jeudi 5 janvier 2012

SeaFrance, le délire universel, et le Titanic




Campagne électorale et statistique record du chômage en France obligent, le dossier SeaFrance fait la Une de tout ce qui informe et communique, en même temps que le cauchemar (ou le rêve, ou la méditation) de presque tout ce qui bat pavillon politique. 

Où l’on entend, lit, voit tout et n’importe quoi, et plutôt n’importe quoi que tout. A un degré d’ineptie économique, juridique, politique rarement égalé. 

SeaFrance ou le délire collectif érigé en paradigme. 

Nous ne nous arrêterons pas ici plus qu’il ne convient, tant cette histoire, cette sinistre farce économico-juridico-politique (cette tragédie pour les salariés et l’économie locale et nationale) est délirante, sur l’énigmatique position du Tribunal de Commerce de Paris qui aura précédemment repoussé une offre de reprise impliquant une recapitalisation à hauteur de 160 millions d’euros par une SNCF qui semble hypocritement découvrir qu’elle a une filiale dans le secteur du transport maritime; 

Pas davantage sur la cynique position de Louis Dreyfus Armement (LDA) qui sait pouvoir récupérer « à la casse » pour 5 millions d’euros voire moins 4 navires dont la valeur d’actif est de 50 à 60 millions d’euros, son offre ayant été repoussée, mais les mandataires judiciaires n’ayant dans l’avenir plus la faculté de fixer les prix lorsque la vente se fera aux enchères si la liquidation judiciaire définitive est prononcée ;

Pas encore sur les déclarations d’un certain Monsieur Mariani, Ministre des Transports de son état et donc en charge du dossier, qui a osé déclarer le 4 Janvier que « les salariés semblent vouloir la mort de l’entreprise et ne pas tenir à leur emploi », dans une rhétorique qui montre que non seulement le Ministre n’a aucun sens des conditions de la négociation à ce niveau (ce que l’histoire a confirmé), mais que de plus ses éructations ne sont rien d’autre que l’expression de l’indignité dominante de ceux à qui l’on a confié la charge et le service exécutifs de la Nation et de la République ;

Pas plus sur la posture de grand chevalier blanc de l’emploi d’un Chef de l’Etat (que l’on appellera « Monsieur 500 milliards de dette » ou « Monsieur 71 milliards de déficit de la balance commerciale », comme on voudra, pour mémoire) par ailleurs complètement impuissant derrière son obsession réformatrice aigue, qui aura creusé par ses choix fiscaux et budgétaires catastrophiques et son absence de politique la tombe de l’industrie, des services, et de l’activité économique française avec à son actif une récession durant 9 mois, une perspective de croissance à 0,3% maximum, un chômage record à 9,8% appelé à atteindre la cime de 10,2% ou 10,3% dans les mois qui viennent alors que dans le même temps, l’Allemagne – qui doit pourtant affronter la même crise avec une dette de 2000 milliards d’euros- vient d’enregistrer un record historiquement bas de 7,1% de son taux de chômage, performance inégalée depuis vingt ans. 

Sans parler d’une instrumentalisation pitoyable de la fonction présidentielle qui préfère, à de basses fins électorales, mais c’est ainsi depuis le début du mandat, le gadget de crise pour entreprises au bord du gouffre à une véritable politique économique.

Pas encore sur la toute dernière sortie datée du jour de la SNCF déjà nommée qui propose de reclasser l’ensemble des 880 salariés, ce qui est savoureux, après que la même ait délibérément coulé sa filiale faute de lui avoir donné en temps utiles les moyens de la modernisation de sa flotte (qu’étaient 50 millions d’euros pour restaurer les marges par optimisation des navires sur un marché hyper-concurrentiel ? Lors même que le CA annuel était de 222 millions d’euros), pour mieux pouvoir se poser aujourd’hui en sauveur. 

