jeudi 17 novembre 2011

La journaliste, l'accord PS-EELV, et le nucléaire civil français


Sylvie Pierre-Brossolette ce matin sur France-Info, dans un face à face avec Laurent Joffrin dont le sujet était le cafouillage (réel et affligeant) du PS au sujet du mox et le débat/bras de fer (consternant même si c'est la règle du jeu) PS-EELV à propos de l'EPR:


"Bien sûr il y a eu Fukushima qui a suscité beaucoup d'émotion (...) mais je rappelle qu'en France il n'y a eu aucun mort que je sache à cause du nucléaire. (...)"


Quelques observations chère Madame, si vous le permettez (il y en aurait davantage, c'est tellement évident, mais le temps me manque), et sur le fond 
(Je vous fais grâce de l'analyse politicienne du débat, si facile et si stérilement polémique: l'incapacité des socialistes à être crédibles, l'absence de culture de gouvernement du candidat, le fait qu'il n'ait pas la stature d'un homme d'Etat, l'impréparation du PS face aux grandes questions qui concernent la Nation, la mauvaise entrée en campagne du champion du PS, l'embarras dans lequel se trouve le PS à l'égard de son encombrant partenaire EELV, le radicalisme des Verts qui relève de l'irresponsabilité économique, l'instabilité gouvernementale et institutionnelle projetée au regard d'une telle alliance, l'incapacité des Verts en France à se hisser au niveau d'une véritable culture des affaires d'Etat, le fait que PS et EELV soient ignorants des enjeux en termes d'emploi (amusant), etc.). 
Toutes analyses (mais quel est leur intérêt réel en définitive au regard des enjeux précisément?) que  que vous ne manquerez pas de promouvoir sans tarder à travers le Point (Mais je vous comprends. La plupart de vos confrères ne font d'ailleurs que cela depuis hier). Je vous fais toute confiance à ce sujet).


Sur le fond, donc, car là est bien l'essentiel:


1) Tout d'abord Fukushima n'a pas "suscité de l'émotion" comme vous le dites dans une atténuation qui trahit difficilement votre adhésion inconditionnelle et naïve à l'idéologie nucléariste, aberrante et contestable, qui sous-tend l'exploitation industrielle et civile du nucléaire, fondée et justifiée dans l'immédiat, elle.

Cette catastrophe, venant après celle de Tchernobyl en 1986, et compte-tenu de sa survenance dans un pays qui était censé lui aussi "avoir pris toutes les précautions" et qui se situait, comme la France, tout en haut de la hiérarchie des Etats ayant la maîtrise (inexistante et surtout impossible sans restrictions, de toute évidence) du nucléaire, constitue un tournant de l'histoire du nucléaire civil. 


Le monde entier aura du se porter au chevet du Japon à la fois sur le plan technologique, logistique, financier, pour lui permettre de surmonter l'évènement, qui est au demeurant loin d'avoir été dépassé.
La Nation japonaise en est traumatisée qui cache honteusement ses victimes à la fois sanitaires et économiques. Et la catastrophe écologique associée.
Le pouvoir politique japonais en est discrédité qui n'aura su contrôler ni cette industrie sensible au plus haut point (mais lucrative, tellement lucrative!), ni le travail de ses ingénieurs civils en s'en remettant totalement à eux ainsi qu'aux autorités de sûreté nucléaire internationales et à leurs inspecteurs dont vous savez pertinemment qu'ils sont juge et partie, ce qui ne nous protège de rien. La preuve. Monsieur Proglio étant la version hexagonale de cette arrogance technologico-économique. Et M Besson ainsi que MMe Kosciusko Morizet l'incarnation politique de cet aveuglement dicté par des enjeux économiques court-termistes. 
Avez-vous déjà oublié le fait que les dirigeants de Tepco ont du présenter des excuses publiques (sursaut de dignité qui ne fait pas tout mais il est des symboles qui comptent. Nous n'avons pas ici beaucoup de dirigeants qui aient la même dignité face à leurs fiascos écologiques ou économiques) 
L'économie japonaise a vacillé en raison de cette catastrophe, qu'il a fallu soutenir au premier et deuxième trimestre.
Enfin, le rejet massif d'eau contaminée dans l'océan pacifique constitue un problème non résolu quant à son impact sur les écosystèmes. Et ne parlons pas du corium de la centrale qui est encore actif et dont les ingénieurs ne savent pas quoi faire, avec une durée de vie considérable. Mais la chose est tue, c'est évident. 

