mardi 3 janvier 2012

Lettre ouverte à Viktor Orban, chef du Gouvernement de Hongrie, à propos de la nouvelle constitution


Instants historiques. L'Europe en marche.

(Suite à la mise en place par Viktor Orban, Chef du Gouvernement hongrois, d'une nouvelle constitution de nature nationaliste - Lire l'article "La nouvelle Constitution hongroise, aux accents nationalistes, entre en vigueur" publié sur le site du Monde)

Lettre ouverte au chef du Gouvernement hongrois

Cher Monsieur Orban,

Malgré les audaces de vos réformes constitutionnelles profondément anti-démocratiques, nationalistes et aux nauséabonds relents historiques (J’allais écrire « remugles », mais vous ne serez pas choqué n’est-ce pas ? Car ce n’est pas faire offense à votre lucidité que de pointer ce dont vous n’êtes absolument pas dupe puisque vous en êtes fier, même tout entier tourné que vous êtes vers l’exercice (l’exploitation) oligarchique du pouvoir), vous avez manifestement oublié le nerf de la guerre.

Il vous faut dès maintenant 15 à 20 milliards d’euros (officiels n'est-ce pas, car officieusement, le chiffre est plutôt de l'ordre de 40 milliards, le gouffre n'étant pas loin) pour boucler votre budget pour lesquels vous n’avez d’autre choix, programmé, que de faire appel aux mécanismes financiers européens adossés au FMI. 

Or on est fort chagriné à Bruxelles et dans les grandes capitales de l’espace géopolitique auquel votre grand pays a souhaité appartenir il n’y a pas si longtemps que cela au premier chef pour des raisons économiques (on le comprend, mais cette perspective là est sérieusement hypothéquée aujourd’hui, la menace de l’hyper-récession n’ayant désormais plus rien de fantôme), et très accessoirement pour des raisons politiques (retrouver une certaine grandeur perdue naguère lors de la signature d’un certain Traité qui aura imposé la nécessaire paix au prix de l’humiliation de certains peuples, ce dont nous vous accordons que ce fut un erreur historique grave, voire une faute, vos débordements nationalistes du moment confirmant de façon criante cette réalité persistante. Car pour être parfois lointaines, les causes profondes sont bien là). 

Chagriné certes, mais chagriné seulement. Tout du moins pour ce qui concerne les membres du Conseil et ceux de la Commission, seuls les parlementaires européens étant véritablement et sincèrement indignés et prêts pour les plus impliqués sur le plan démocratique qui se sont déjà manifestés publiquement, à engager (relever) un véritable bras de fer avec vous, conditionnant le financement de votre Etat par la modification voire le retrait de certaines de vos dispositions liberticides et anti-républicaines. 

Mais vous n’avez que la monnaie de votre pièce, affaire d’argent oblige, car vous leur aviez promis par le passé, la main sur le cœur vous aussi, que les concours financiers auraient comme contrepartie des avancées démocratiques. On voit bien ici, hélas, la qualité de votre parole politique. Certes, vous n’êtes pas le seul à ne faire aucun cas de ce que la défense inconditionnelle de la grandeur de cette parole là signifie, ceux-là même qui pointent pour le moment indirectement vos déviances politiques l’ayant durablement discréditée pour le plus grand préjudice de notre Europe commune. 

Ceci ne justifiant pas cela, mais montrant à quel point vous avez eu raison sur un plan purement tactique, en réalité, de vous lancer dans la fuite en avant nationaliste et népotique pour laquelle vous avez opté. L’Europe a par certains côtés les audaces de sa décadence. Vous en êtes une figure exemplaire.

Mais il convient de vous rappeler que les parlementaires européens sont des élus pour qui la démocratie fait sens, à la différence des fonctionnaires, a fortiori quand ils sont « hauts ». 

Et si l’on peut toujours s’arranger avec les seconds, amoraux par nature puisqu’exemptés par fonction de démontrer une quelconque légitimité politique et morale, la seule allégeance opérationnelle à la doctrine (au dogme) néolibérale accompagnée de l’efficacité court-termiste faisant office d’adoubement, et immoraux par nécessité économique (ce à quoi on a réduit la réalité européenne par Traité, ceux de Maastricht puis de Lisbonne hier, et celui à venir d’ici au mois de Mars de cette année), lorsqu’il s’agit d’oublier certaines entorses aux règles et principes de droit en général pourtant défendues par ailleurs, dès lors que les intérêts économiques croisés sont maintenus- en revanche, il est beaucoup plus délicat de trouver un terrain d’entente avec les premiers. 

