lundi 17 octobre 2011

De l'être et du néant, et de la réalisation de soi



"Vertige métaphysique; Pourquoi y a-t-il de l'être plutot que rien?"

*

L'ami
A mon sens, pour être, l'être a besoin du néant. 

Lui
Construire ou exister "contre" le néant, "malgré" le néant, "au-delà" du néant, "avec" le néant. La question renvoie bien évidemment à l'ontologie. Mais ta lecture couvre en effet une dimension essentielle du propos, mon ami. Je te suis volontiers sur ce terrain là. "Agir", "créer", "faire", "penser", c'est toujours affirmer l'être. Mais, qu'on le veuille ou non, dans l'une des formes dont celles brièvement et succinctement rappelées, de sa dialectique avec le néant. 

Le dialogue est donc intime; le rapport originel et structurant. Voir l'importance du néant c'est redonner du même à tout ce que nous faisons sa profondeur de champ. Sa dimension métaphysique originelle. Le néant nous fait entrer de plain pied dans l'être. Plus que quoi que ce soit d'autre. Voilà tout le paradoxe dans son incroyable fécondité. Où l'on repense par exemple à Pascal, ne serait-ce que pour retrouver le sens et la portée du "vertige" dont je parlais ("le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie"...). mais à mon sens pas pour se perdre. Bien au contraire. Pour mieux se retrouver. Aborder le néant ou explorer une occasion unique de saisir l'être de l'intérieur. Captivant et Ô combien riche! 

L'ami
Voilà ce que m'inspire encore ton propos. En définitive, le vide pour reprendre l'image de l'admirable philosophe chinois Lao-Tseu, est ce qui permet à l'être de se déployer. Grâce à lui, on s'affranchit de tout ce qui est oppressant et qui nous tient dans ses filets. Ou pire, dans ses structures, qu'elles soient de vie ou de pensée. Par le vide, je prends ou reprends vie et je m'élance hors de moi, associant dans ce mouvement les racines qui sont les miennes, mon passé, et  l'invention de moi-même. Sans vide, pas de mouvement. Saans néant, pas de réalisation de soi. Sans néant encore, pas de liberté pour s'accomplir par-delà les structures intérieures ou extérieures où je réside.


Lui

Je vois bien là ton souci de t'accomplir comme homme libre mon ami. Ne change rien car tu touche à l'essentiel! Je te suis là encore dans cette association rapide et inspirée. La fécondité de ce qui n'est pas soi. Du non d'emblée signifiant pour moi. Du vide même! C'est bien de cela dont nous parlons. Se "réaliser" me semble en effet toujours une conquête de l'être "sur" le néant. Au sens strict. Donc nous ne pouvons rien faire sans cela. Le néant tout court. L'ignorance. La souffrance. Le mal. L'inconnu. Etc. Peu importe le nom qu'on lui donne en réalité,  le néant prenant toutes ces formes à un moment ou à un autre, voire plusieurs simultanément. Exister, "se réaliser", penser, aimer, créer, imaginer, c'est toujours se propulser dans une dimension, un temps, un espace non encore écrits. Et par ce mouvement même, donner naissance à l'être. 

C'est dire à quel point ce dernier ne pourrait se passer du néant. Et concevrait-on, comme l'ont bien évidemment fait certains métaphysiciens ou poètes, un être qui ne soit qu'être, qu'il aura encore besoin du néant pour faire surgir de ce dernier ce qui n'en sera que plus beau, plus vrai, meilleur. Et en cela, ajouter à sa propre perfection et s'accomplir pleinement. 

Il y a donc réellement de quoi avoir le vertige. car ce que nous pourrions considérer comme notre ennemi intime, notre antithèse absolue et celle du monde, se révèle en réalité notre plus précieux allié. A une condition: que la conscience dans son mouvement se réapproprie cette projection de soi "dans", "contre", "envers", "malgré", "au-delà de", etc. le néant ou le vide. 

Enfin, as-tu remarqué la difficulté, les résistances que nous rencontrons à penser cette altérité radicale là? Notre réflexion trébuche presque. Mais ce n'est peut-être pas un hasard. Comment ne pas tituber en effet, lorsqu'on découvre que le néant lui-même peut-être fécond au regard de toutes les "structures" et de toutes les constructions, intérieures ou extérieures. Aux antipodes de nos schémas de pensée habituels. Mais à la racine là aussi de notre expérience intime. 

Vertige, disions-nous?






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