en campagne dans un autre billet de votre serviteur), ce matin, sur France Info, à propos des salariés de SeaFrance qui ont rejeté la proposition d'affecter l'ensemble de leurs indemnités surabondantes à la constitution de la SCOP pourtant espérée, le lendemain de la mise en liquidation judiciaire de leur entreprise:

"C'est là qu'on voit qu'ils manquent d'esprit d'entreprise" (sic).

Dîtes, jeune baveux inepte et indécent porte-parole à peine dissimulé de la pensée néo-libérale, ne vous a-t-on pas appris pendant vos études que le rôle des "salariés" n'est pas de créer leur emploi (en créant sans financement externe et sans tour de table, une entreprise qui ne détiendrait aucun actif et qui ne servirait qu'à produire et enrichir les prestataires et fournisseurs fossoyeurs) avec leur épargne ou leurs indemnités (celles-ci étant en soi appelées à alimenter celle-là)? 

Ce qui est le rôle des "investisseurs" qui courent ainsi un risque récompensé peut-être, c'est la règle du jeu, par des dividendes et une valorisation de leur capital.

Mais qu'il leur appartient de délivrer une prestation de travail dans le cadre d'un contrat conforme aux exigences légales et conventionnelles en contrepartie d'une rémunération qui sera toutefois perdue dès que le contrat sera rompu, l'heure étant hélas venue depuis hier pour les salariés de SeaFrance dont vous parlez avec une légèreté qui n'a d'égal que votre inculture, les indemnités de licenciement réparant le préjudice important ainsi subi.

Ne vous a-t-on donc pas même appris la différence entre le capital et le travail, et donc les spécificités de la rémunération du capital et du travail?

Si l'on ne vous a pas appris ça, jeune pisse-copie, alors, il est urgent de transformer intégralement la rémunération des enseignants en "rémunération au mérite" ou, mieux encore, en "dotation financière pour objectif pédagogique atteint" ou, plus lumineux encore, en "stock option du savoir transmis".

Je suis certain que vous adorerez cette dernière idée en réalité, qui permettrait de différer le paiement de la prestation de l'enseignant, de plusieurs années donc, pour s'assurer que la valeur ajoutée productive de la formation initiale est bien effective dans la durée. Génial et motivant non, pour éviter que de mauvais élèves comme vous, passés donc en de mauvaises mains si on ne vous a pas appris ce qui précède, ne sévissent dans les médias?

Je suis en outre convaincu, pour être fidèle à votre présupposés idéologiques puissants tout en étant masqués (et s'ils sont inconscients, alors là, c'est encore pire que le pire!), que vous ne verrez aucun inconvénient, bien au contraire, à ce qu'on élimine ainsi tout ce vocable archaïque de "salaire", "mérite", "prime", "indemnité", "allocation", trop connoté "droit social", "Front populaire", "Gauche progressiste", "Etat-Providence" n'est-ce pas?

Au moins pourra-t-on espérer que dans l'avenir vous et bon nombre de vos petits camarades de promotion sévissant à l'heure actuelle dans l'univers joyeux et parfois (souvent) débilitant (la preuve) des "pure player", lorsque vous serez amenés à commenter des faits d'actualité graves et sérieux, ne pourrez plus sortir des âneries qu'on sanctionnerait d'un zéro pointé en fac, dans une quelconque ESJ ou à Sciences-Po. 

Le néo-libéralisme absolu appliqué à la rémunération des enseignants comme rempart définitif contre les graves fautes de raisonnement économique et juridique (entre autres) des journalistes ainsi formés. Vous devriez exulter, non?!

Et si vous le savez, si vous savez que ce que vous dîtes est l'un des fers de lance de la destruction programmée du droit social, de la limite formelle entre capital et travail, entre salarié et entrepreneur ou mieux investisseur, entre salaire et dividendes, alors dîtes clairement que vous roulez pour l'UMP jeune homme.

Demandez à la toute aussi nulle sur le plan juridique et économique Ministre Nathalie Kosciusko-Morizet qui a appris les Maths et la Physique à Polytechnique et aussi comment marcher au pas - ce qui lui sert beaucoup dans le gouvernement auquel elle appartient- (dont nous avons parlé dans un autre billet, s'agissant d'une néo-propagandiste peu convaincante mais encensée en haut lieu- enfin "haut", c'est une façon de parler, n'est-ce pas, au propre comme au figuré) de vous envoyer copie de ses discours et de ses prises de parole; apprenez-en le texte par coeur; "recrachez"-le dans les médias et sur les pages d'Atlantico; et changez la bannière d'Atlantico.fr en indiquant "Organe officiel de l'UMP". JF Copé adorera.

En précisant dans un "chapô" si cher à votre tradition professionnelle, par exemple: "Organe de presse officiellement reconnu par l'UMP et porte-parole de ce dernier parti politique, a vocation de diffusion inconditionnelle des idées et thèses néo-libérales en vigueur dans le gouvernement de Nicolas Sarkozy et au sein du parti présidentiel lui-même subordonné à l'ambition personnelle de son héros, sans souci premier du rôle constitutionnel des partis en matière de liberté de pensée et d'expression du suffrage". 

