samedi 29 octobre 2011

Le Président, la Chine et la crise de l'euro




Mise au point à propos de la Chine, suite à l'intervention télévisée du Président Nicolas Sarkozy au lendemain du sommet européen du 26 Octobre

Vous vous êtes donc réjoui, M le Président, du fait que la Chine, ce grand pays démocratique, pacifiste, et si soucieux d'une mondialisation harmonieuse et équilibrée à la faveur d'une gouvernance intelligente et concertée, consacre, je vous cite "une partie de ses excédents à l'Europe". 

Faut-il vous rappeler que:

1) Le PIB de la Chine est 4 fois plus faible que celui de l'Union Européenne. Ce qui en dit long sur l'incapacité de la dite UE à générer de la croissance avec un solde primaire bénéficiaire. Et sur son endettement chronique et en spirale qui tue toute dynamique de croissance, précisément. Il faudrait se réjouir de cet état de fait?

2) Nous sommes donc dans une situation dans laquelle un (beaucoup) plus petit que soi va venir acquérir de la dette souveraine d'Etats Européens et abonder dans un FESF (car c'est bien ce pour quoi vous et Mme Merkel avez d'ores et déjà dépêché le directeur général de cette entité, Klaus Regling), sous la forme d'achat d'obligations émises par ce dernier. 

Transposé en droit des affaires, c'est comme si une petite entreprise très rentable s'offrait à bon prix une grosse entreprise générant un CA très important, en vue, prochainement, de la restructurer et de céder les actifs comme elle l'entendra, réalisant une opération financière de tout premier ordre, et encaissant un bénéfice colossal au passage. Selon la sensibilité de l'orateur, voilà qui oscille entre intérêt bien compris, stratégie d'entreprise, capitalisme débridé, néo-libéralisme triomphant, etc. 

Je ne vois pas ici la moindre ébauche du développement organique et concerté des économies des Etats dans une logique de mondialisation. Il faudrait se réjouir de cette défaite de la politique et de cette affirmation absolue du pouvoir économique ramené à ses rapports de force les plus élémentaires et les plus brutaux, hors toute gouvernance? 

Et surtout, ne m'avancez pas l'argument hégélien de la ruse de l'histoire qui consisterait à voir la façon dont, par l'économique, on parvient néanmoins à plus de politique en Europe. Car plus de politique aurait impliqué que vous utilisiez ne serait-ce qu'une seule fois le terme "gouvernance" et que l'accord conclu au sein de la zone euro fasse de cette gouvernance une réalité et un but. Or la gouvernance a été exclue de tous vos travaux avec nos amis européens. Pas de gouvernance, donc uniquement l'économique. Pas de ruse de l'histoire. Le cynisme économique a le dernier mot. CQFD.

3) Mais, j'en suis convaincu, vous n'avez pas la naïveté de penser que la Chine intervient en Europe pour autre chose que contrôler la dite UE à travers et au moyen de la situation de dépendance dans laquelle celle-ci va immanquablement se trouver à son égard. La Chine n'a pas pour habitude de demeurer un spectateur passif. Si elle investit, c'est non pas pour participer, mais pour contrôler. Voilà longtemps que la Chine a fini de s'éveiller. Désormais, elle exerce le pouvoir.

Vous n'imaginez tout de même pas qu'elle souscrive au projet d'une Europe fédérale et forte en devenir?! La Chine a besoin d'une UE à peu près à l'équilibre pour maintenir ses débouchés extérieurs et sa propre puissance exportatrice. Et suffisamment stable pour que son portefeuille de titres (7000 milliards d'euros tout de même) soit confortablement valorisé et prospère. Même au prix de la destruction du tissu industriel, économique, social, humain, politique de l'UE. 
Et il faudrait se réjouir que les grands investisseurs institutionnels et souverains chinois consolident et détiennent entre leurs mains, sans aucun contrepoids ni facteur d'équilibre (puisque les Etats-Unis sont dans le même cas), un pouvoir financier jamais égalé, au mépris de la vie de centaines de millions de citoyens et de millions d'entreprises européens?

