lundi 12 décembre 2011

Méditation poético-philosophique à propos du Temps avec Aragon

Instant poétique

(A  propos du poème "J'arrive où je suis étranger" d'Aragon)

Refuser de céder ce matin à la fureur du monde comme à son assourdissant et inutile vacarme. Et penser à ceci, en compagnie d'Aragon, que je partage avec vous.

*

Le temps cher Lecteur, le temps.

Notre maître, notre bourreau dont Hegel disait qu'il dévore ses enfants.

Le continuum de notre accomplissement, celui de nos espérances tour à tour nourries et déçues, celui de notre rédemption peut-être (mais qui sait?), celui de nos précaires et minces victoires et de nos magnifiques et durables défaites;

Celui qui fait que nous sommes, dans un paradoxe stupéfiant qui porte et fait trembler, tout à tour fécond et destructeur, à la fois projet et poussière, tout et rien, l'univers et le vide, l'être et le néant, cri et silence, vérité et illusion. Mais nous ne pouvons jamais ni choisir ni retenir les uns et les autres qui fuient sans cesse;

Celui dans lequel Héraclite et son mobilisme universel fondateur de l'existentialisme, et Parménide et sa métaphysique essentialiste, sont bien contraints de se réconcilier, parce que nul n'a tort et que nous sommes sans cesse aux prises avec cette puissante dialectique traversant autant notre vie d'homme que l'Histoire;

Celui dans lequel d'être chaque jour un peu plus soi, on échappe pourtant un peu plus à soi même. Où l'enfance est peut-être la vérité lorsqu'elle voudrait se fuir dans la maturité et la sagesse, à moins que ça ne soit la maturité qui est empreinte du désir d'enfance, deux illusions au fond, mais fécondes parce qu'elle font sens par le simple mouvement que crée la coexistence des contraires: ce qu'on appelle la vie;

Celui dans lequel la vérité sur soi, de n'être que paradoxe, nous fait à chaque jour toucher et éprouver ce que nous sommes et qui nous échappe à jamais: un mystère.
Un mystère dont Einstein, un autre poète grand connaisseur du Temps, qu'on ne s'y trompe pas et la chose n'a rien d'accessoire, disait: " j’éprouve l’émotion la plus forte devant le mystère de la vie".

Le temps, dimension d'un mystère que seul le silence dévoile, repliant la vie sur elle-même dans le mouvement qui l'aura fait passer de l'extériorité totale à l'intériorité pure, ce mouvement même constituant son essence.

D'où sans doute notre fascination pour le temps. Dans les méandres duquel Aragon nous guide ici de façon poignante.

*

Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger


Un jour tu passes la frontière
D'où viens-tu mais où vas-tu donc
Demain qu'importe et qu'importe hier
Le coeur change avec le chardon
Tout est sans rime ni pardon


Passe ton doigt là sur ta tempe 
Touche l'enfance de tes yeux
Mieux vaut laisser basses les lampes
La nuit plus longtemps nous va mieux
C'est le grand jour qui se fait vieux


Les arbres sont beaux en automne
Mais l'enfant qu'est-il devenu
Je me regarde et je m'étonne
De ce voyageur inconnu
De son visage et ses pieds nus


Peu a peu tu te fais silence
Mais pas assez vite pourtant
Pour ne sentir ta dissemblance
Et sur le toi-même d'antan
Tomber la poussière du temps


C'est long vieillir au bout du compte
Le sable en fuit entre nos doigts
C'est comme une eau froide qui monte
C'est comme une honte qui croît
Un cuir à crier qu'on corroie


C'est long d'être un homme une chose
C'est long de renoncer à tout
Et sens-tu les métamorphoses
Qui se font au-dedans de nous
Lentement plier nos genoux


O mer amère ô mer profonde
Quelle est l'heure de tes marées
Combien faut-il d'années-secondes
A l'homme pour l'homme abjurer
Pourquoi pourquoi ces simagrées


Rien n'est précaire comme vivre
Rien comme être n'est passager
C'est un peu fondre comme le givre
Et pour le vent être léger
J'arrive où je suis étranger

Louis Aragon
J'arrive où je suis étranger



Et pour l'admirable version de ce poème par Jean Ferrat, c'est par ici:




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