mercredi 16 novembre 2011

Qu'est-ce qu'un mot d'esprit?


Qu'est-ce qu'un mot d'esprit?

Se poser la question, c'est affirmer que tous les mots ne sont pas d'esprit. Ce qui est bien singulier si l'on y regarde de près, puisque le mot est ce dans quoi la pensée s'incarne et existe véritablement, sans pour autant s'y réduire. Un mot sans esprit est finalement comme un océan sans liquide, un chant sans souffle, un sujet sans moi. Un objet impensable. Et pourtant.

Mais alors de quoi procèdent tous ces mots, que nous utilisons en permanence et qui ne sont pas d'esprit ? De l'entendement; de la rationalité; du discours construit; du discours productif; de l'intentionnalité de la parole ou de l'action, toutes choses ou dimensions du verbe qu'il faudrait opposer à l'esprit? 

En ce cas, l'esprit des "mots d'esprit" devient alors la faculté autant que l'expression comme le champ du léger par opposition au sérieux; du gratuit par opposition au nécessaire ou au fonctionnel; du vécu, du sensitif, de l'émotionnel par opposition au rationnel; de l'absurde par opposition au cohérent; de l'insensé par opposition au pertinent; de l'impertinent par opposition au convenu; de l'insoumission par opposition à l'obéissance; de l'irrévérence par opposition à la considération; de l'insolent par opposition au respectueux; du libertaire par opposition au conservateur; de l'inconscient même par opposition au conscient. 

Les mots d'esprit ou le règne de ce qui nous reflète peut-être de la façon la plus intime, dans cet élan vital qui nous habite. Les mots d'esprit ou l'expression de la subjectivité jaillissante. Les mots d'esprit ou la fulguration de la pensée qui rejette avec puissance tout carcan pour dire l'union profonde et intime du sujet au sens caché hors le lien qu'ils instaurent. Les mots d'esprit ou la révélation de l'autre face de soi et du monde. Les mots d'esprit bien au-delà d'une certaine rhétorique mondaine si magnifiquement dépeinte par Bossuet (non, un "bon mot" n'est pas nécessairement un mot d'esprit), c'est évident, qui traduisent l'absolue indépendance du sujet. Les mots d'esprit ou la grandeur de la gratuité absolue. Les mots d'esprit ou l'éclat de la pensée brute.

Singulier paradoxe. 
La pensée rationnelle, consciente, organisée, structurée, intentionnelle, qui prétend pourtant avoir et donner prise sur le monde, les choses, les évènements et sur soi, laisserait échapper son objet ultime dans le saisissement qu'elle est censée permettre à travers les mots qui ne sont pas d'esprit. L'universel du concept porté par le mot trahit donc le monde dans l'effort même par lequel il en permet l'appropriation. Mais ces mots qui ne sont pas d'esprit, qu'on nommera en hommage à Tardieu ou Prévert les "mots sérieux", n'en sont pas moins indispensables, cela va de soi.

Où les mots d'esprit se révèlent alors comme ce qu'ils sont: 
La chose la plus sérieuse et la plus nécessaire qui soit, qui ne flattent pas les passions mais exaltent les émotions sincères et véritables; 
De merveilleux et symboliques raccourcis qui permettent la captation de ce qui est fugace et pourtant essentiel;
L'affirmation souveraine de soi contre le divertissement et la dissipation du sujet dans le flux de la pensée organisée et utile;
La revendication de cette subjectivité magnifique en tension avec la pensée universelle qui peut être anéantissement dans le travail même du concept dont parlait Kant;
La revendication de cette même subjectivité contre toute forme d'autorité;
Une ballet qui unit la pensée mobile et insoumise et le chant des mots;
Un superbe acte de liberté à l'encontre de tous les arbitraires.

On comprend pourquoi certains se damneraient pour un mot d'esprit réussi. Mais l'esprit de ces mots là est trop vif, trop lucide, trop brillant, qui ne veut être le captif d'aucun utilitarisme. Voudrait-on produire en nombre ou sur commande des mots d'esprit, que l'on se condamnerait à ne prononcer que de bons mots. Qui sont tout bien considéré aussi stériles que lassants.

Enfin, des mots d'esprit à l'homme d'esprit, il y a le rapport de la partie au tout; de la cascade au cours; de la lumière à sa source. Et s'il n'est pas en notre pouvoir immédiat de produire à l'infini de véritables mots d'esprit, il n'est interdit à personne de cultiver l'esprit dont ces mots là deviendront les étincelles.

Etre un homme d'esprit. Quelle merveille!





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez la parole!