A la croisée des temps.
Hier que nous parcourons en explorant la littérature ou les correspondances intimes. Les nôtres, celles de nos proches ou de nos aînés. Demain dans lequel nous nous projetons mais qui nous échappe. Avant qu'après-demain d'autres à nouveau nous redonnent vie par la grâce de leur regard posé sur nos écrits, nos objets, nos traces. Un pont jeté entre deux temps sur lesquels nous n'avons aucune prise, telle est notre éphémère condition. Un permanent mystère qui s'enracine et se prolonge dans tout ce qui n'est pas nous et qui pourtant nous anime. Nous animera. Nos sens crient "maintenant". Notre être répond "demain". Et nous remettons ainsi en d'autres mains la clé de notre propre énigme, qu'aucun présent n'épuise.
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Dans le foin capiteux qui réjouit l'étable,
La lettre jaunie où mon aïeul respectable
A mon aïeule fit des serments surannés,
La tabatière où mon grand-oncle a mis le nez,
Le trictrac incrusté sur la petite table
Me ravissent. Ainsi dans un temps supputable
Mes vers vous raviront, vous qui n'êtes pas nés.
Or, je suis très vivant. Le vent qui vient m'envoie
Une odeur d'aubépine en fleur et de lilas,
Le bruit de mes baisers couvre le bruit des glas.
Ô lecteurs à venir, qui vivez dans la joie
Des seize ans, des lilas et des premiers baisers,
Vos amours font jouir mes os décomposés.
Charles Cros - Avenir
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