jeudi 24 novembre 2011

Réflexions sur la fonction politique de la Première Dame


Billet publié sur les réseaux sociaux le 22/11/2011


Claude Pompidou et la Fondation comme le Centre du même nom; Anne-Aymone Giscard d'Estaing et la Fondation pour l'enfance; Danielle Mitterrand et la Fondation France-Libertés; Bernadette Chirac Présidente de l'AP-HF, outre la présidence... de la Fondation Pompidou, et la Maison des Adolescents.

Conformément à nos institutions, aucune de ces femmes n'avait ou n'a la moindre légitimité d'ordre politique. Et c'est bien ainsi compte-tenu de la nature comme de l'origine même du pouvoir en démocratie. 
Néanmoins, il existe une triple fonction symbolique de la Première Dame dans le domaine politique qui mérite d'être soulignée:

1) Contribuer à la préservation de l'intégrité de la fonction présidentielle. 

Précisément pour cette raison que le Chef de l'Etat, de fait, qu'on le veuille ou non, qu'on apprécie ou pas, perd la faculté d'avoir une vie privée. Dès lors, il s'expose et expose inévitablement la fonction et tout l'ordre politique avec, pour peu que son comportement ne soit pas irréprochable, marginal, déviant ou si l'on veut être positif, précurseur par rapport à notre pratique institutionnelle et sociale. 

Pourtant la fonction ne saurait être altérée.
La Première Dame, quoi qu'il lui en coûte et même si la chose n'est régie par aucun Protocole, est politiquement obligée par cette réalité. 
Sous ce rapport, Danielle Mitterrand par exemple fut une femme absolument remarquable avec l'affaire Mazarine. Quoi qu'on pense du schéma relationnel en question. 
Mais chacune de celles que nous avons citées en réalité. A qui nous devons non pas d'avoir entretenu une hypocrisie collective, mais d'avoir maintenu, malgré la faiblesse de leur présidentiel époux, une certaine cohérence du pouvoir et de sa représentation collective. Critiquable sans doute, mais indispensable. 
A contrario, on pourrait par exemple citer Cécilia Sarkozy qui n'aura pas joué la comédie du pouvoir sans états d'âme, l'aura mal jouée et aura ainsi fragilisé un moment la dite fonction présidentielle.

2) Contribuer à la réappropriation du temps de l'action politique

Le politique déploie son action dans l'instant. Mais un instant schématisé, filtré à travers le prisme des dossiers, études, sondages. Un instant capté par les grandes contraintes macro-économiques et les impératifs géopolitiques, mais considérés sous l'angle des problèmes immédiats précisément. Un instant prisonnier de toutes les échéances électorales, y compris et surtout celles qui ne portent pas sur sa fonction même. Un instant trahi parfois, souvent, et détourné de son but, les faits s'imposant avec brutalité à l'exercice du pouvoir jusqu'au reniement souvent. 

Aussi le temps du politique, par un singulier paradoxe alors que celui-ci dispose, de fait, de la faculté de regarder au loin, se contracte-t-il et se réduit-il à l'immédiat. Et d'avoir le pouvoir de tracer des perspectives, les Chefs d'Etat se trouvent-ils en réalité condamnés à subir et faire subir la dictature de l'immédiat qui ne laisse quasiment aucune place aux perspectives et au temps historique. Sauf à afficher une volonté quasi héroïque, à devoir lutter contre leur temps, parfois au mépris de leur avenir politique. Ce qui est fort rare on le conçoit aisément, sauf en fin de Mandat et en cas de non représentation. 

Dès lors, la Première Dame joue un rôle essentiel qui, parce qu'elle n'est soumise à aucune échéance, et pas même celle de la fin du mandat de son époux, peut entreprendre des actions qui se poursuivront dans la durée. Et qui seront investies de la force comme de la légitimité et pas seulement des moyens, au demeurant déterminants, induits par la "dimension" présidentielle. 

Santé, éducation, droits de l'homme, problématiques sociales, culture, les Fondations créées par les Premières Dames sont autant de reconquête de l'action politique dans la durée qui échappe au Mandat présidentiel. 

On peut sourire de ces actions, les qualifier, à tort, de "bonnes oeuvres", ou de "passe-temps" pour épouse oisive. Elles sont beaucoup plus fondamentalement des espaces à la fois concrets, engagés mais aussi symboliques de réappropriation d'une dimension de l'action politique qui ne peut pas, par nature, s'inscrire dans l'exercice du pouvoir suprême.

Certes il y a, notamment, des Portefeuilles, des Ministères, des Administrations pour prendre en charge ces missions de l'Etat, mais dont l'action est soumise à la même temporalité que celle du pouvoir suprême. L'action de la Première Dame est donc cruciale qui marque un changement de paradigme et vient se placer "à côté" et non pas "en marge" de l'exercice du pouvoir, avec une force de projection à long terme étrangère à l'action d'un chef de l'Etat.


3) Réaffirmer des priorités politiques par ailleurs ignorées ou négligées 

La Realpolitik s'impose le plus souvent à l'exercice du pouvoir. Le même paradoxe surgit alors qui fait que ce qui serait utile voire nécessaire "en soi", devient secondaire dans l'ordre des priorités politiques, qu'elles soient purement politiques ou économiques. 

Dans un tel contexte, les Fondations créées par les Premières Dames sont autant de voies pour réaffirmer le caractère prioritaire ici de la culture, là du développement, là encore de la santé des adolescents ou des enfants hospitalisés, ailleurs de la misère sociale, et par extension de toutes les missions de l'Etat qui pourraient être un temps reléguées, voire abandonnées. A fortiori quand elles ne sont pas directement "productives".

Voici d'ailleurs pourquoi certaines Premières Dames se retrouvent conduisant à travers leur Fondation certaines actions qui constituent intrinsèquement une mise en cause voire un cruel rappel à l'ordre des politiques menées par leur époux Chef d'Etat. Ainsi par exemple, quand François Mitterrand menait une politique africaine à tout le moins cynique, son épouse s'engageait-elle sur cette même terre en faveur du développement. 
On se gardera bien de voir dans ces structures des alibis aux politiques gouvernementales: leur projet dépasse largement ce cadre auquel il est étranger.

Il va de soi qu'il serait absurde d'aller jusqu'à dire que l'action d'une Première Dame constitue à elle seule une politique. Ni qu'elle en tienne lieu. Ni qu'elle s'y substitue. Mais inversement, on ne saurait sous-estimer au regard de cette triple fonction symbolique la grandeur liée au rôle, à défaut que soit à une quelconque fonction. 
De ce point de vue, Danielle Mitterrand à qui nous sommes nombreux à rendre aujourd'hui hommage, aura, par un comportement exemplaire, assumé au plus haut point personnellement et à travers la Fondation France-Libertés cette triple fonction symbolique de la Première Dame qui, pour n'être par institutionnelle n'en est pas moins fondamentale à notre vivre en commun. Et au-delà.

L'actuelle Première Dame a elle aussi créé une fondation. On peut se gausser tant la distorsion entre les missions de cet établissement, s'agissant de promouvoir l'éducation, la culture et les pratiques artistiques envers les personnes vulnérables, et l'action du gouvernement est majeure. On peut aussi être a minima interpellé par une certaine présidence bling-bling mal assortie à la triple fonction symbolique évoquée de l'action d'une Première Dame. 
Mais on peut également lui souhaiter, portée par la force de ce qu'elle incarne et la justesse de la cause, de glisser ses pas dans ceux de ses prédécesseurs et de faire avancer des idéaux dont la valeur est incontestable.



capture d'écran du site tempsreel.nouvelobs.com


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