vendredi 2 décembre 2011

A propos de l'impact des nouvelles technologies sur les méthodes de travail


A propos de l'impact des nouvelles technologies sur les méthodes de travail, du point de vue de la sociologie des organisations, de l'économie et de la finance


Développement du crowdsourcing, rémunération à la qualité et au rendement, déploiement du cloud computing, rupture culturelle due à la montée des "digital native", DSI transformé en DRH de la ressource digitale, logiciels métiers communautaires: tels sont en effet les axes majeurs de la nouvelle donne que les nouvelles technologies créent et imposent à l'activité productive.

L'article qui motive le présent propos est intéressant qui, sans créer la nouveauté, confirme ces tendances et manifeste le caractère inéluctable de l'évolution de l'organisation du travail qui en découle.

Faut-il y voir, sans restriction, des avancées? 

Pour peu qu'on sorte de la simple analyse technique propre à la fonction informatique, mais aussi qu'on dépasse l'approche managériale, la plus grande circonspection est de mise. 

Car avancées technologiques et redéfinition ad hoc des organisations ne riment pas nécessairement avec progrès de la condition de l'homme au travail. Loin s'en faut.
"Bouleverser" le travail n'implique pas de soi en améliorer les conditions sur le fond. Encore moins le couper du cadre macro-économique, socio-économique, politico-économique, dans lequel il s'insère, qui lui, est un invariant doté d'un pouvoir de contrainte sans limite qui constitue la principale source de fragilisation des dites conditions. 

On voit bien les avancées technologiques, réelles et majeures, ainsi que les nouvelles questions et les nouveaux enjeux, partiellement mais néanmoins pertinemment pointés dans l'article: 

Risque de désinvestissement des collaborateurs par dématérialisation de la relation physique au sein de l'entreprise; 
Difficulté de quantifier le travail lorsque la variable "temps" n'est plus premièrement ni même explicitement prise en compte; 
Difficulté d'intégrer à l'évaluation des collaborateurs des critères qui ne permettent pas de quantification rigoureuse (comme la créativité);
Difficulté de déterminer et maintenir la ligne de partage entre vie privée et vie professionnelle, l'accessibilité permanente et totale permise par l'infonuagique ayant flouté sinon irréversiblement gommé la démarcation;
Risque de conflits intergénérationnels lié à des différences de perception et de conception de la culture d'entreprise entre les "digital native" et leurs aînés;
Risque de développement d'une culture du contrôle automatisé et exhaustif des données ou data des collaborateurs et de leur activité sans égard pour la préservation de leur vie privée même au travail, sous couvert de maîtrise de l'activité productive ou encore de confidentialité des données de l'entreprise;
Difficulté de faire évoluer vers la fonction RH la fonction SI qui est par nature une fonction technique ne prédisposant pas du tout, historiquement, à la culture du "lien social" et de la "ressource" et de sa potentialité à force d'avoir été tournée vers l'infrastructure technologique;
Difficultés liées à la socialisation croissante à la fois sur le plan interne et externe qui décloisonne l'entreprise à l'intérieur et la rend très perméable et interagissante avec l'extérieur, ce qui fait vaciller un certain schéma vertical et un rapport à l'autorité hiérarchique;
Etc. 

Mais quiconque connait un tant soit peu la matière économique, la sociologie des organisations et l'histoire, voit bien que derrière ces risques, difficultés, qui pointent autant d'enjeux, d'interrogations, il existe un cadre très formel qui lui, n'est en rien remis en cause par l'ensemble du processus de redéfinition des conditions de l'organisation du travail en raison des mutations technologiques en général et informatiques en particulier. 

Pour passer à la limite, on pourrait dire que "tout est bouleversé" mais que "rien ne change" si ce n'est dans le sens de la facilitation d'une plus grande extension de l'emprise de la finance sur l'économie en général et les entreprises en particulier, ce qui ne constitue pas en soi un quelconque "progrès". 

Car dans une économie mondialisée et donc sous pression concurrentielle extrême, les maîtres mots sont et seront de plus en plus "rentabilité", "productivité" et "compétitivité", la valeur résidant dans le bien produit (matériel ou non) et/ou le service rendu pour un coût toujours réduit, abstraction faîte donc, et c'est tout le problème, de tout le volet organisationnel qui se doit avant tout d'être plus efficace et non pas plus humain, les méthodes, outils et structures de production étant subordonnés à cela. 

Dès lors, ces nouvelles formes d'organisation du travail, en apparence source d'autonomie, de créativité et de liberté pourraient fort bien n'être que des formes plus évoluées de dépendance envers la "production" (un service demeurant une "chose produite") qui se doit d'être optimisée par tous moyens. 

