jeudi 1 décembre 2011

Minuit moins une pour le système bancaire européen


Ainsi donc Moody's vient-il de placer 87 banques européennes sous surveillance, envisageant la dégradation d'un à deux crans de leur notation. La France est notamment concernée, tout comme l'Espagne, l'Italie et l'Autriche, les établissements financiers sur la sellette étant concentrés dans ces Etats.

L'occasion de se rappeler deux ou trois choses s'agissant des Etablissements financiers, et d'en tirer les conséquences s'agissant du statut des banques en général et de celui de la BCE en particulier.

1) En 2008, il aura donc fallu voler au secours des Banques qui avaient largement spéculé en mettant en oeuvre et exploitant sans limite aucune les mécanismes de titrisation, propageant ainsi la crise originelle des subprimes. 
Montant total des actifs toxiques: 700 milliards de dollars. Montant total des garanties accordées par à leurs banques (pour permettre le refinancement) par les Etats de la seule zone Europe (y compris la Suisse): environ 1 000 milliards d'euros. Montant déboursés par les Etats pour permettre une recapitalisation immédiate des banques: entre 320 et 350 milliards d'euros pour l'Europe et 185 milliards d'euros pour les Etats-Unis. Pour la seule France: 320 milliards d'euros de garantie et 40 milliards d'euros pour la recapitalisation.

2) Les Banques en question n'ont été sauvées de la faillite que parce qu'outre ces concours financiers directs, on a mis en place des structures de defeasance (Etats-Unis) permettant de confiner les actifs toxiques. 
On avait prévu une gouvernance financière qui n'aura été mise en oeuvre de façon ni concertée, ni sérieuse, ni complète: pas de durcissement des normes applicables aux agences de notation, pas d'examen des "Credit Default Swap" (contrats d'assurance responsables pour une large part de la crise d'alors et actuelle, se surajoutant à l'exposition aux dettes souveraines, s'agissant de contrats d'assurance non financés). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, ce manque de gouvernance a entraîné la crise des banques de Mai à Octobre 2011.

3) Les Etats et les banques ont éhontément menti s'agissant d'expliquer les causes des difficultés rencontrées par ces dernières pour la période en question. En effet, le montant total d'exposition des banques européennes à la dette souveraine des Etats de la zone euro en difficulté ne représentait "que" 100 milliards d'euros, provisionnés, dont 35,8 milliards pour la Grèce. Les banques françaises n'étant concernées par cette dette consolidée qu'à hauteur d'environ 33 milliards dont 10,3 milliards d'euros pour la Grèce. 
Pour faire face, le besoin total de recapitalisation chiffré par l'EBA le 26/10 à 106 milliards d'euros a pu être intégralement financé par augmentation de fonds propres à partir d'affectation ou de réaffectation des bénéfices, conversion de dette en capital, et financement privé. Les banques françaises ont pu "absorber" ce besoin de financement du aux dettes pour 8,84 milliards selon ce schéma. 

Mais pourquoi alors Moody's annonce-t-il aujourd'hui une dégradation de la notation des banques en invoquant l'incapacité de ces dernières à faire face aux dettes souveraines si les Etats ne le pouvaient plus? Faut-il en conclure que lorsque les Etats soutiennent les banques, ils leur permettent en réalité de faire face à autre chose qu'aux dettes souveraines? Ce que Moody's pointe sans le dire. 

4) Les stress tests subis par les banques européennes dans le cadre des accords de Bâle III, malgré les déclarations satisfaites des gouvernements européens, ont en réalité relevé de la pantalonnade. Ce qu'a démontré dès l'été 2011 l'effet domino provoqué par les difficultés rencontrés par la Grèce incapable de faire face à ses engagements financiers en raison de sa dette. Jusqu'au paroxysme de la crise lors du Sommet Européen des 26 et 27 Octobre. Il manquait 106 milliards d'euros qui n'auront été mobilisés par les banques que lorsqu'elles furent au pied du mur. Car elles ne veulent pas de Bâle III et ne cesse promouvoir cette attitude de résistance passive concernant la hauteur de leurs fonds propres. 