Au moins tout sera clair. 

Il faut savoir prendre des risques jeune homme. C'est ça l'esprit d'entreprise appliqué à votre profession: dire clairement d'où et pour qui (ou pourquoi on refuse cela, précisément) on parle. Et tenter de faire des profits (au moins d'équilibrer les comptes, ce qui est déjà très difficile dans votre profession) avec ce discours identifié là sur l'ensemble de l'actualité.

Ne pas le dire tout en le faisant, ce qui est votre cas, cela s'appelle, selon le point de vue, de la malhonnêteté intellectuelle, de la propagande non officielle, du soutien électoral déguisé, de la désinformation, du cynisme économique et utilitariste, et, et, ...

...j'entends venant de je ne sais où un certain Michel Audiard qui me pousse du coude en me disant d'ajouter "de la connerie en barre", formule que j'adjoins donc. 

Tout en y adhérant, je l'avoue. 
Et savourant même ce type de prose tant il faut parfois rappeler à certains journalistes qu'ils ne sont assis que sur leur postérieur, et qu'ils feraient mieux de tourner leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler de choses aussi sérieuses que celles que l'actualité quotidienne charrie dans son flot incessant et qui parle de la destinée (du drame) d'hommes, de femmes, de familles, de villes, de régions entières et par légions. 

Toutes choses avec lesquelles, jeune homme, on n'a pas le droit à l'erreur de l'interprétation théorique ou du stupide parti pris politique. Car lorsqu'on se trompe, ce qui est hélas le cas de cette sinistre affaire SeaFrance dont votre héros s'est fait le champion et qui finit par le fond (comme à chaque fois), les perspectives d'activité et d'emploi étant réduites à une peau de chagrin pour chacals en mal d'optimisation (ça ne vous aura pas échappé n'est-ce pas? Entre Eurotunnel qui veut spéculer sur la location tout en coulant la future SCOP, si elle existe, pour asseoir son trafic transmanche; la SNCF qui veut amortir une énième fois, après l'avoir racheté, un matériel, des navires en l'occurrence, qu'elle n'aura pas même aidé à entretenir tout étant parti de là, alors qu'on parle d'une fraction infinitésimale de son actif et de son bilan; la SNCF encore qui veut bien récupérer seulement ... 200 ou 300 salariés elle aussi, voire moins, comme Louis Dreyfus Armement, mais avec une rémunération réduite de 40 ou 50% -quelle aubaine!)- lorsqu'on se trompe comme vous le faîtes, donc, c'est tout un pan de l'économie qui part à la casse. 

Et face à ça, votre naïve apologie de l'entrepreunariat pour salariés brisés ne relève pas même de l'écume des jours, mais de la vomissure journalistique dont Atlantico est visiblement capable, avant d'en devenir familier, n'en doutons pas, au fur et à mesure que la campagne "montera en pression". C'est dire les horreurs qu'il y a encore à attendre de votre plume, de votre discours, ou de votre direction (mais nous dirons désormais "management", ce sera mieux) de la rédaction de votre pure player.

Mais au fait, et pour en terminer, vous êtes salarié d'Atlantico, jeune homme?

Je vous propose donc, en cohérence avec votre point de vue économique général appliqué au problème particulier de l'affectation par les salariés désormais licenciés de SeaFRrance de leur indemnité de licenciement surabondante, de suspendre intégralement votre rémunération durant toute la campagne électorale, et d'affecter votre salaire au fonctionnement de votre média qui n'est toujours pas à l'équilibre malgré les soutiens, je vous le rappelle. Et qui a besoin d'investisseurs et financiers, précisément. 

Nous ferons le point (une assemblée générale ordinaire suffira mais s'imposera, n'est-ce pas, que nous ferons dans les 90 jours, comme il se doit. Vous n'allez quand même pas nous dire que vous êtes pressé de percevoir votre compensation financière?) après le 7 mai 2012 et vous donnerons ou pas quitus de votre politique rédactionnelle en fonction de l'audience d'Atlantico et de la confirmation de son positionnement à droite, et surtout, de la réélection de votre champion, l'actuel Chef de l'Etat.

Et s'il n'est pas réélu, hélas, mais dans la droite logique de votre point de vue sur SeaFrance, et bien, vous ne serez pas du tout rémunéré, il n'y aura aucun dividende à toucher, puisque l'objectif de profitabilité politique appliqué à l'activité journalistique d'Atlantico n'aura pas été atteint.

Comment?
Vous n'êtes pas d'accord?
"Et tout le travail que (vous) avez fourni pour que Nicolas Sarkozy soit réélu et que ses thèses néo-libérales prévalent", dîtes-vous?
"Et comment allez (vous) faire pour vivre avec (votre) famille et vos charges", dîtes-vous?

Mais enfin, jeune homme.
Mais enfin, Monsieur le rédacteur en chef d'Atlantico, comme vous l'avez si bien dit...

"Il faut avoir l'esprit d'entreprise"!






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