vendredi 20 janvier 2012

A propos de la sincérité digitale des marques


Les délices du marketing, à propos de la sincérité digitale des marques

A vu passer ce jour un petit bijou d'oxymore qui aura fleuri sur une page dédiée au marketing, à propos d'un dossier à venir:

" (...) autour de la Sincérité Digitale des Marques"

Cher Monsieur, (vous n'êtes pas le seul à gloser sur la question, le domaine ayant au moins le mérite de faire vivre quelques agences et donc de fournir des emplois, ce qui n'est déjà pas si mal), le digital devenu paradigme économique et sociétal n'a rien changé au marketing sur le fond: 

Il s'agit toujours de l'art permettant de vendre à quelqu'un qui n'en a pas immédiatement besoin quelque chose qu'on va tenter de faire passer pour indispensable. 

Un art très élaboré, c'est évident, a fortiori quand il vient greffer son corpus d'études et techniques quantitatives sur les sciences sociales et du comportement (et inversement). D'où sa redoutable efficacité.

Le reste, digital ou pas, conversationnel ou pas, social ou pas, 2.0 ou pas, c'est de l'habillage. Sophistiqué certes (techniquement, car conceptuellement, c'est tout autre chose); up to date, c'est une évidence; tendance, c'est encore plus vrai; incontournable, cela s'impose; de l'avenir, c'est inévitable- quand il est digital, mais de l'habillage toujours.

Je vous garantis que lorsqu'on pilote la stratégie financière d'une entreprise ou d'un groupe, la "sincérité" sur laquelle vous allez vous interroger est bien le cadet des soucis, l'image et les valeurs véhiculées tout comme les propriétés de la rhétorique n'existant qu'à titre de composantes subordonnées à la visée des ratios de rentabilité. 

Ou plus exactement la "sincérité" d'un positionnement ou d'une expression digitaux ne valant qu'à partir du moment où elle contribue à l'efficacité économique et financière du dispositif marketing qui ne sera évalué que de l'unique point de vue de l'accroissement des parts de marché, de la croissance du CA, de l'augmentation des marges, la notoriété et les valeurs couvertes par le champ sémantique et opérationnel de cette dernière dont la sincérité fait partie étant prise en compte, mais comme une donnée subséquente, dérivée, induite, toutes choses synonymes de "subordonnées". 

Et pour être "sincère" on n'en est pas pour autant "véridique", de la même façon que pour être "authentique" on n'en est pas pour autant "vrai", "honnête" ou "loyal". 
Une "Marque" étant une construction économique et marketing profitable promue par une structure d'entreprise à but lucratif par nature a-morale, c'est peu dire que l'éthique n'a ici aucune place (sauf à être un facteur de productivité commerciale), la sincérité conçue comme passerelle entre l'économique et l'éthique ne constituant qu'un leurre psycho-socio-marketing efficace et rien d'autre. 

Ce qui explique le grand écart permanent des Marques entre leur discours, dont il est ô combien requis qu'il soit sincère d'un point de vue pragmatique, surtout à l'ère du web social et du digital 2.0, et leur arrière-plan économique. Grand écart qui fait que parfois, souvent, régulièrement, les Marques se prennent les pieds dans le tapis. Ce qui est inévitable dès qu'on dépasse une lecture marketing prismatique du conversationnel. Question de structure à laquelle les hommes de marketing ne peuvent absolument rien. Rien sinon augmenter l'efficacité du dispositif. Par exemple en étant sincère. Précisément.  

Et le BVP comme la DGCCRF (en France) sont loin de disposer des moyens, instruments et structures adaptés à certains comportements et outils des "marketers" induits par le développement du marketing digital. Mais pour n'être pas prise en faute puisqu'il n'existe absolument rien pour réguler la libre parole des marques dans l'univers digital, la "sincérité digitale" évoquée n'en est pas pour autant vierge de carences, dont certaines préjudiciables en termes de droits des consommateurs. 