Spéculer oui, mais sans filet. Jusqu'à ce que le pire arrive. En Octobre, les banques ont bien tenté de faire croire que le pire était advenu et que les Etats devaient mettre la main à la poche. Bien essayé, mais raté. Jusqu'à la prochaine fois. Et c'est sans doute très précisément ce que Moody's pointe aujourd'hui. Car la prochaine fois, les Etats seront dans la plus totale incapacité d'intervenir. Et les banques n'auront plus de marge de manoeuvre pour augmenter à nouveau leurs fonds propres.

5) Le crash total de Dexia a été évité de justesse, les banques étant à nouveau impliquées, la faillite n'étant à nouveau écartée que par l'intervention des Etats, grâce là encore à une structure de defeasance, la liquidation de la holding malade venant d'être confiée à ce qui reste de Dexia après restrructuration. 

6) Depuis l'été 2011, les banques, malgré leurs dénégations, ont restreint comme jamais le crédit à la fois à l'adresse des entreprises et des particuliers. Les Etats européens et donc la France sont donc bel et bien entrés dans cette phase appelée techniquement "credit crunch", dans laquelle l'argent frais n'alimente plus l'activité économique malgré une inflation très faible et des taux historiquement bas. Les banques ne jouant plus leur rôle, l'effet de repli de la croissance est inévitable. Et même d'amplification de la récession, puisque l'OCDE a clairement et à juste titre indiqué le 28 Novembre qu'elle avait commencé de s'installer.

Les banques ont donc peur, c'est évident. Peur de ne plus pouvoir faire face à la fois à leurs engagements nés de leur activité spéculative, à l'exposition aux dettes souveraines des Etats de la zone euro, à leurs propres charges. D'un mot, les banques ont peur de la faillite. Qui n'a donc jamais été aussi probable, puisque que le mécanisme est ici auto-réalisateur (c'est bien le danger du Crédit crunch amorcé). 

Alors? 

Alors il est devenu parfaitement légitime de se poser sérieusement la question de la nationalisation partielle ou totale des banques, équitable cela va de soi. 

Car les établissements financiers ont prouvé:

A) Qu'ils ne tiraient aucun enseignement des crises successives. Ce qui a un coût énorme pour les Etats. Et donc les citoyens. 

B) Qu'ils ne s'engageaient pas de façon transparente et déterminée dans un schéma de gouvernance financière. Or celle-ci est indispensable sous peine de mort économique des Etats.

C) Qu'ils avaient néanmoins un besoin vital des Etats pour garantir leur activité et leur pérennité. Ce qui ne peut se faire indéfiniment sans contrôle, sans contrepartie, les Etats étant toujours placés devant le fait accompli. Or ces Etats sont eux-mêmes en crise grave avec des économies en récession.

D) Que puisqu'ils ne jouent plus leur rôle micro et macro-économique de financement de l'activité, un déséquilibre majeur survenant entre l'activité spéculative de la banque d'affaire et celle de banque de dépôt, les Etats doivent désormais ré-infléchir grâce à leur présence au capital et leur représentation, l'activité générale des banques de façon responsable au regard de l'économie générale. 

Alors et par ailleurs, la question du prêteur de dernier ressort (Lire en suivant ce lien un article remarquable de 11/2011 sous le titre "La Banque centrale européenne, un prêteur de dernier ressort"), de sa nécessité, de ses missions, de sa solvabilité même, étant désormais directement posée par la décision de Moody's de dégrader des notes des banques, sachant que le FESF est mort né; la question du statut de la BCE devient centrale et doit occuper une place de choix dans les Traités européens dont on envisage aujourd'hui la redéfinition. On peut faire comme si la question n'existait pas, mais cela reviendrait à faire courir l'Europe à sa perte.

Crûment exposé, soit la BCE acquiert le pouvoir de prêter ou de garantir des dettes souveraines, ce que le Traité de Lisbonne lui interdit à l'heure actuelle, et les banques ont quelque chance de tenir autant que les économies de connaître un regain. Soit on refuse à la BCE ce pouvoir et il ne faut plus répondre de rien, les prêteurs étant exposés à la faillite qu'ils créeront eux-mêmes (qu'ils sont en train de créer) à travers la crise du crédit en cours. 

Alors ... 

Alors il est minuit moins une pour le système bancaire européen et même mondial.



Capture d'écran du site lemonde.fr


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