vendredi 7 octobre 2011

Du Fonds Européen de Stabilisation Financière et de la recapitalisation des banques



Ainsi donc, dans la perspective du prochain sommet de la zone euro prévu pour le 18 Octobre, apprend-on de la bouche de JM Barroso en sa qualité de Président de la Commission européenne, que "Nous (ndla: La Commission, le Fonds Européen de Stabilisation Financière après refondation, les Etats européens appartenant à la zone euro) proposons maintenant aux Etats membres d'avoir une action coordonnée pour recapitaliser les banques et pour pouvoir se débarrasser de leurs actifs toxiques". Et de préciser qu'il s'agit de créer un "choc de confiance". Angela Merkel soulignant de son côté l'urgence, puisque "le temps presse" après le tout récent épisode Dexia. Quant au montant du soutien, il est chiffré "entre 100 et 200 milliards d'euros", sachant que "Le cas Dexia montre qu'il faut être prêt à toutes les éventualités, même quand une banque a réussi les stress tests, dit on à Bruxelles, il ne faut pas avoir honte de réviser ses plans et sa stratégie".

Où l'on vole de sommet en sommet. A moins que l'on tombe d'abîme en abîme. Et où l'inutilité actuelle comme le dévoiement du Fonds Européen de Stabilité Financière apparaîssent de manière criante.

Etonnement tout d'abord. On aura subtilement glissé d'un FESF présenté à l'opinion européenne comme destiné à soutenir les Etats, et au premier chef ceux qui semblaient les plus immédiatement exposés à savoir la Grèce, l'Italie, l'Espagne, la France peut-être (mais sans le dire), vers un mécanisme permettant d'apporter en réalité un soutien aux banques. Singulier tour de passe passe. Car dans la première hypothèse, on préserve des Etats avec leur souveraineté lors même qu'ils se trouvent en difficulté en raison de leur dette souveraine. Alors que dans la seconde, on avoue la totale dépendance de ces mêmes Etats à des Etablissements financiers privés qui, faute d'avoir anticipé et constitué des réserves de capitaux suffisantes, se trouvent en situation de déséquilibre, voire de cessation des paiements, avec un risque systémique associé. Le glissement n'a rien de sémantique. Il traduit une dérive majeure des motivations et surtout de la portée de l'intervention envisagée.

Autant les citoyens européens peuvent entendre et convenir qu'il est crucial de sauver des Etats, même si la potion est amère, car ce faisant, c'est eux-même qu'ils sauvent, qui plus est solidairement. Autant il devient beaucoup plus difficile de faire admettre que les responsables de la crise, les banques, en raison de leur imprévoyance comme de leur cynisme spéculatif, doivent toutes affaires cessantes être soutenues, qui sont la cause de bon nombre de leurs maux. Le FESF ne pourra donc et d'emblée que souffrir d'un cruel défaut de légitimité, qui ne fait qu'entériner une situation viciée, donne raison aux principaux responsables, humilie les victimes (citoyens ou Etats).  

Les défenseurs inconditionnels du mécanisme projeté pourraient nous objecter que sauvant les banques, le FESF sauvera les Etats. C'est inexact. La meilleure preuve est que c'est ce qui a déjà été fait en 2008. Même si le dit FESF n'existait alors pas et que le soutien n'a donc été ni global (quelques banques seulement furent aidées et non pas quarante comme on l'envisage aujourd'hui), ni coordonné (chaque Etat, dont la France a alors tenté d'éteindre l'incendie dans le périmètre de son économie nationale). Or, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le même problème est revenu, mais considérablement aggravé en 2011, les banques ayant cette fois-ci fait entrer dans leurs actifs des fractions considérables de dettes souveraines des Etats européens, devenues des actifs toxiques, mais sans contrepartie en capital.  

Par ailleurs, la seule façon de responsabiliser les dites banques à l'égard d'un quelconque soutien, réside dans une gouvernance accrue, et des pouvoirs renforcés de la part des Etats. Que cela prenne la forme d'une mise en conformité renforcée et rapprochée des banques à l'égard des exigences du traité de Bâle III; celle d'une intervention au capital des banques et donc, pour appeler les choses par leur nom, d'une nationalisation partielle ou totale (envisagée par certains hors tout dogmatisme); celle d'une présence de représentants de l'Etat au Conseil d'Administration et de Surveillance de ces banques; celle d'exigences de contrôle renforcées des comptes et opérations; celle d'une séparation rigoureuse de l'activité de dépôt de celle d'affaires. Or, à écouter M Barroso, si l'on traite bien le volet recapitalisation immédiate, rien n’apparaît sur le volet gouvernance dont relèveraient l'ensemble de ces mesures et décisions, au demeurant nécessaires en tout ou partie. 

