vendredi 4 novembre 2011

A propos du pouvoir et du désir


Billet écrit et posté sur les réseaux sociaux le 30 Octobre 2011

La réflexion qui suit a comme point de départ un très bel article d'Ariane Chemin et David Revault d'Allones paru sur le site web du Monde le 29/10/11 sous le titre "La Strauss-Kahnie entre rage et amertume" qu'on pourra retrouver en suivant le lien ci-dessous.

Capture d'écran du site lemonde.fr 

A propos du pouvoir et du désir

Je ne vois ni d'abord ni seulement dans cet article, bon au demeurant, le portrait des amis, des camarades ou alliés politiques, ce qui serait anecdotique et somme toute de peu d'intérêt tant la chose est évidente. L'auteur ne décrit pas tant des alliés que des humains face à un politique à terre. Et ce qui se joue là les passe infiniment. Il n'est donc pas difficile de croire à leur ignorance de l'ampleur du mal, sans pour autant devoir être suspecté de complaisance.

Je n'y vois pas davantage une occasion de s'apitoyer: les proches, les prêtre ou rabbin, les médecins spécialistes, sont là pour prendre en charge cette dimension de la question, chacun à sa place. Le citoyen n'a rien à voir à cette affaire là.

J'y vois, entre autres choses et sans que cette approche épuise l'affaire, la déchéance d'un homme et le renvoi à une interrogation éternelle: pourquoi et jusqu'à quel point l'ivresse du pouvoir peut-elle simultanément porter un homme si haut et le couper de la perception de toute limite, ouvrant sous ses pieds un abîme qui risque à tout moment de l'engloutir?

Eros et thanatos. La force qui pousse celui qui veut peser sur le destin d'une nation et donc du monde, est la même que celle qui peut le briser. Rien ne peut l'arrêter parce qu'il croit en son "destin". Plus de place pour la morale, l'éthique, et même sous un certain rapport, le droit ou la justice. Machiavel ne disait rien d'autre. Plus de place pour une relation apaisée à son propre corps. Le désir de pouvoir qui l'anime et le tourmente (même s'il considère, consciemment ce pouvoir comme une responsabilité, un service, une charge- la preuve, et l'on aurait mauvaise grâce à faire ici le moindre procès d'intention) vient nourrir et déchirer son désir, la violence de sa relation aux corps étant le symbole de la violence de la relation au pouvoir.

Le sujet devient alors prisonnier, esclave même du tyran qu'il a choisi pour maître: le pouvoir. Il lui a fallu "vendre son âme", un jour, sous une forme connue de lui seul, dans un temps qui a fort bien pu n'être qu'un instant, pour que la conquête du pouvoir devienne possible. Ce qui fut fait. Il y a très longtemps sans doute.

Son corps et son désir faisaient partie du pacte entre lui et lui-même, entre lui et son inconscient, entre lui et le pouvoir, entre lui et son destin politique, mais il ne le savait qu'incomplètement, sans l'ignorer toutefois (puisque la chose est plus que fréquente chez les hommes de pouvoir. Il suffit de regarder l'histoire). Certains se tirent de ce pacte là, avec ce corps là, en assouvissant la pulsion dont la manifestation (honteuse aux yeux de la société et menaçante pour la conquête comme pour la conservation du pouvoir) sera par après cachée (masquée, enterrée, occultée, niée, blanchie même si nécessaire), usant de leur pouvoir précisément.

Mais chez d'autres, le rapport d'Eros au pouvoir est si organique, si fondateur, si originel, si tyrannique lui aussi, qu'il rend le pacte encore plus intenable. Le désir du pouvoir et le désir des corps ne font plus qu'un. La jouissance intime et sauvage procurée par l'exercice du pouvoir et celle de la possession des corps est fusionnelle, parce que de même nature. On pense à Kennedy par exemple. La tension intérieure entretenue par le goût (le sens, l'obsession) du pouvoir est identique à celle qui pousse vers les corps. Le pouvoir a définitivement phagocyté le désir chez sa victime. La violence du pouvoir en soi comme à l'égard du sujet lui-même, se dit et se réplique dans la violence du rapport aux corps.

Le sujet voudrait sans doute se libérer de cet enfer (ce qu'il ne peut se dire que de façon personnelle et intime sans doute, dans de brusques accès de lucidité). Mais il ne peut désormais que s'y soumettre. Croyant (avec ou sans illusion sur le sujet) oublier cette dépendance à l'égard du pouvoir dans l'abandon au plaisir. Mais, là est le cercle vicieux, le désir de pouvoir utilise cette ruse pour continuer d'imposer, inexorablement, sa violence, et la possession des corps ne fait plus que refléter, indéfiniment, sans que jamais la satisfaction l'accompagne, l'obsession de l'autre pouvoir.

Le sujet se condamne virtuellement à mort en tant que politique dans le temps même ou il entretient cette obsession du pouvoir. Le pacte intime conclu avec ce dernier a dénaturé son désir des corps. Partiellement à son insu. Jamais plus il ne connaîtra la satisfaction, la plénitude. Il est condamné au vide et à la réplication. D'autant plus violente que le désir de pouvoir se fait plus impérieux et tyrannique. Que le pouvoir est effectivement détenu ou en passe de l'être, à chaque fois plus grand.


N'est-il pas découvert, que le drame demeure intérieur. Mais de plus en plus critique. Chaque allégeance à la tyrannie du corps constitue un danger pour le désir de pouvoir. Mais le pouvoir parfait est à ce prix, nourri de cette tension. Jusqu'à ce que, peut-être, l'homme, brisé, écartelé entre ces deux désirs là, commette le ou les actes manqués irréparables qui vont le rendre à lui même; rendre possible la réconciliation avec lui, entre lui et son corps, lui et son désir; l'affranchir de la tyrannie du désir des corps mais au prix de la perte irréversible de la faculté de conserver le pouvoir et de lutter pour satisfaire son insatiable appétit d'un pouvoir toujours plus grand.
Il aura fallu tuer, malgré soi sans nul doute, le politique et rompre le pacte intime, pour dissocier les deux faces du désir dont l'une accomplissait son oeuvre de mort. La politique ou la vie.

Il est certain que la question de la nature et de l'origine du désir de pouvoir ne se pose pas de façon aussi radicale chez tous les hommes politiques. Mais la menace s'impose pourtant à tous. Le risque étant d'autant plus avéré que le désir de pouvoir est grand. A fortiori quand les raisons de l'exercer semblent aller de soi. Bien au-delà de son propre camp, et avec un très large consensus parmi les grands nations. Ce qui semblait bien être le cas avec cet homme politique là.

La vie y aura gagné, de toute évidence. Tant pour le sujet que pour ses victimes, passées ou potentielles. La politique y aura perdu sans doute.

Mais n'est-ce pas bien ainsi, justement?



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