Vous n'aurez d'ailleurs pas manqué de remarquer que côté consommateurs et clients, on est dans l'ensemble sans aucune illusion. Observez donc la réaction des internautes à la présence des marques sur les réseaux sociaux. 

Pour résumer, interpréter et élucider le fond de leur position telle qu'elle ressort des plus récentes études, on pourrait dire: 
"Marques, allez marketer et faire semblant de parler ailleurs, et laissez-nous entre nous, internautes consommateurs, discuter librement et sans pollution de ce que nous pensons de vous. 
Si nous voulons dialoguer virtuellement avec vous, nous le ferons sur votre site ou votre blog - ou votre flux Twitter-, et vous avez intérêt non pas à être sincères mais à nous renseigner correctement c'est à dire précisément et dans des temps très maîtrisés sur vos offres, vos services, vos prestations. 
Le consommateur moderne est un consommateur lucide qui n'a pas envie de faire du conversationnel, mais de se servir du digital pour gagner en efficacité dans son acte de consommation. Pas de place et pas de temps pour le blabla marketing factice (de ce point de vue, la fonction de Community Manager est appelée à de sérieuses évolutions!). Donc votre "sincérité" est un pré-requis évident, et vous avez tout intérêt à ce que le "sincère" coïncide avec la réalité de votre offre. Car sinon, c'est trolling, bashing et autres délices associés au marketing digital assurés!" 

Où l'on voit à l'occasion de cette brève évocation de la sincérité digitale qu'en définitive, l'économie et le marketing se moralisent peut-être progressivement non par choix  mais par contrainte. La ruse de l'histoire, toujours. 

Pour revenir à l'oxymore constituant le point de départ de cette réflexion, évoquer la "sincérité des marques" c'est un peu comme évoquer le "capitalisme responsable" mentionné par Monsieur Fillon, "la banque citoyenne" de l'autoproclamé Crédit Mutuel, "la croissance durable": l'expression est  intrinsèquement contradictoire, vide de sens et de toute réalité tant que ce à quoi elle renvoie n'est animé que par la loi du marché et des interactions sociales libres.  Des utopies masquant la conservation des antiques rapports de production déséquilibrés. Des éloges de la manipulation efficace institutionnalisée. 

Par contre, dès lors qu'on introduit de la gouvernance, qu'elle soit sociale, économique, politique, juridique, financière, alors ces oxymores peuvent avoir une certaine fécondité. Et même faire avancer les relations économiques, commerciales, sociales, politiques, financières.


Pour être brutal, tant qu'on ne contraindra pas les marques, règlements et dispositifs de contrôle à l'appui, à être non pas "sincères" dans l'univers digital, mais "véridiques", une certaine supercherie du conversationnel aura encore de beaux jours devant elle. 

Pensez par exemple à ce qui se produit autour des avis des internautes et de la réglementation envisagée pour distinguer les "faux avis" des "vrais avis", et vous aurez une illustration parfaite de ce qu'est la gouvernance du web appliquée à la consommation s'agissant de la "sincérité digitale".  

Ca ne vous plaira pas, c'est évident (il est tellement plus facile de faire semblant d'être sincère pour tenter de mieux tirer votre épingle du jeu sur le plan marketing). Mais voyez-vous, le web, y compris le web marchand, est aussi un espace démocratique, citoyen, légal. Et perfectible à ce titre. Y compris lorsque l'on fait du conversationnel. 

Si les marques prenaient d'emblée et d'elles-mêmes le parti d'être "vraies" plutôt que "sincères", pour des raisons évidentes, on gagnerait beaucoup de temps et de respect des droits des consommateurs.

Que voulez-vous, une marque est comme un citoyen: elle a la liberté de parole, mais elle ne peut pas dire n'importe quoi dès lors que son discours porte atteinte au droit. La sincérité ne fait pas tout.

Marques, soyez "vraies" plutôt que "sincères", et vos profits s'en trouveront augmentés!

L'avenir est à vous, non? 

Bien sincèrement.






Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez la parole!