Le FESF, est donc mort né dans son véritable objectif. Il n’empêchera aucune réplique de l'actuelle crise bancaire. Il ne préservera pas davantage du risque systémique désormais avéré ou de l'effet domino. Pire, par une perverse logique, il amplifiera encore les difficultés, puisque cette fois-ci ce sera de façon mécanique que les banques en difficulté recevront le soutien des Etats, sans aucune contrepartie structurelle probante. En effet, le FESF n'a pas vocation à proposer des éléments ou principe de gouvernance financière, puisqu'il n'est qu'un source de financement en cas de mise sous tension des titulaires ou détenteurs de dette souveraine. Une machine à éteindre les incendies en somme; Mais sans que jamais l'on touche véritablement au départ de feu. 

On nous parle encore de créer un "choc de confiance". Quelle naïveté! Ou quelle imposture. En 2008 déjà, le soutien accordé aux banques avait comme double objectif d'éviter leur effondrement en raison d'une capitalisation insuffisante, et de redonner confiance aux marchés. Rien n'aura été fait à la hauteur nécessaire et dans une durée contractée pour traiter la question de la recapitalisation. Quant aux marchés, ces derniers auront, comme les banques qui en sont également les acteurs, spéculé de façon éhontée depuis lors, creusant la tombe des Etats comme des acteurs économiques à travers la dégradation des notations (voir la Grèce et l'Italie; voir la notation des banques elles-mêmes) induisant un renchérissement du coût de leur dette, et frappant d'hypothèques graves leur solvabilité (et pas seulement leurs liquidités comme une certaine vulgate économique voudrait le donner à penser) . 

Pourquoi donc une recapitalisation des banques aujourd'hui, fut-ce à travers le FESF, redonnerait-elle la moindre confiance aux marchés? La seule chose qui pourrait ramener cette confiance serait une vision de long terme de l'économie des Etats de la zone euro, adossée à des perspectives de croissance. Il suffit de considérer l'exemple grec. A peine les décisions de soutien à l'Etat grec étaient-elles prises par le FMI, la BCE et L'Union européenne, assorties des plans d'austérité draconiens que l'on sait, que les marchés saluaient les mesures dans une défiance totale au motif qu'elles n'étaient couplées à aucune dynamique de croissance. Pire, les plans d'austérité imposés seuls étaient désignés, à juste titre, comme de nature à tuer toute possibilité de reprise économique proportionnée aux efforts et économies budgétaires imposés. 

Les marchés ne raisonneront pas autrement après recapitalisation des banques par le FESF, pour le coût gigantesque envisagé de 100 à 200 milliards d'euros. Les marchés attendent de la zone euro qu'elle résolve l'équation de l'équilibre budgétaire conjugué à la croissance. Ou du moins qu'elle fasse de la résolution de cette équation sa priorité. Encore faut-il pour cela prendre des décisions qui soient de nature à tirer cette croissance. Or c'est précisément là que le bât blesse. A force de plans d'austérité et de rigueur budgétaire, les Etats européens ne font rien d'autre que la Grèce, en ne consacrant plus rien, ou presque, à ce qui serait de nature à dynamiser la croissance. Le remède devient alors pire que le mal. Et les marchés sanctionnent, inévitablement, avec l'incidence sur les dettes souveraines via la dégradation des notations, et l'augmentation mécanique qui en découle des actifs toxiques dans les comptes des banques. Augmentation provoquant à son tour de nouveaux besoins de capitalisation. Le tout dans un cercle vicieux.
Le FESF et son action de recapitalisation ne peut pas engendrer ce qui ne relève pas de lui, mais d'une action économique et budgétaire concertée de la part des Etats européens. Hors cette dernière, les marchés ne manqueront pas d'être constants. Et la crise continuera de s'auto-réaliser. On aura simplement accru au passage les besoins des banques, donc le niveau d'engagement du FESF, et par voie de conséquence les concours des Etats.

Ce qui soulève également la question du niveau de la dotation du FESF pour intervention. On appréciera comme il se doit la fourchette qui situe dans un rapport de un à deux ce qui sera nécessaire pour la recapitalisation des banques. Dans tous les Etats européens, la politique d'austérité menée fait chercher ici ou là les quelques milliards d'euros utiles pour contenir la dette publique et parvenir à un semblant d'équilibre budgétaire (qui ne trompe personne). Au prix, la plupart du temps de régression ou de stagnation sociales, du recul (habillé) de budgets au demeurant fondamentaux pour l'avenir de la nation (éducation, santé). Ici, un arbitrage de 100 milliards d'euros est fait ... à 100 milliards d'euros près.

