lundi 28 novembre 2011

Les agences de notation sont de meilleurs politiques que les politiques


Suite à l'annonce par l'agence de notation Moody's de la dégradation programmée des notes des Etats de la zone euro (Ici pour l'article du monde daté du jour sur le sujet; et ici pour la note détaillée en anglais sur le site de Moody's)

Je m'exprime souvent ici et ailleurs sur le sujet des agences et des marchés. Y compris pour dénoncer la dangereuse dérive de la prise de contrôle directe et indirecte de la décision politique par ces établissements qui sont juge et partie et confondent, tout comme les marchés, politique et management, gestion économique et financière et conduite de la politique d'une nation, élection et nomination ou validation, démocratie et totalitarisme.

Mais puisque la nature a horreur du vide et que les politiques européens (mais ni plus ni moins que leurs homologues hors la dite zone) n'occupent pas leur place et n'assument pas leurs responsabilité dans ce qu'elles ont d'essentiel, je veux parler de gouvernance et de construction politique, les agences de notation finissent par prendre et occuper une place déterminante dans la lecture qu'il faut faire des évènements économiques qu'elles créent pour partie (et là se tient en effet l'une des difficultés voir des incohérences du pouvoir auto-réalisateur des annonces de ces acteurs là), tout comme dans la définition des perspectives et moyens utiles au redressement de la zone euro.

Les agences de notation, comme les marchés, mais de façon encore plus directe puisqu'elles ont pour fonction d'évaluer, non seulement font ouvertement de la politique, nous le savions. Mais encore mieux que les politiques, et là est la nouveauté.

Car que ressort-il de la note d'analyse (de solvabilité, destinée aux investisseurs) de Moody's pour la zone euro rendue publique ce matin même?  
Que dit donc d'extraordinaire cette agence qui pointe de façon criante la carence de construction politique de la dite zone malgré les rodomontades élyséennes et la diplomatie aux forceps d'Angela Merkel?


I - Que la zone euro maintiendra son unité sans autre défaillance que celle la Grèce

Et de préciser que ce " "scénario 'positif' est porteur de conséquences très négatives pour les notes" des Etats européens. 

Schizophrénie? Que nenni! Le message est on ne peut plus clair qui pointe cette contradiction phénoménale: la défaillance grecque a été dépassée par une mobilisation immédiate sans précédent de la Commission Européenne, des Etats membres de la zone, de la BCE, des Banques qui se sont pliées aux exigences des Etats (mais avec des contreparties de taille), du FMI. Mais sur le fond, rien n'a changé. 
  
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, puisque les banques sont toujours insuffisamment capitalisées, puisque le confinement des dettes souveraines n'est toujours pas réalisé, puisque la force de frappe du FESF n'est toujours pas constituée (le fond n'étant ni doté en cash de façon suffisante; ni organisé pour que l'effet de levier dans un rapport de 4 à 5 soit effectif), puisqu'aucun mécanisme financier stable et permanent ne permet de faire face en cas de contagion effective de la dette d'un Etat, alors le cas échéant, les Etats de la zone euro devront non pas absorber une difficulté mais à nouveau gérer une situation de crise avec des moyens de crise.
  
Ce que l'agence reproche aux dirigeants européens, c'est tout simplement et quelles que soient les raisons, de n'être pas prévoyant, ce qui est pourtant l'essence de l'action politique, puisque gouverner c'est prévoir. De ne pas savoir, la crise grecque passée qui menaçait toute la zone, installer des institutions financières efficaces et durables. Pour ne plus avoir à gérer des situations de crise à répétition, précisément, qui affoleront les marchés et fragiliseront les économies nationales. 
Une agence de notation qui demande aux Etats de faire de la politique. La situation est savoureuse si elle n'était tragique pour les économies de la zone euro.


II - Que les politiques européens doivent, et la chose est exprimée de façon explicite,  faire de la politique
  
"Alors que la zone euro dans son ensemble possède une force économique et financière énorme, la faiblesse de ses institutions continue d'entraver la résolution de la crise et de peser sur les notes. En l'absence de mesures politiques qui stabiliseraient la situation des marchés à court terme, ou de stabilisation de ces marchés pour toute autre raison, le risque de crédit [associé aux pays européens] va continuer de monter."
  
La formule mérite d'être relue. Oui, l'agence de notation souligne la puissance de la zone euro. Là où les politiques eux-mêmes semblent ne pas en avoir conscience, transis qu'il sont face aux  notes d'analyse et aux perspectives et échéances de notations. Paralysés qu'ils sont face aux marchés qui eux aussi, connaissent si bien la puissance de la dite zone qu'ils peuvent continuer à spéculer en toute tranquillité, convaincus, à juste titre, que les Etats sauveront toujours ce qui doit l'être. Même in extremis. Même à n'importe quel prix (y compris à celui donc, d'une "casse" économique et sociale effrayante, celle-là même qui est en cours).   
  
