lundi 5 décembre 2011

L'Italie de Mario Monti et les symboles



Mario Monti, dont la désignation fut approuvée, et ce fut sans nul doute la seule chose qui compta dans sa nomination, par les marchés; père d'un vertueux et symbolique triptyque "Rigueur, Croissance, Equité" salué par les mêmes comme par le FMI et la Commission Européenne, vient donc de rendre sa première copie budgétaire, s'agissant d'un budget de rigueur sans précédent pour atteindre l'objectif ambitieux d'un retour à l'équilibre en 2013 pour l'Italie. 

Où le symbole on le voit, est d'une puissance extraordinaire, la tension sur les obligations italiennes à 10 ans diminuant d'environ 0,15 points chaque quinzaine depuis l'entrée en fonction du nouvel homme fort de Rome surnommé "le Cardinal", symbole toujours, pour se situer aujourd'hui à 6,36% contre les 6,77% au plus fort de la fin de l'ère Berlusconi.

Il fallait, pour atteindre le triple objectif, économiser encore 20 milliards d'euros après les 60 milliards déjà amputés en moins de 4 mois. Ce qui fut fait.

Qui implique des sacrifices plus que conséquents: hausse de la fiscalité indirecte et directe, cure d'amaigrissement draconienne du régime de retraite par allongement des durées de cotisation, recul de l'âge de départ et désindexation d'avec l'inflation. Symbole là encore d'un modèle social qui ne saurait perdurer en l'état. On travaillera donc plus longtemps pour une moindre couverture de ce côté-là aussi des Alpes, puisque le service de la dette l'exige. 
Symbole aussi de l'incapacité dans laquelle se trouvent désormais les Etats européens, enserrés par une problématique financière de gestion de la dette découplée de l'économie réelle, de maintenir simultanément leur rôle de protecteur efficace et celui de débiteur solvable. On aura choisi, le message est clair.

Budget qui, à défaut de lui faire la part belle, accorde aussi pleinement  sa chance à l'avenir avec 10 milliards d'euros de dépenses consacrés à la croissance, à la politique industrielle et à l'emploi. 
Symbole fort celui-là, qui montre le souci de l'Italie de conforter sa dynamique de pays "industriel" qui n'entend pas se laisser distancer et qui souhaite même renouer avec une balance commerciale équilibrée dont l'excédent n'aura été perdu que depuis deux ans, forte d'un tissu industriel beaucoup plus dense, étroitement maillé, et largement moins sinistré que celui de la France par exemple.  

On aimerait que de telles ambitions aient animé la conception du budget français, mais la copie de François Fillon post G20 de Cannes n'était visiblement pas traversée par les mêmes préoccupations après 5 années de gabegie budgétaire fatales faisant suite à un tunnel budgétaire de 30 ans, et un déficit à 5,7%. Mais de symbole pourtant fécond on ne s'embarrassa point en France, semblant croire, à tort, que la rigueur se suffisait à elle-même. On le paiera bien vite, c'est mécanique et certain.

Budget soucieux d'équité enfin, celle-ci n'étant pas en reste puisque la hausse de la fiscalité touche un certain patrimoine somptuaire ainsi que les fonds ayant fait l'objet d'évasion fiscale, la symbolique, mais pas seulement, étant au rendez-vous d'un rééquilibrage volontariste de l'effort budgétaire. 
A titre comparatif, la France elle aussi aura eu ses symboles, mais à l'envers, avec son bouclier fiscal mis en oeuvre avant d'être supprimé en 2011, mais après avoir coûté jusqu'à 679 millions d'euros en 2009 et encore 591 millions d'euros en 2010.

Un budget italien rigoureux et en tous points symbolique donc. Mais bien plus encore.  

Incontestablement, le fait pour l'Italie de se savoir adossée au FMI qui vient de lui garantir un prêt de 600 milliards d'euros afin de stabiliser sur 12 à 18 mois les taux de financement de sa dette le temps que les réformes, ajustements structurels et autres restructurations portent leurs fruits, la sécurise et lui permet d'affronter avec autant de sérénité qu'il est possible le redressement projeté. 

Pour l'Italie, passer hier, mais c'était il y a quelques jours seulement début Novembre, sous contrôle du FMI constituait une marque de faiblesse. C'est devenu aujourd'hui le signe d'un ancrage qui stabilise les perspectives financières et donc accélère le retour à l'équilibre et à une croissance viable. 
Symbole financier, géopolitique et institutionnel de l'incapacité de l'Europe à gérer seule sa problématique de crise systémique interne par contagion des dettes souveraines; de la faiblesse comme de l'inadéquation de ses ressources; de l'absence de gouvernance financière interne à la zone; de la nécessité qui s'impose soit de s'en remettre à une institution internationale davantage dotée, soit de faire évoluer sans délais les institutions intra-européennes, et au premier chef la BCE. Mais il ne semble guère que ce soit le chemin choisi par Paris et Berlin. 

