jeudi 20 octobre 2011

De l'usage politique du terme barbarie




A propos de l'assassinat de Marie Dedieu en Somalie et de la "barbarie" invoquée pour qualifier le comportements des ravisseurs et meurtriers.


Au risque d'aller à contre courant de l'émotion (convenue ou pas; politiquement récupérée ou non) qui s'empare de l'opinion et de la classe politique depuis hier, je m'interroge. Avec le plus grand respect, une profonde empathie, une solidarité républicaine, cela va de soi. Mais je m'interroge malgré tout:

Certaines circonstances (l'infirmité, la maladie dont souffrait la victime) suffisent-elles à rendre un crime plus "barbare" ou plus "odieux" qu'un autre?

Il est vrai que quand j'apprends par la voix du Ministre de la Défense que les ravisseurs et criminels cherchent à monnayer la dépouille de la défunte, je frémis d'abjection. Comme tout un chacun.

Mais au-delà de l'immédiate réaction, y a-t-il réellement des degrés dans l'horreur? L'acte fondateur, le crime, la décision et la perpétration du crime, n'inaugure-t-il pas une négation de l'humanité de la victime comme du bourreau, un retour à la violence originelle qui n'est plus médiée par aucune forme de culture, qui fait que tout devient possible, précisément. Y compris le pire qui n'a plus alors comme seule limite que l'imagination et les fins du bourreau.

Le crime abolit en soi l'humanité, celle de la victime mais aussi celle du bourreau. Ou plus exactement fait que l'humanité de ce dernier s'exprime comme une humanité "pour le mal", dont la manifestation peut être d'autant plus "riche" que l'intelligence (l'avidité, la cupidité, etc.) du bourreau se met au service de son méfait. Et de son méfait seul, sans absolument aucune considération éthique ou morale. A fortiori juridique. 

Dès lors le crime n'est pas "plus ou moins" odieux; "plus ou moins barbare". Il est intrinsèquement et totalement odieux et barbare, tout simplement parce qu'un bourreau a volé la vie de sa victime. 

Le reste n'étant que la manifestation sordide mais non qualitativement distincte d'une allégeance à l'efficacité du mal, d'un être alors traversé par la seule dimension du "pour le mal". Sachant que cette dimension ne peut apparaître qu'extérieurement, le bourreau s'étant lui-même coupé par son acte de son humanité, et donc de sa conscience du mal. Et ne visant, une fois encore, que la seule efficacité "naturelle" (économique) de son crime.

La qualification de la barbarie s’accommode mal en réalité de l'émotion suscitée par de tels évènements. On ne pourra être ici suspecté de la moindre complaisance avec le mal perpétré. Etant souligné que cette même émotion peut aussi, et dans un singulier paradoxe, servir d'autres formes de barbarie. Précisément. Et en vertu des mêmes mécanismes, même si plus subtilement déployés.

Allons plus loin. Parler ainsi de "barbarie" s'agissant d'un mal radical infligé, la mort, dans des conditions limites et sordides peut aussi masquer une certaine complaisance avec la "mort ordinaire" (les crimes "ordinaires" se soldant par le décès de la victime). Qui n'en est pas moins barbare pourtant dès lors qu'elle est administrée, et par le simple fait de la violence absolue et irréversible qu'elle constitue.
Il semble donc qu'il faille se garder de la surenchère verbale et du quasi inévitable sensationnalisme attaché à ce type d'évènement tragique. Ce dernier se suffit déjà à lui même. Dans l'horreur de la mort donnée.


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