4) L'un des grands facteurs de déséquilibre dans notre économie mondialisée, est la sous évaluation du Yuan. C'est cette politique monétaire là (antinomique d'avec la politique de l'euro fort si chère à la BCE, et par là même non doctrinale et terriblement efficace, vous l'avez remarqué, n'est-ce pas?) qui a permis à la Chine d'avoir une telle croissance et une telle puissance exportatrice avec la pénétration des marchés qui va avec dans le monde entier; de constituer autant de réserves (je le répète: 7000 milliards d'euros; soit 50% du PIB de toute l'UE) lui permettant de peser aussi fortement sur le cours de l'économie mondiale et le destin des autres Etats; de s'implanter aussi aisément partout dans le monde en détruisant sur son passage tout tissu industriel et toute économie de croissance au profit d'une économie financière et spéculative (la rentabilité des fonds propres qu'elle attend comme investisseur à travers toutes ses prises de participation), précipitant le destin de nations entières (même la Corée commence à ne plus pouvoir s'aligner sur la Chine en termes de compétitivité, c'est peu dire!). 

Et vous voudriez que nous nous félicitions que ce soit cet acteur économique et financier là qui vienne à notre secours? Certes, l'argent n'a pas d'odeur, mais il faudrait peut-être y regarder à deux fois avant de se précipiter en toute insouciance dans les bras de ce prédateur là. 

5) Les Américains eux-mêmes (vous savez, ceux qui vous ont diplomatiquement salué ce matin -et rien que cela, ne vous trompez pas, car la seule chose qui les intéresse, à juste titre, est d'éviter la contagion et le déclenchement de la catastrophe nucléaire systémique des dettes souveraines- par la voix du Président Obama) sont tellement soucieux de cette sous-évaluation critique du Yuan et des déséquilibres que cela impose à l'économie mondiale, et donc à la ruine de leur propre économie qui ne peut pas résister au double dumping monétaire et social, qu'ils viennent de partir en guerre, littéralement, par la voie des sénateurs contre cette plaie. Parce qu'ils n'en peuvent mais de voir leurs emplois détruits par cette sous-évaluation qui ressemble ni plus ni moins à une permanente dévaluation compétitive, érigée en méthode de guerre par la Chine. Et que c'est grave. Très grave. Et qu'ils ne peuvent laisser faire. 

Et vous voudriez que nous nous félicitions de voir les euros excédentaires de la Chine, payés du prix de la destruction des économies mondiales à travers la sous-évaluation, venir abonder nos institutions européennes pour mieux les phagocyter et les vider de leur substance? 

6) Vous souscrivez comme républicain, mais peut-être êtes-vous sincère, à l'idée selon laquelle les droits de l'homme constituent l'un des socles de notre civilisation, de notre identité commune et universelle. Faut-il vraiment vous expliquer que comme hier l'URSS, la Chine aujourd'hui ne comprend qu'un seul langage, celui de la force. Après que l'empire du milieu aura encore un peu plus étendu son empreinte et son contrôle sur les finances de l'UE par la détention de titres souverains, comment comptez-vous faire exactement pour faire pression afin que ce grand pays progresse sur le plan démocratique alors qu'il n'est qu'un nain sous ce rapport? De combien de prisonniers oubliés, de détenus exécutés, d'opposants brisés, d'intellectuels embastillés, de démocrates abandonnés, la nation chinoise devra-t-elle payer le prix du reniement à ces valeurs qui sont les nôtres et que nous avons en partage, qu'implique le fait que la Chine devienne financier de l'Europe?
Et vous voudriez que nous nous réjouissions de l'impuissance dans laquelle vous projetez de fait l'Europe, au mépris de ce qui contribue à sa grandeur comme à son identité sur la scène internationale, pour ce qui est de contribuer à faire advenir en Chine la reconnaissance effective des droits de l'homme aujourd'hui intégralement bafoués?