Mais quel sauveur, dont on sait bien que le reclassement proposé, sur un strict plan juridique, ne saurait constituer une continuation des contrats de travail (terrible ou merveilleux article L 122.12 du code du travail français, selon le point de vue, dont, soyons en sûr, les Chinois et autres BRICS puissamment aidés par l’OMC et la Commission Européenne auront tôt ou tard la peau, dérégulation oblige), la masse salariale globale ayant substantiellement fondu au passage, ce qui est toujours bon du point de vue de la productivité et de la rentabilité; sans oublier, comme le soulignent les salariés ce qui justifie leur refus, le fait que les postes proposés n’ayant rien à voir avec la qualification initiale et impliquant une mobilité géographique conséquente, le nombre d’ex-salariés qui trouveront là une opportunité d’emploi sera très faible. 

Toutes considérations économiques et juridiques qui font que la SNCF se dispense ainsi d’un nécessaire plan stratégique concernant le sort d’une filiale à 100% qui aurait impliqué un coût substantiel (mais justifié) et en termes d’images, lui substituant par un tour de passe-passe qui ne trompera personne une économie de 110 à 130 millions d’euros par rapport à son offre initiale devant le Tribunal de Commerce de Paris. 

Sans parler des bénéfices comptables et fiscaux pour cette même SNCF, qu’il faudrait examiner en détail, de la réintégration éventuelle des pertes et de la cessation d’activité de la dite filiale, voire de l’intérêt fiscal en termes de déductibilité de certaines provisions qui ont certainement été passées pour dépréciation d’actif liées au sort négatif de la filiale. Et supposant que la SNCF ne sera à aucun moment attraite en comblement de passif si la liquidation intervient, la question n’étant nulle part abordée, le fait semblant acquis avant même que mandataires et magistrats n’aient accompli leur office consulaire.
D’un mot, du point de vue financier, le naufrage de SeaFrance constitue un magnifique cadeau de Nouvel An pour la SNCF. Bien loin donc de la générosité façade affichée par son dirigeant.

Toujours pas davantage sur la sortie que nous reproduisons ici in extenso, que nous avons du relire par deux fois tant elle est sidérante sur le plan juridique et sur l’arrière plan idéologique qu’elle implique, de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui ferait mieux de se taire décidément, mais hélas la chose est impossible puisqu’elle a été choisie comme l’un des (petits) porteurs de la parole présidentielle (Oui, la chose qui s’efface aussi vite qu’elle a été prononcée, et qui ne se contredit jamais, puisqu’elle n’est plus rien sur le plan républicain)

«La SNCF, je pense, sera heureuse que les indemnités chômage, fussent-elles majorées, participent de la création ou du maintien d'emplois plutôt que d'être de simples indemnités chômage Je ne vous dis pas que c'est gagné, mais au moins il y a une chance."

Mme la Ministre de l’écologie à qui l’on devra manifestement rappeler sur un plan juridique donc, que les « indemnités chômage » ne sont pas ici en cause mais les seules « indemnités de licenciement » dont le montant fut un temps envisagé comme surabondé par la faussement magnanime SNCF qui ne savait que trop bien que la manœuvre serait repoussée par les salariés car inacceptable. 

La différence étant de taille, puisqu’une indemnité de licenciement est, par définition, une somme allouée à titre de compensation au regard du préjudice avéré que constitue la perte d’un emploi, alors que les « allocations » chômage (et non pas les « indemnités », Madame la Ministre qui n’y entendez-rien), versées sur la base technique d’un « salaire journalier de référence », l’outil administratif de quantification n’emportant pas modification de la nature juridique de la dite « allocation », sont une somme allouée pour une certaine durée aux salariés privés d’emploi et ayant cotisé en vertu du « contrat d’assurance » qui les lie, eux et les employeurs, au régime de protection social géré paritairement par l’UNEDIC. 

On nous dira que c’est un lapsus. Ce qui n’exempte de rien du tout et ne gomme certainement pas l’intention comme la vision sous-jacentes, au contraire confirmées par l’idée du Chef de l’Etat portée par sa (ses) Ministre et qu’on pourrait résumer ainsi : 

« Après tout pourquoi ne pas demander aux salariés de financer leur propre chômage, leur propre prévention à l’égard du chômage, leur propre reconversion une deuxième fois sur leurs indemnités de licenciement après avoir cotisé une première fois pour cela, au mépris du droit social et des intérêts des salariés, mais pour la plus grande efficacité d’un système qui disloque littéralement le droit social».