Car les parlementaires, à la différence des fonctionnaires, ne « négocient » pas. Ils cautionnent ou pas. Ils valident sur le plan législatif au regard des principes qui sont leur propre et seule justification, ou pas. Ils ratifient ou pas. Or, avec cette nouvelle constitution, vous semblez avoir oublié, tout concentré que vous étiez sur le volet économique qui sous-tend votre projet politique, que votre parlement national n’est pas, n’est plus, compte-tenu de votre appartenance à l’Europe, l’espace ultime de l’expression de la souveraineté. 

Car que cela vous plaise ou non (ce qui vous déplaira, mais vous n’êtes pas le seul en Europe sans que cela entame le sens de l’histoire), il existe une forme de souveraineté supra nationale qui se dit dans les grands principes de droit applicables à l’espace politique européen, principes tout récemment réaffirmés. Votre peuple, qui manifeste aujourd’hui avec détermination, affirme en quelque façon cette réalité constitutionnelle et juridique supra-nationale européenne, qu’on appellera fédéralisme juridique pour être rigoureux et cesser d’être timoré ou honteux. 

Or ce fédéralisme là, déjà annoncé, théorisé et espéré par les Lumières notamment allemandes il y a plus de 250 ans, qui constitue le cœur de l’avenir de la dite Europe - même aujourd’hui terriblement fragilisée - et donc de votre pays, est antinomique d’avec le nationalisme que vous tentez d’imposer de façon despotique. Pour défendre vos intérêts personnels et ceux de votre caste, oubliant avec une légèreté singulière voire naïve votre dépendance économique, vous avez le tort d’agir à contre-temps et à rebours de la marche des nations du vieux continent. On ne saurait cumuler les deux handicaps sans s’exposer politiquement, même si vous aussi vous optez pour l’intransigeance, jusqu’à imposer vos vues au moyen des uniformes, des armes et des bruits de botte. Mais comme il est désagréable d’avoir, à cause de vous (même si pas seulement) à parler à nouveau de cette panoplie et de ces « bottes » là, alors que nous avons tant à construire pour faire face aux grands enjeux de notre temps dont le fédéralisme européen assumé constitue la clé de voute.

On se montra plus vif naguère, il y a environ dix ans, au Conseil et à la Commission, avec un autre héros du nationalisme de sinistre mémoire. C’était un autrichien, un certain Jorg Haider, qui sévit en s’inspirant des mêmes utopies politiques que les vôtres dans une nation qui, comme par hasard, était proche de la votre du temps où elle était un empire puissant. Cette indignation n’eut pas grand effet. Ce qui pourrait vous donner à espérer pour faire prospérer votre action liberticide. 

A ceci près que le temps n’est plus du tout le même. Pour avoir la nostalgie politique de l’indépendance superbe liée à la puissance politique et militaire, on n’en est pas moins confronté à la dure réalité économique. Or sur ce plan, votre pays, que vous humiliez par vos manoeuvres est un nain, cher Monsieur. Un nain dont le PIB est faible, l’équilibre des comptes publics précaire, la dynamique de croissance très fragile, la modernisation de l’économie inachevée. Un nain endetté qui a besoin de la BCE, de la Commission, et du FMI pour faire face. Un nain qui a un besoin absolu de l’Europe et de sa solidarité pour affronter le temps et ses défis. Nous ne parlons pas, cela va de soi, de l’identité et du rayonnement culturels de votre nation, immenses.

Aussi, si l’on ne vous prendra sans doute pas de façon frontale sur le plan diplomatique pour vous signifier que vous faites fausse route en marchant sur les traces d’autres potentats tentés par la voix des sirènes du néo-nationalisme intégré à une économie mondialisée presque entièrement déréglée et au bord du gouffre à force d’être dérégulée et non-régulée, il est clair qu’on vous ramènera à la raison à la simple faveur du rapport de force déséquilibré qu’induit toute dépendance financière et économique. Vous pouvez avoir un autre point de vue, faire illusion pendant quelques temps, mais, tôt ou tard, vous devrez affronter vos faiblesses économiques. 
Et plutôt tôt que tard, puisque vos besoins de financement sont immédiats.

Vous allez donc devoir affronter non seulement les parlementaires européens, mais aussi la communauté européenne, en plus de votre peuple souverain. Or vous n’en avez pas les moyens financiers. Autant faire marche arrière rapidement afin d’épargner à chacun des crises politiques dont on se passerait volontiers, tant d’autres priorités constructives celles-là, s’imposent.

