mardi 17 janvier 2012

En chemin, avec Antonio Machado


Instant philosophique

De la modestie voire de la faiblesse, mais aussi de la force en marche de l'homme qui va. 

De l'importance d'avoir la force d'y croire qui fait inventer la Voie si chère à Edgar Morin, royale ou pas (en hommage à Malraux), même lorsqu'on croit à l'impasse ou au désert et que l'on se sent perdu, individuellement ou collectivement. 

De la nécessaire humilité du marcheur, chacun de nous comme nous tous ensemble en réalité, condamné à avancer pas à pas telle est notre condition humaine, se trompant parfois mais traçant ainsi sa route, celle qui constitue une révélation de ce qu'il y avait à parcourir et dévoile ainsi le monde, les autres, et le sens. 

Un sens précisément, tout à la fois orientation et signification, la seconde étant sans aucun doute beaucoup plus importante que la première qui risque de faire manquer le véritable but à force de tenter d'imposer un terme au chemin, arbitraire par définition, l'itinéraire en lui-même étant fécond.

Et si, comme l'a dit un autre poète, Antoine Pol honoré par Brassens dans le sublime "Les passantes", autre belle histoire de pas amoureux qui se succèdent,

"Pour peu que le bonheur survienne, 
"Il est rare qu'on se souvienne,
"Des épisodes du chemin 

Alors nos pas sont aussi riches d'espérance, d'une promesse, ce bonheur là nous attendant peut-être, et c'est une disposition bien plus qu'un hasard du parcours que de savoir le rencontrer, au fil de la route que nous inventons en même temps que nous la parcourons, magnifiques démiurges de nos existences finies. 

Le mot "démiurge" appliqué à nos vies étant à prendre au sens strict, Platon ayant vu juste bien avant la formalisation existentialiste de "l'en soi" et du "pour soi", qui déambulait précisément lui aussi, lui déjà, comme son maître Socrate, la pensée et son mouvement ayant à l'évidence grandement à voir avec l'humble et sublime condition du marcheur dont la pensée va comme le corps, dans une exploration qui est invention, c'est à dire découverte. 

Existences finies mais pourtant appelées à l'universel, et en cela, à une forme d'infini, puisque "l'homme passe infiniment l'homme" comme l'a si bien saisi Pascal dans l'une de ses fulgurances métaphysiques pour lesquelles on n'a guère besoin de théologie. 

Où il ne s'agit pas de croire aveuglément à ce que pourrait être la route, comme éclairée d'en haut, pour cette raison simple et essentielle que la démarche la crée. Il faut ainsi faire descendre la transcendance sur terre, le libéralisme ayant ses vertus quand il ne parle pas que d'économie, qui pointe la puissance de la liberté humaine à l'oeuvre quand les chemins qu'elle trace, à travers les dédales ou les modestes sentiers qu'elle emprunte, deviennent de véritables voies et pourquoi pas royales.

Où l'on voit aussi la dimension centrale de la responsabilité de celui (de ceux, nous tous) qui créons, littéralement, cet itinéraire, ce qu'on l'on nomme nos "parcours de vie" et la chose n'a rien d'un hasard du langage, nos pas étant à la fois notre moteur, notre chemin, notre vérité et notre vie.

Où enfin, où d'abord, la musique de la langue de Machado, rythme et harmonie chantantes mêlées, est en soi une invitation à prendre avec enthousiasme nos bâtons de pèlerin pour aller de l'avant vers ce futur que nul n'a pensé pour nous et que nos pas enfantent, libre étant à nous de faire en sorte que la joie accompagne nos pas, y compris lorsque nos pieds nous font mal parfois d'avoir trop marché ou d'en avoir trop vu, l'horizon de la route sans cesse repoussé constituant la plus belle des vues que le regard puisse embrasser, que le soleil s'y lève ou y disparaisse, au gré des jours qui vont.

"Caminante no hay camino, se hace el camino al andar"
"Toi qui chemine, il n'y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant"

Antonio Machado

Poète auquel un autre poète, Aragon, homme de quête lui aussi, rendit ainsi ce pudique et magnifique hommage

"Machado dort à Collioure
"Trois pas suffirent hors d'Espagne
"Que le ciel pour lui se fît lourd
"Il s'assit dans cette campagne
"Et ferma les yeux pour toujours.

Bonne route et belle journée à tous!




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