En ce sens, ces avancées ne seraient rien d'autre que les vecteurs d'un néo-taylorisme largement théorisé en son temps par Taiichi OHNO, même à l'appliquer à une société de services et non plus à une société industrielle désormais vieillissante. 

Même si mieux habillé, mieux présenté, plus convenable, plus agréable à vivre, plus convivial, et l'on notera l'importance de la notion de plaisir dans la relation à l'outil, pour mieux effacer la frontière vie personnelle/vie professionnelle, d'un mot, apparemment "plus humain".

Confondre bouleversement de la sociologie des entreprises sous l'influence des mutations informatiques et des télécoms, et mieux-être de l'homme au travail, c'est être victime d'une illusion d'optique majeure liée à un défaut de perspective qui fait oublier ce paradigme socio-économique et socio-politique: la domination tyrannique de l'économie sous l'emprise totale de la finance est telle que les organisations demeurent au service de l'économie et non l'inverse. 

Dès lors, ces nouvelles formes d'organisation du travail pourraient fort bien n'être qu'une modalité très évoluée de sujétion de l'homme au travail à la machine productive, l'antique aliénation étant maintenue, de façon d'autant plus redoutable que le sujet y prend plaisir et croit y trouver son compte. Le management modifié en conséquence se faisant à son tour le serviteur du triple objectif rentabilité-productivité-compétitivité. Qu'il soit autoritaire ou participatif, que la communication soit horizontale ou verticale, que la délégation et l'autonomie permises par l'outil soit importante ne change rien à l'affaire: si l'on investit dans ce nouvel outil informatique, c'est pour améliorer les ratio de rentabilité, le bouleversement des méthodes ne correspondant qu'à un ajustement structurel pour permettre au dispositif d'être optimisé. 

De fait, la question ne se pose donc pas de savoir si ces évolutions sont souhaitables ou non. Elles sont là, inévitables. Elles sont précieuses pour le fonctionnement général de l'économie. De là à dire que l'homme au travail y trouve vraiment son compte, il y a un pas qu'on ne franchira qu'avec la plus extrême prudence, puisque de toute évidence pour toucher aux formes d'organisation, on ne remet pas en cause, ce qui n'aurait pas de sens, les données structurelles. 

En réalité, les acteurs de l'entreprise sont donc en situation d'inventer ou pas un mieux vivre le travail qui n'est pas contenu dans les évolutions technologiques elles-mêmes mais dépendent des rapports sociaux au sein des entreprises. 

L'histoire la plus récente ne montre absolument pas que les rapports humains ou la valorisation du sujet au travail aient été embellis par le simple fait des nouvelles structures qui vont toutes dans le sens décrit précédemment. Ces rapports sont fondamentalement des rapports de force et sont pour l'heure très déséquilibrés en raison de la pression socio-économique et des hypothèques graves pesant sur l'emploi dans les pays industrialisés vieillissants et en crise.

Sous ce rapport, nouvelles technologies signifie tout au plus et pour demeurer constructif, nouveaux enjeux pour de nouvelles opportunités de rééquilibrage des rapports sociaux autour de et au sujet du travail. L'outil ne faisant pas le rapport. 

Le travail humain demeure à la fois à défendre dans la valeur inestimable qui est la sienne au sein des entreprises, et à réhabiliter tant le perfectionnement constant des outils a signifié avant tout efficacité accrue de l'entité, mais pas nécessairement construction et valorisation de soi du sujet au travail, et encore moins valorisation collective puisque la rareté de l'emploi a induit ce qu'on pourrait appeler une socialisation plutôt inquiète avec son cortège de manifestations préjudiciables à l'efficacité des entreprises. 

Hors la vigilance de tous les acteurs, le respect rigoureux du droit et de ses règles, une culture de la négociation en entreprise, une réaffirmation de la dignité de l'homme au travail, les nouveaux outils, n'échappant pas à la règle, n'apporteront rien de neuf, et surtout, rien de bon, dont on voit déjà les dérives, le droit du travail précisément, étant sérieusement malmené quand il n'est pas purement et simplement oublié dans une ère économique profondément influencée par la remise en cause de tout cadre réglementaire ou légal.

De toute évidence, les défis comme les risques associés à ces nouvelles technologies sont de taille et ressortent même de problématiques sociétales essentielles. Raison de plus pour bien réfléchir à ce que l'on fait en matière d'organisation du travail en rapport avec ces évolutions, sans productivisme béat, ni a fortiori malhonnête, précisément.

Capture d'écran du site lemondeinformatique


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