Car regardons d’encore plus près : on présuppose ici manifestement et de façon honteuse que les « allocations chômages » sont quelque chose de « mal » ou d’économiquement « malsain », alors même que les salariés peuvent légitimement s’en prévaloir en vertu du contrat d’assurance qui les lie à l’UNEDIC. 

On oppose à cela un schéma dans lequel les salariés qui ne sont par définition pas des entrepreneurs, devraient se voir imposer indirectement par l’Etat, hors donc toute relation contractuelle, de se comporter comme des investisseurs ou actionnaires potentiels avec une indemnité de licenciement qui n’est en soi que la compensation économique d’un préjudice réel, confisquant leur liberté d’agent économique, et dispensant les vrais investisseurs (Louis Dreyfus Armement, la SNCF ou tout autre repreneur ; les banques publiques comme la Caisse des Dépôts et Consignations ou la BEI, nous y reviendrons) de miser sur un projet à des fins capitalistiques de rentabilité. Ce qui dispense également l’UNEDIC d’avoir à prendre en charge, peut-être, le financement des allocations chômages pourtant exigibles. 

On voit bien l’intérêt étendu d’une telle opération : l’UNEDIC prévoyait un excédent de 272 millions d’euros en 2011 ; l’exercice va se solder par une perte de 2,5 milliards d’euros en raison de l’explosion du chômage et malgré les radiations « obscures » pléthoriques (de l’ordre de plusieurs dizaines de milliers par mois). 

On connaissait la théorie de l’emploi à n’importe quel prix à travers l’impossibilité pour les chômeurs de refuser plus de 2 offres de pôle emploi sans motif légitime. Au risque du déclassement devenu désormais quasi systématique, a fortiori quand le chômage est de longue durée ce qui devient la règle. 

On connaissait la propension de l’actuel gouvernement à pousser les demandeurs d’emplois à devenir auto-entrepreneurs avec une exposition juridique maximale soigneusement tue puisque leur patrimoine personnel n’est pas distinct du patrimoine de l’entreprise, mais peu importe puisque ces entrepreneurs là sont responsable de plus de 60% des créations annuelles d’entreprise, quitte à oublier que moins de 10% vivent de cette activité après 2 ans, mais catégorisés ici, ils n’apparaissent plus dans les statistiques du chômage de Pôle Emploi. 

On connaissait la théorie économique et politique culpabilisatrice (il est si facile de faire de la psychologie sociale au lieu de faire de l’économie politique, n’est-ce pas ?) qui n’est pas nouvelle, constamment portée par un autre Ministre, un certain Monsieur Wauquiez qui voulait culpabiliser les allocataires du RSA en les faisant travailler gratuitement 1 journée par semaine (comme c’est le cas en … Hongrie depuis le 1er Septembre 2011 – on voit bien le sens de l’alignement qui ne se fait que par le bas), la proposition ayant finalement débouché sur la récente proposition, adoptée par les parlementaires, de M. Dauberesse d’imposer cette journée, mais rémunérée.

Nous franchissons désormais à travers le cas d’école SeaFrance un pas idéologique et ultra-libéral spéculatif de plus qui consiste, sur fond de culpabilisation et de chantage gouvernemental illégitime, à demander voire à tenter d’imposer à des salariés de se comporter en financiers.

Et qui plus est en mauvais financiers puisque le montant total de leurs indemnités de licenciement surabondantes, pour environ 40 à 50 millions d’euros à supposer que tous participent à la SCOP, ce qui est exclu, aurait servi à investir dans une entreprise sans aucun actif corporel bien qu’elle intervienne dans un secteur d’activité, le transport maritime, dans lequel de tels actifs constituent pourtant par nature une fraction importante des données bilancielles. 

En effet, dans le montage (?) aberrant et odieux envisagé par le gouvernement relevant des mêmes qualificatifs, on admettait comme une chose acceptable que la SCOP ne fasse que louer les navires utiles à l’exploitation à… mais la SNCF bien sûr (le ridicule et l’indécence ne tuant pas semble-t-il) qui aura tout le loisir de réaliser des profits sans aucun risque sur le compte de salariés devenus investisseurs dans une coquille vide qui ne leur sert plus qu’à gagner leur salaire mensuel et leur retraite future! 