Mais alors que manque-t-il? Des "institutions" fortes et des "mesures politiques" de "stabilisation"! Le FESF n'était sans doute pas une mauvaise idée. Encore fallait-il le constituer rapidement et le doter d'une puissance financière réelle. Ce qui ne fut pas fait pour cause de divergence entre la France et l'Allemagne sur la question des garanties. Ce qui n'est toujours pas fait.
La BCE pourrait voir son rôle renforcé et élargi. Mais là encore, les désaccords principalement franco-allemands buttent sur la responsabilité financière du bras armé de la zone euro.
D'un mot, là encore, les institutions européennes étant d'essence politique, Moody's ne fait rien d'autre que de souligner la carence de dimension politique de la construction européenne qui butte sur les égoïsmes nationaux. 
Une agence de notation qui demande à des Etats qui ont décidé de promouvoir une construction commune d'accélérer ce processus d'intégration, ce qui est en soi et pour eux un facteur de stabilité et donc d'équilibre des comptes et de prospérité pour l'édifice commun, voilà qui ne manque pas de sel. 


III - Que puisque les politiques ne comprennent rien à rien et sont trop lents à construire l'Europe, les Etats devront apprendre du pire et se construire à travers ce dernier

"l'élan politique pour mettre en œuvre une solution efficace à la crise pourrait n'être trouvé qu'après une série de chocs, ce qui pourrait mener davantage de pays à se voir privés d'accès aux marchés du financement pour une période prolongée".
  
En définitive, si les crises sont appelées à se succéder, ce n'est pas la faute des marchés. La responsabilité est imputable aux politiques et eux seuls, qui, ne promouvant pas les institutions financières européennes, et, lâchons le  mot, un fédéralisme européen impliquant une forte intégration budgétaire (même si les modalités doivent en être soupesées et négociées, mais précisément, le débat est purement politique), laissent la porte ouverte à une spéculation effrénée sur les dettes souveraines notamment. 
Cynisme? Mais, une fois encore, les marchés sont amoraux. Il s'agit de faire de la politique qui elle, devrait être saine sur le plan de la gestion et morale sur le plan des formes et de la répartition des efforts. La solidarité des Etats n'est pas un vain mot, s'agissant par exemple de la mutualisation des dettes, dont l'idée progresse, mais trop lentement (la faute à l'Allemagne) et pour une fraction trop réduite des Etats (toujours la faute à l'Allemagne et à son obsession d'une Europe en cercles, le premier semblant aujourd'hui ramené à 5 Etats).
  
Nous devrons donc apprendre des échecs, l'Europe accouchant d'elle-même dans la sueur et les larmes. La faute aux marchés? La faute aux agences? En rien. La faute aux politiques et aux politiques seuls qui ne savent pas dépasser les tensions entre Etats, normales, pour se projeter dans une construction fédérale ambitieuse dont la mutualisation des dettes est une dimension centrale, voire un pivot.
Là encore, Moody's donne une leçon de saine politique européenne.


IV -  Que puisque les politiques semblent ne pas prendre la mesure de l'urgence, l'explosion de la zone euro n'est plus une fiction, mais un scénario plausible, et presque inévitable si la crise n'est pas gérée par le haut.


"Moody's indique devoir considérer "la probabilité d'un scénario encore plus négatif". Selon elle, "la probabilité de défaillances multiples […] d'Etats de la zone euro n'est plus négligeable" et ne cesse d'augmenter en l'absence de solution à la crise."

Ce qui est parfaitement exact. Car à force de prendre le risque, faute de construction accélérée, de voir des Etats mis en défaut, ce qu'ils ne peuvent pas ne pas être, la nécessité s'imposera, inéluctablement, pour certains d'entre eux de prendre le pari insensé mais inévitable de retrouver leur monnaie et de procéder à une dévaluation immédiate. Ce qui accélérera encore le processus de désintégration de la zone euro.

L'Europe se détruira donc d'autant plus vite qu'on ne l'aura pas construite avec la rapidité et l'intégration qui s'imposait.

Mais qu'y a-t-il donc dans ces analyses d'original que les Etats ne sachent ou ne puissent savoir? Moody's un oiseau de mauvaise augure? 
Le réalisme consiste à voir que Moody's ne fait que mettre en lumière les inconséquences d'une construction européenne qui s'est arrêtée en chemin, axée qu'elle était sur le volet monétaire sans embrasser la dimension économique d'intégration budgétaire. Ou si mal avec un pacte peut-être adapté mais aucune convergence de fait des politiques budgétaires et fiscales. Or ce volet là n'est autre que politique.

Moody's se trouve ainsi en situation de souligner sur le plan de l'économie politique normalement du ressort des politiques eux-mêmes, la nature et l'urgence des décisions politiques utiles à la préservation par la zone euro de ses propres intérêts.

Retournement historique sans précédent dans lequel les acteurs économiques sont contraints de rappeler les politiques à leurs propres responsabilités. 

C'est dire la responsabilité gigantesque des chefs d'Etat qui sont visiblement incapables de se hisser au niveau des exigences de leur fonction. Etant rappelé que cette incurie se paye du prix d'un accroissement de la charge de la dette supportée par les citoyens. Ces derniers apprécieront.


Capture d'écran du site lemonde.fr

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