Même si les syndicats grincent déjà des dents, mais pourrait-il en aller autrement, l'Italie se met en ordre de marche non seulement pour affronter une légère mais effective récession avec un repli du PIB de 0,4% à 0,5% annoncée par l'OCDE pour 2012 mais aussi, et l'attitude devient offensive, pour conquérir, c'est évident, une nouvelle place au sein de la zone euro. 
Symbole économique que celui d'une Italie réaliste qui aligne ses prévisions de croissance sur celle de l'OCDE, fussent-elles sombres, mais pour mieux affronter les faits. A l'inverse de la France qui préfère maintenir une prévision de croissance pour 2012 à 1% alors que l'organisation internationale prévoit une contraction du PIB à 0,3%, face à laquelle les incantations de François Baroin apparaissent comme inopérantes et bien peu responsables.

Symbole politique également du sursaut d'orgueil de l'Etat italien, de sa crédibilité retrouvée, de la place qui est la sienne sur l'échiquier européen, et de sa volonté de compter que la présence assurée de Mario Monti au mini Sommet européen tripartite du 24 Novembre.

L'Italie symbole économique de la fragilité d'une construction européenne fondée sur la seule maîtrise de la dette publique. Car si cet Etat était hier raillé pour la personnalité de son décadent Président du Conseil, il menait néanmoins exactement la politique qu'on attendait de lui, ni plus ni moins mal que ses homologues français et allemands, affublés respectivement de 1600 et 2000 milliards de dette publique. Qu'on la comptabilise à Rome pour 120% du PIB, à Paris pour 84,7% du PIB ou à Berlin pour 83,2% du PIB, dans tous les cas, on était bien au-delà des 60% du Pacte de stabilité et de ce qui est économiquement supportable. Avec le risque systémique associé, qui est en train de se concrétiser, la contagion étant, logiquement, des plus rapides. 

Et l'on se gardera bien de faire de l'Allemagne un modèle, parce que symbole d'une certaine orthodoxie budgétaire. Car en l'espèce, même avec un budget quasiment à l'équilibre, le symbole est usurpé du point de vue de l'intégration européenne, s'agissant d'un Etat dont la démographie est vacillante, la dette rien moins que la première européenne, la croissance étant tirée par les seules exportations européennes et donc extrêmement fragile, la prévision 2012 ramenée par l'OCDE de 1,9% à 0,2% étant à cet égard parlante. 

L'Italie symbole social, à travers les larmes d'Elsa Fornero, Ministre des Affaires du dit domaine de compétences, qui n'aura pu prononcer le mot "sacrifice" lorsqu'il s'agit, le 4 Décembre au soir, d'annoncer que les retraites ne seraient plus indexées sur l'inflation. Sans donner dans la "psychologisation" de l'économie, on voit bien que le "coup de rabot" touche à des dispositifs essentiels dont l'avenir est hypothétique et le présent marqué d'une austérité qui signifie perte directe de pouvoir d'achat et, d'une certaine façon, spéculation à la baisse sur le quotidien des personnes. Justifié ou non la question n'est pas que là, le fait faisant resurgir l'humain dans le champ de l'économie politique qui le chasse méthodiquement.
L'Italie symbole de la nécessaire réappropriation sociale de la contrainte économique?

L'Italie symbole républicain encore lorsque Mario Monti déclare le 4 Décembre toujours qu'il est "de (son) devoir de renoncer à (son) salaire de président du Conseil et de ministre de l'économie et des finances". La comparaison étant parlante d'avec une France par exemple dans laquelle le chef de l'Etat aura non pas gelé, non pas diminué, mais augmenté en 2007 ses émoluments de 172% au mépris de toute dignité républicaine, quelles que soient les raisons en termes "d'alignement" sur ses homologues alors que la crise était déjà installée et la dette colossale. 

Il se passe incontestablement quelque chose en Europe qui vient de l'Italie. 
Un Etat ne peut pas incarner, concentrer ou interférer avec autant de symboles économiques, financiers, politiques, sociaux, républicains, géopolitiques, institutionnels, sans interpeller très fortement l'ensemble de ses partenaires comme les observateurs. 

Il ne s'agit pas tant de dire que l'Italie renaît de ses cendres que de constater qu'elle vit, au milieu d'énormes difficultés et dans un contexte des plus instables, une mutation complète en accéléré, assumant son passé, qui n'est ni plus ni moins erratique que celui des autres, et se tournant vers son avenir de façon quasi exemplaire, avec la volonté de créer une nouvelle donne dans une unité nationale restaurée.

Il convient sans doute de ne pas faire qu'observer ce nouveau petit miracle italien là, dont la construction européenne pourrait tirer non seulement un réel profit, mais aussi des leçons à travers de multiples et nécessaires interrogations. Il serait bien en effet et salutaire pour toute l'Europe que l'on ne soit pas constamment enfermé dans un leadership franco-allemand, au demeurant et à juste titre contesté. D'autant plus que les divergences sont à présent considérables touchant au coeur même du processus fédéral en cours de déploiement.  

L'Italie, un nouveau pilier de l'avenir de l'Europe en devenir? 
Observons simplement que Mario Monti a d'ores et déjà annoncé le 4 Décembre l'objectif ultime de son action: "Pour que l'Italie puisse remplir un rôle crédible et efficace en Europe, elle doit résoudre au plus vite certains problèmes qui la rendent un partenaire peu crédible, voire une source d'infection".

Un dirigeant, déjà passé aux actes, ne saurait faire profession de foi européenne plus responsable et plus authentique. 

Ressources:



capture d'écran du site lemonde.fr


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