Les salariés de SeaFrance ne s’y sont pas laissés prendre, mais on voit bien la gradation, sous la pression de la crise et dans l’affolement gouvernemental, dans la théorisation juridique de la mutation du droit social et du statut du salarié par distinction d’avec celui de l’entrepreneur, sommé de renoncer jusqu’à son statut et à ses spécificités pour devenir un agent hybride culpabilisé et soumis au chantage, qui n’a plus d’autre fonction que de permettre à un système cynique de perdurer. Et ce sans aucun souci réel de la durabilité de l’emploi, de l’équité économique des profits constitués, de la charge du risque économique. 

La Caisse des Dépôts et Consignation et la Banque Européenne d’Investissement ont la faculté, en vertu de leur statut de Banque publique, sans aucune entorse aux règles applicables à la concurrence au sein de l’Union Européenne, de financer par exemple les actifs corporels (les navires) d’une société d’économie mixte à laquelle les salariés interviendraient librement avec une contribution raisonnable au capital prise sur leurs deniers propres, l’appréciation du montant, très modéré, leur revenant. La solution technique existe donc bel et bien.

Les collectivités locales, qui ne savent que trop bien que la mort de SeaFrance signifie la destruction de 880 emplois directs, celle d’environ 800 emplois indirects et l’impact économique associé sur une région déjà en souffrance se sont déclarées prêtes, dès le mois de Novembre 2011, à accompagner ce projet. Leur position n’a pas varié.

Alors ?

Alors « point mort » titre la presse nationale ce soir, après la réunion avec l’humiliant Ministre de tutelle, le triste Monsieur Mariani. Point mort parce qu’il manque 50 millions d’euros au projet de SCOP. 

Seulement 50 millions d'euros en réalité.

Car nous sommes troublés que personne en France n’établisse encore le lien avec les 300 millions d’euros que la Caisse des Dépôts et Consignations, qui pourrait intervenir avec un assentiment plus que favorable de l’Elysée sans encourir les foudres de Bruxelles, a mis à la disposition de l’assureur Groupama pour permettre son renflouement il y a cinq jours à peine.

Deux poids deux mesures : spéculation sur les dettes souveraines et les marchés financiers sanctionnée ici par une largesse de 300 millions d’euros versés sans hésitation aucune, envers un établissement financier en vertu de la nécessité d’enrayer la concrétisation d’un risque financier systémique ; blocage pour 50 millions d’euros là, au-delà des incantations présidentielles sur l’implication de la France, alors que l’on parle d’une filiale à 100% de l’un des fleurons de l’économie nationale, la SNCF, Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial (EPIC) et Holding pesant en consolidé 30,5 milliards d’euro de CA en 2010 pour 697 millions d’euros de résultat, avec un effectif de 241 000 personnes. 

Il va être très difficile de raconter encore longtemps des sornettes aux citoyens français, et de faire ainsi insulte à leur intelligence. Les salariés de SeaFrance, eux, savent déjà. Leur combat étant emblématique.

SeaFrance ou le symbole d’une France qui a perdu tout repère, de quelque nature que ce soit, et foule aux pieds les principes de droit qui structurent pourtant l’espace économique et social de longue date.

SeaFrance ou l’emblème du naufrage collectif dans lequel celui qui se réclamait hier de la figure du capitaine tenant ferme la barre ne gouverne plus rien, tout balloté qu’il est par les flots furieux de la tempête qui secoue la zone euro en général et la France en particulier, avec son incompétent équipage gouvernemental.

On sourira ironiquement de constater que l’histoire ait choisi une entreprise du transport maritime pour révéler tant de failles, de faiblesses, une telle incurie.

C’est peu dire que pour les salariés de SeaFrance comme pour le bateau France, le port de la croissance économique retrouvée, ainsi que la rade de la cohérence républicaine appliquée au travail sont encore loin, très loin, les courants et marées politiques juridiques et économiques et eux seuls, définissant désormais la route.

Les écueils griffant et transperçant déjà la coque du navire dont les compartiments ne sont pas étanches.

On se rappellera accessoirement que l’on célèbrera en 2012 un tragique anniversaire. Celui du naufrage du Titanic. Pour les salariés de SeaFrance et pour cette entreprise, ce pourra être le Lundi 9 Janvier. 

Mais l’Etat français, Lui, a déjà coulé.






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