En outre, vous ne devriez pas oublier que nombre de Chefs de l’Etat et de Gouvernement vont être confrontés en 2012 à des élections nationales de première importance. Sans oublier l’entrée en fonction toute récente d’autres qui n’ont qu’un seul objectif en tête : préserver et approfondir coûte que coûte l’intégration européenne sur le plan budgétaire et fiscal y compris en accélérant l’intégration politique de nature fédérale. 

On n’hésitera donc pas, depuis l’extérieur, à vous briser sur le plan politique en vous mettant au pied du mur sur le plan économique (n’oubliez pas que l’on aura brisé fin 2011 un chef de gouvernement Grec ainsi qu’un chef de gouvernement italien en moins de 24 heures) si vos menées nationalistes fragilisent en quoi que ce soit le processus économique extrêmement délicat qui est en cours de déploiement et qui, pour être insuffisant, est néanmoins absolument nécessaire au maintien de la zone euro et de l’Europe toute entière. Vous discréditer constituera même un enjeu électoral. Or à ce jeu de la ruse de l’histoire, vous avez perdu d’avance. Vous le savez sans nul doute. Autant s’épargner le combat dont votre peuple aura à souffrir. 

Monsieur Poutine lui qui doit certainement représenter à vos yeux une sorte de modèle, n’a pas ce genre de souci, qui peut, quelle chance, infléchir et défier la sanction des urnes en même temps que les grandes nations en toute impunité, faire perdurer et étendre toujours davantage un népotisme indéfendable tout investi qu'il est de la puissance due à manne énergétique. Avec la bénédiction même des dites Nations qui viennent de l’accueillir à bras ouverts au sein de l’OMC. 

Et oui, l’argent n’a pas d’odeur (ce que vous ne savez que trop bien). Eussiez-vous été mieux loti, avec par exemple un excédent primaire et une croissance à deux chiffres susceptible de constituer pour l’Europe en chute libre sur le plan un véritable moteur de croissance que, n’en doutez pas, Bruxelles aurait fermé les yeux, comme on sait si bien le faire (Ne nous dîtes pas par exemple que le cas de la Turquie ne vous a pas inspiré dans votre jusqu’au-boutisme, s’agissant de faire accepter l’inacceptable, dès lors que des rapports économiques ou géostratégiques le permettent). 

Mais l’économie de la Hongrie n’est pas celle de la Russie. La situation géographique de la Hongrie n’est pas celle de la Turquie. Et votre pays n’appartient pas aux BRICS. C’est ainsi. Votre pays est donc sur le plan économique un petit pays très dépendant qui n’a aucun moyen de se faire pardonner, voire d’acheter la complaisance des structures politiques et économiques internationales auxquelles il est intégré ou dont il dépend. Et c’est sans nul doute bien ainsi, car on imagine aisément qu’en d’autres circonstances, votre nationalisme pourrait prospérer. Ce qu’il ne fera pas, par la force des circonstances, quels que soient vos rodomontades, votre fanatisme et votre lecture tyrannique de la vie d’une République, celle dont votre peuple est la source, la justification et le but, vous semblez l’oublier. Mais il l’a bien compris, lui. Vous devriez être beaucoup plus attentif à cela. 

Vous voyez, la crise de la zone euro et la fragilité économique des vielles nations ont au moins ce mérite, dans un cynisme ultime, que des raisons au demeurant profondément éloignées de la construction politique fédérale européenne et des progrès de la démocratie sur le vieux continent, concourent néanmoins et de façon directe, à condamner a priori toute velléité ou tentation nationaliste. Vous vous agitez donc, comme on s’agite ailleurs dans les oppositions, y compris dans notre France bien déstabilisée elle aussi, à tous les gouvernements républicains, mais votre projet est condamné à mort. 

Mais, et par la même ruse de l’histoire, nous devons vous remercier. Car vous proposez à tous les européens une illustration magnifique de ce que peut donner une lecture nationaliste de l’exercice du pouvoir dans une économie mondialisée, à savoir, une impasse absolue et condamnée. La seule variable étant celle du temps de survie d’un tel gouvernement, et pas du tout le principe de sa chute inévitable. 