Décidément Monsieur le Président, ma conviction est que vous n'avez rien, mais absolument rien compris aux conséquences et enjeux de l'entrée en force de la Chine sur la scène européenne, à la faveur de l'effondrement financier de la zone euro à travers la crise des dettes souveraines et celle de ses banques. Inversement, si vous avez réellement mesuré toute cela (Vos conseillers sont là pour ça, n'est-ce pas? Pour vous "éclairer") et que vous persistez malgré tout à "vous réjouir", comme à nous inviter à nous réjouir en tant que citoyens français et européens de cette poussée de la Chine au sein des affaires européennes, c'est que vous avez du choisir entre des maîtres tous odieux, dont vous n'aurez retenu que le moins tyrannique. Entre les marchés seuls et la Chine, vous aurez opté pour la Chine. 

Mais vous y aurez laissé et perdu non pas votre âme, mais notre âme de Français et d'Européens. Comme une part de notre réalité et de notre identité profonde qui ne se résume pas à l'économique. Nécessité faisant loi, il n'y avait, compte-tenu du laxisme, de votre laxisme malgré votre permanente agitation depuis 2007, en matière de gouvernance de la zone euro, plus le choix. 
Mais surtout, n'ayez pas l'indécence de nous demander de nous réjouir. Vous, Mme Merkel et l'ensemble des Représentants et négociateurs, êtes en train de placer les nations européennes dans une main impitoyable qui va non pas commencer, mais continuer de presser les économies et les peuples. Pour son seul bénéfice.

Enfin, je vois bien l'argument qui ne manquera pas d'être asséné dans les heures et les jours à venir. J'anticipe donc. Il ne s'agit pas ici de faire montre d'une xénophobie anti-chinoise, mais de mesurer, au-delà de vos incantations sur les bienfaits de l'intervention de la Chine, les implications réelles des options financières que vous avez retenues pour assumer, avec les autres chefs d'Etat européens, l'incurie en terme de gouvernance qui nous a conduit là où nous sommes, avec une Union Européenne, et pas seulement une zone euro, sinistrée. On peut aimer les Chinois et leurs 56 ethnies, la culture chinoise, l'histoire chinoise, le génie chinois, sans pour autant souscrire à la prédation de son exécutif et de sa logique néo-impérialiste, dont l'économie chinoise n'est que le bras armé. 
Ne nous demandez pas, Monsieur le Président, de devenir naïfs en plus d'être humiliés et gravement exposés de façon certaine. 

Mais il est certain qu'on voit mal Monsieur JP Pernaut vous avoir fait des objections de ce type durant votre one man show du 27 Octobre 2011 au soir lorsque vous vous êtes personnellement réjoui du fait que la Chine affecte à l'Europe une partie de ses excédents.


Capture d'écran du site lemonde.fr



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Mise à jour

Dans le temps même où ce billet était posté par l'auteur sur les réseaux sociaux le Vendredi 28/10/2011 en fin de matinée, le débat s'engageait publiquement au sujet de l'entrée en scène de la Chine à l'égard de la zone euro. Le site du Monde publiant à 15h36 un article mis à jour titré "La Chine ne consentira pas d'aide à l'Europe sans contrepartie".  

Il n'y aura donc pas eu longtemps à attendre pour que les sombres mais lucides analyses exposées dans cet article commencent à se réaliser. Précisément sur le sujet des garanties qui seront accordées par l'UE et par... la suppression de barrières douanières, à la faveur de l'accès anticipé au statut d'économie de marché de l'OMC. Soit à la lettre près ce que nous avions développé. 

Le terrible assujettissement de l'Europe à la Chine est enclenché et ne pourra que s'amplifier, selon les modalités décrites par nous. Le Président évoquait une Chine amie fantasmée qui investirait dans la zone euro avec compréhension et s'en tenant à une simple logique de diversification de ses prises de position financières. Les citoyens et entreprises européens quant à eux vont devoir assumer dans tous les compartiments de leur vie et de  leurs activités les conséquences de ce funeste choix. Le pire qui se puisse concevoir est en train d'advenir. En accéléré.


Capture d'écran du site lemonde.fr


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