Mais au delà, ce n'est pas de 100 ni même de 200 milliards dont la zone euro a besoin. La dette publique de la seule Italie est de 2000 milliards, cet Etat étant directement menacé d'une dégradation de sa notation. La dette publique allemande est également de 2000 milliards. La dette souveraine française s'élève en 2011 à plus de 1600 milliards, avec une menace directe pesant sur son triple A (malgré les dénégations gouvernementales) en raison de l'extrême fragilité de son équilibre budgétaire et d'une croissance en grand danger. Les besoins de financement de la seule Grèce sont de plus de 200 milliards d'euros d'ici à 2015. En 2008 déjà, les besoins des banques au titre de la recapitalisation étaient de 500 milliards de dollars selon le FMI.  Au mois de Juillet dernier, Jacques Attali défendait la thèse, réaliste dans l'ordre de grandeur au regard de ce qui précède, selon laquelle c'est d'une dotation de 2 000 milliards d'euros dont le Fond Européen de Stabilité Financière a besoin.

Avec une dotation de 200 milliards d'euros du FESF pour laquelle la France renâcle pourtant, on est donc loin du compte, entre la recapitalisation des dizaines de banques concernées par une faillite virtuelle ou une dégradation de leur notation, et les besoins en financement des Etats directement impactés par la crise de leur dette souveraine. On se ment donc. Et on ment mal. Avec 200 milliards d'euros, on ne fait une fois encore que laisser du temps à la crise systémique pour s'auto-réaliser, ce dont les marchés ont une conscience aiguë et avisée.

Enfin, reste le sujet des stress tests. Tout au long de l'été, et sans déroger aux épisodes précédents sur la question, la communication officielle du gouvernement français et des instances européennes est restée centrée sur leur pertinence. Et de nous dire officiellement aujourd'hui, dans l'explicitation du cas Dexia que "même quand une banque a réussi les stress tests", il faut "être prêt à toutes les éventualités". Dont acte. Puisque les stress tests étaient censés être probants, et les banques devaient être aptes à résister à un risque systémique tenant compte de l'incidence des dettes souveraines, et que malgré tout il convient de procéder à des recapitalisation massives, c'est donc soit que les stress tests étaient insuffisamment exigeants, soit que leurs résultats ont été enjolivés. Soit les deux. Ne faisons aucune procès d'intention, et, demeurant factuels, constatons donc que malgré le redoutable coup de semonce de 2008, on aura laissé les banques faire courir aux Etats et à elles-mêmes un risque majeur de crise de dette souveraine, pour la limitation duquel il faut aujourd'hui recapitaliser. Le moins que l'on puisse dire est que ni la responsabilité politique, ni la transparence ne sont au rendez-vous de la gouvernance de la zone euro, pour ne parler que d'elle.

Qu'attendre alors des tractations en cours et du prochain sommet de la zone euro le 18 Octobre prochain?  Paradoxalement, rien. Rien de définitif en tous les cas. Peut-être, sans doute même, l'Allemagne et la France parviendront-elles à surmonter leurs divergences notamment sur la modalité de recours au FESF. Mais voilà qui ne réglera ni la question du rôle actuel et futur du FESF; ni celle de la gouvernance de la zone euro; ni celle de la nécessaire affirmation de la souveraineté des Etats, avec toutes conséquences de droit, au regard des banques dans la dépendance desquelles ils se trouvent de fait;  ni celle de l'indispensable contrôle des Etablissements financiers dont la dérive et l'incurie concourt à l'auto-réalisation de la crise des dettes souveraines; ni celle du rééquilibrage des relations avec les marchés faute d'avoir émis des signes réellement probants en termes de niveau d'engagement et de convergence budgétaire aux fins de dynamisation de la croissance; ni celle de la pertinence des indispensables simulations destinées à apprécier le niveau de risque global afin de déterminer les engagements financiers utiles. Et pourtant, s'il est bien des problématiques qui devraient être abordées en relation directe avec le FESF, ce sont bien celles-là. Y compris et surtout quand la recapitalisation des banques propulse le FESF sur le devant de la scène.

On pourra nous rétorquer que tel n'est pas l'objet du prochain sommet. A quoi nous répondrons qu'à force de se réunir dans l'urgence et/ou de ne jamais anticiper ou aborder les questions sur le fond, la zone euro se condamne non plus seulement à subir la crise, mais à la générer. Le FESF aurait pu être un outil précieux. Il n'en sera visiblement rien, sauf à ce que la zone euro soit acculée à une extrémité encore plus radicale (mais jusqu'où faudra-t-il donc aller?) puisqu'aucune partie ne semble disposée à regarder plus loin que le prochain ou le dernier spasme financier, sans jamais se hisser sur le plan structurel. Les banques en mal de recapitalisation auraient tort d'agir autrement qu'avec cynisme. Tout comme les marchés. Les citoyens européens quant à eux apprécieront qui sont condamnés, par l'intermédiaire de leurs dirigeants, à voler au secours de ceux qui les enterrent. En toute impunité.


Klaus Regling, Directeur Général du FESF (Capture d'écran du site lexpress.fr)



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