Nous vous laissons donc à vos errances, vous rappelant à ces quelques vérités économiques, politiques et historiques, face auxquelles vos agissements du moment apparaissent comme ce qu’ils sont : des gesticulations politiques irresponsables, pitoyables, d'une noire nostalgie et condamnées d’avance, dont votre peuple va faire les frais. 

Espérons que lui, souverain, vous arrêtera avant que la Commission, le FMI et vos « partenaires » européens (mais oui, la politique n’est aussi rien d’autre que la continuation de la guerre par d’autres moyens. Vous savez, cette guerre qui a laminé votre pays il y a une centaine d’années) n’exercent à votre encontre des pressions économiques et financières dont votre peuple, le premier et le seul, souffrira. Vous n'en avez cure. Lui, oui, précisément.

Voyez-vous, le déclin qui se dessine d’un certain capitalisme fait avancer l’histoire plus vite que prévu, même si c’est dans la douleur, le sang, et les larmes. Ceux de la guerre économique. Avec son lot considérable de victimes. Comme l’autre guerre, mais en nombre plus grand encore.

Or la Hongrie dont vous avez pour un temps, mais un temps seulement la charge (même à tenter de verrouiller constitutionnellement le pouvoir sur des périodes de dix ans, ce qui est en soi un symbole bien parlant), ne peut pas s’affranchir de la marche économique des nations.

Et vos proches voisins l’entendent bien ainsi qui n’ont aucune nostalgie, eux.

Cela vous aurait-il échappé ?


Capture d'écran du site lefigaro.fr


Addenda:

En réponse à une amie virtuelle proche de cette nation s'émouvant de l'usage du terme "nain" tout en ayant saisi la restriction économique.


Merci pour cette réflexion sur une thématique qui vous touche de plus près que d'autres.

Commençons par ceci, explicite dans le billet: il y a un génie, une culture, une identité hongroises spécifiques et riches, eux. Le peuple hongrois ne cautionne pas dans son ensemble ce qui advient. Nous sommes nombreux à souhaiter que ce nouveau despote là cède la place. D'autant plus vite, et c'est la thèse ici défendue, que les agissements de ce dirigeant sont suicidaires pour le peuple hongrois sur le plan économique.

Dire que la Hongrie est un "nain" économique est une réalité pour les économistes. Qui n'a rien de honteux. Et qui n'est pas un jugement de valeur mais une donnée quantitative. Il convient d'ailleurs de commencer par là pour justifier une intégration économique transparente, loyale, équilibrée et respectueuse des principes politiques communs aux européens.

Car observons les chiffres: le PIB de la Hongrie, c'est 99 milliards d'euros, en baisse de près de 20% par rapport à 2008. Avec un endettement de plus de 82% du PIB et des besoins de financement immédiats pour près de 20 milliards voire 40, soit, arrondissons, 20% à 40% du PIB. Avec des taux à 10 ans qui s'envolent. Ce qui est astronomique. La Hongrie est au bord du gouffre, exactement comme le fut la Grèce il y a quelques temps, avec l'issue que l'on sait. Mais avec un PIB qui est entre 15 et 20 fois moindre que celui de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie. Ce qui change tout, et pas seulement l'ordre de grandeur, mais la faculté de peser sur son propre destin en tant que nation.

Raison de plus donc, pour qu'une pression internationale, diplomatique, législative, et économique sans précédent, voire "violente" sur le plan de la négociation économique (comme on le fait pour tous les Etats européens aujourd'hui) à travers les besoins financiers, vienne accompagner la démarche souveraine du peuple hongrois. Il ne sait que trop bien que l'heure n'est vraiment pas à la dissidence et encore moins à sacrifier ses valeurs républicaines. Les nations européennes n'ont presque plus que cela à présent: des valeurs à défendre. D'où l'exemplarité de ce combat à laquelle je fais référence dans le propos.

Tout comme vous donc, et tel était bien le sens de la réflexion, je souhaite que la ruse de l'histoire continuant de fonctionner, l'économique, même contraint, aide à infléchir le destin politique. Que les Hongrois écriront comme ils l'entendent, c'est certain, y compris peut-être en tirant les leçons de leur propre histoire sur le chapitre de la corruption des élites politiques dont vous observerez qu'elle aussi recule, en tendance, dans cette nouvelle Europe qui se dessine et se construit dans la douleur (voir la Grèce par exemple).

Que l'économie parle vite et que le temps de ce sinistre personnage "dure" peu donc, pour reprendre votre terme. Les Hongrois ont tout à y gagner. Nous aussi. Puisque notre destin est, et c'est un bien précieux, commun.

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