lundi 5 décembre 2011

Nathalie Stutzmann, artiste totale


Attention, dithyrambe (mais qui n'a rien d'excessif, étant sans doute en dessous de la réalité)!

La cantate BWV 169 de Bach, placée sous le signe de la confusion, du trouble, de l'inquiétude d'une âme qui cherche et se cherche. Ici dans le ténébreux aria "Stirb mir".

Dans une interprétation, extraordinaire, de l'Ensemble Orfeo 55 sous la direction de Nathalie Stutzmann, qui assure également la partie vocale, son premier talent, qui n'a rien d'exclusif.

Une formation réduite pour un baroque ciselé, ne cédant jamais au maniérisme ni au clinquant, mais merveilleusement expressif et intime (on goûtera notamment de façon toute particulière les dialogues exceptionnels de l'orgue avec les violons, la voix, et le tutti). Des violons dont les cordes sont mordues par des archets remarquablement justes sur un fil entre l'attaque incisive, le poussé implorant et soyeux, et le tiré lancinant.

Et surtout, Nathalie Stutzmann, véritable, impériale et infiniment troublante contralto, qui à la tête d'une tessiture stupéfiante d'ampleur et d'un vibrato d'une élégance absolue, habite sa partie avec un lyrisme extraordinaire;

Une modulation du souffle qui nous fait ressentir physiquement, le mouvement de la vie intérieure dans toutes l'étendue de ses courbes, de ses motifs entre sommet et abysses, mais aussi celui de l'âme dont on osera dire qu'elle cherche son propre souffle, peinant à le trouver parfois, mais ne se laissant pas épuiser, puisqu'il s'agit de trouver un nouveau souffle ce qui est l'objet même de la cantate;

Une fluidité comme une intelligence incomparables de la diction, à faire pâlir et remiser peut-être celle de Dietrich Fischer-Diskau qui en apparaîtrait presque trop mécanique, tant la mastication du Verbe est inspirée, délicate, créatrice, l'émotion riche de sens étant au bout de chaque son.

Mais aussi Nathalie Stutzmann immense chef d'orchestre dont la gestique d'une très rare élégance et efficacité, traduit à elle seule le souffle et le mouvement de cette même âme que son chant dépeint, emportant la formation sur la vague ainsi créée.

Tout ici est expressif, beau et fécond. Stutzmann ne dirige pas: elle "est" direction, tout son corps, buste, bras, mains extraordinaires, visage, devenant l'outil même de la direction.
On pense à Seiji Ozawa par exemple, le parallèle étant troublant. Et ce n'est pas un hasard, puisque c'est ce dernier qui a très tôt décelé l'immense potentiel de cette chef d'orchestre rare, la prenant sous son aile, et exaltant le meilleur de cette artiste totale.

Mais il ne fut pas le seul à mesurer la beauté du joyau, puisqu'elle chante avec les plus grands, de Rattle à Gardiner en passant par Minkowski, oeuvrant par ailleurs en tant que chef invité, outre la direction de sa propre formation Orfeo 55.

Stutzmann aime passionnément les oeuvres et la musique; l’esthétique musicale. Et sans doute, ce que l'histoire ne dit pas, les être humains. Car on ne peut pas être aussi intelligent dans la compréhension de l'ordre expressif intime de la musique, et aussi généreux dans la volonté de le partager jusque dans la gestique de chef, sans chercher toujours, à atteindre l'auditeur de façon intime pudique et respectueuse.

Son art fait ici merveille avec Bach qui, pour ne cesser d'être baroque, en devient pourtant et en un certain sens classique et même romantique.
Là encore, ce n'est pas un hasard, puisque cette grande artiste s'est essayée avec le même éclat aux symphonies de Mahler que je vous recommande.

"L'artiste totale" disais-je. Comme tous les très grands.





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