vendredi 4 novembre 2011

Du bonheur, de la paix et du second mouvement du concerto pour flûte et harpe de Mozart



Le 1er Novembre 2011 - 21h00

Voici le Mozart des jours heureux, celui des heures de plénitude insouciante, celui qui se laisse aller à exprimer la douceur de vivre comme la félicité; celui qui n'est hanté par aucune mort ni aucun jugement; celui que la nostalgie ne frappe ni ne torture; celui encore qui n'est ni dans le marivaudage ni dans la conquête enfiévrée des sommets de la virtuosité. Non, tout simplement le Mozart qui salue la vie qui sait être belle, parfois. Belle et tendre. Apaisée.

Le concerto s'imposait sans nul doute pour traduire cela. Qui plus est un double concerto qui résonnera comme un duo amoureux, un jour de complicité amie. Un concerto dans lequel l'orchestre est comme la nature autour des deux amis ou amants, offrant un merveilleux écrin à leurs murmures et douces paroles.

On se comprend avec peu de notes. Point n'est besoin d'arpèges triomphants et répétés, de cassure rythmiques, de ruptures de ton multipliées, d'ornementations. La simplicité. La parfaite simplicité avant tout. Celle qui terrasse dans sa pureté le personnage de Salieri dans l'Amadeus de Milos Forman, lorsqu'il découvre la partition et les premières mesures de ce mouvement précis, fragment d'un opus que Constance cédera pour une misère.

Pas de place pour la tension ou la lutte ici entre un tutti et des voix qui chercheraient à vaincre. Non, l'harmonie, tout simplement; la pureté; l'équilibre parfait, l'orchestre soulignant avec une élégance extrême tour à tour l'une et l'autre voix, sans jamais imposer son motif ou sa force.

Le choix de la harpe et de la flûte n'ont rien d'anodin, comme à chaque fois. Deux instruments qui rendent si merveilleusement l'écoulement, le flux: celui de la vie, celui des choses, celui des émotions qui ne sont heurtées par rien.

Deux voix aériennes, immatérielles: ici celle qu'un souffle éphémère fait naître et emporte avec lui; là celle d'un son dont l'amplitude ne naît pas de la puissance de l'instrument, mais des arpèges effleurés sur ces cordes qui tiennent tendues presque, dirait-on, par enchantement.

Deux instruments dont la tessiture s'accorde si naturellement à celle de l'autre, dont les aigus sont d'une texture si voisine, et dont les graves sont presque surprenants de douceur envahissante.

Deux instruments dont le vibrato est si difficile à maîtriser pour demeurer délicat comme il doit l'être, chose qui est ici magnifiquement réussie.

De tels moments musicaux sont extrêmement rares dans l'oeuvre de Mozart (On pensera également par exemple au second mouvement du concerto pour clarinette, dans lequel le tragique point néanmoins). Sans nul doute parce qu'il n'est pas un compositeur apaisé mais tragique avant tout et qui déploie constamment le sublime dans l'exposition de la gravité au détours de chaque fantaisie ou facétie qui ne sont au demeurant là quasiment que pour servir de contrepoint au tragique. Tout comme il n'est jamais le compositeur badin qu'une écoute superficielle autant qu'une présentation infantile et vide de sens comme de justification voudraient donner à la penser. Tout comme il est encore moins le compositeur "léger" auquel un contresens musical et musicologique hélas durable voudrait le réduire.

Neville Mariner, retenu pour la bande originale de l'Amadeus déjà cité, est ici à la baguette, garant des subtils équilibres comme de la délicatesse de l'ensemble, dans une interprétation qu'il parvient à renouveler quels que soient les interprètes. Ce n'est pas minimiser le talent de ces derniers, réel, que de le souligner, tout en rendant à cet immense chef d'orchestre l'hommage qui lui revient s'agissant, comme Sir Colin Davis par exemple, d'être capable de restituer avec autant d'intelligence la finesse extrême, la légèreté et la densité ou l'intensité de l'écriture mozartienne.

Le bonheur et le plaisir harmonieux et paisible d'être comme d'exister sont des choses éminemment sérieuses et rares, mais aussi légères, évanescentes. Il faut les saisir au vol. Au vol, d'où la flûte et la harpe, aériennes, il faut y revenir. Le second mouvement de ce concerto est un moment magique durant lequel Mozart arrête le temps qui altère, suspend le tragique, donne à la grâce comme à la merveilleuse et si désirée légèreté de l'être, l'espace qui s'ouvre, le temps qui caresse et l'univers sonore qui rend immatériel, dans lesquels paix et sérénité s'épanouissent.

Laissez-moi vous inviter à explorer votre état intérieur lorsque la dernière note aura été jouée. Il y a de très fortes chances pour que pour un temps, la noirceur du monde ait été effacée, et qu'un équilibre à la fois harmonieux et mystérieux vous ait envahi: Mozart vous aura rendu heureux. Ou plus exactement que, par la grâce de son génie à travers cette oeuvre unique entre toutes, Mozart vous ait permis de vous rendre vous-même disponibles au bonheur.

Il ne serait pas surprenant que vous souhaitiez prolonger cet état en écoutant à nouveau le duo enchanteur de la flûte et de la harpe. Qui voudrait quitter ainsi un monde enchanté?

Je reparlerai très bientôt ici d'une oeuvre de Mozart et de son interprétation dans laquelle la flûte possède cette même force expressive. Mais comme contrepoint d'un voix tragique cette fois-ci. Ce qui change tout. Pour un résultat qui, néanmoins et encore, touche au sublime. 

Mais pour l'heure profitons du bonheur, de la paix et de la douceur mozartiennes!




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