Nous sommes très loin du simple "émoi" dont vous parlez, cette catastrophe devant servir de catalyseur à une réflexion collective et urgente sur le sujet complexe au regard des dimensions de la question, du nucléaire civil. 


2) Faut-il vous rappeler que l'évènement fut si peu grave que l'Allemagne prit au mois de Mai 2011, à la suite de cette catastrophe écologique majeure et au vu du risque induit par le nucléaire civil -mais les allemands sont des fanatiques vampirisés par les verts direz-vous peut-être, une décision historique concernant sa sortie du nucléaire en 2021, date à laquelle ses 17 réacteurs seront mis hors service. 
Et je connais votre argument qui consiste à dire que l'Allemagne a pu se permettre d'adopter cette position parce qu'elle savait pouvoir compter sur l'électricité française d'origine... nucléaire, externalisant le problème en toute hypocrisie. Et ainsi, enjeux économiques subséquents aidant pour la France, renforçant encore la nécessité de ce que dont on prétend s'affranchir. 


3) Faut-il vous rappeler que le Président Obama, suite à la catastrophe de Fukushima, a accéléré le programme américain de déploiement des énergies alternatives, augmentation la dotation budgétaire et les mesures fiscales.


4) Lorsque vous dîtes que "le nucléaire n'a fait aucun mort en France", permettez-moi d'ajouter ceci: n'a "encore" fait serait plus exact. Car, et pour ne considérer que l'actualité la plus récente, les enquêtes en cours de l'IRSN sur les infrastructures nucléaires, dont les conclusions ont été remises à l'ASN et rendues publiques ce matin même poussent, en vertu du principe de précaution, à rehausser le niveau de protection et renforcer les protocoles d'intervention en cas de catastrophe. 
Je vous invite également à prêter une oreille plus attentive aux salariés d'EDF qui s'alarment des conditions techniques dans lesquelles on sous-traite l'entretien des centrales nucléaires françaises. Le risque augmentant considérablement à mesure que nos centrales vieillissent.


Le "risque nucléaire" est technologiquement avéré. Dès lors, on voit mal comment vous pouvez, péremptoirement affirmer - mais vous êtes en cela le parfait porte-parole du pouvoir en place autant que des industriels impliqués (Areva, EDF), que le nombre de mort, en France, est nul, glissant ainsi subrepticement du fait de l'absence de victimes civiles d'origine française au postulat de l'absence de risque du nucléaire civil (Pour les autres victimes, je vous invite à vous plonger dans les enquêtes épidémiologiques sur les conséquences en France de Tchernobyl. Sachant que vous devrez également ne tenir aucun compte de celles qui portent sur l'augmentation du nombre de leucémies à proximité de la Hague par exemple)  


5) Faut-il vous rappeler encore les prises de position anti-EPR d'un physicien français spécialiste de ces questions et prix Nobel de physique, George Charpak qui avait dénoncé il y a longtemps le non sens technologique et les dépassements budgétaires. Et de dépassements, il y a eu: de temps; et de fonds. Un retard de 4 ans. Et un budget prévu à 3 milliards d'euros qui est envolé à 6,6 milliards d'euros. 


6) Nous savons bien que la filière nucléaire représente 78% de la production d'électricité en France. Nous savons parfaitement le nombre d'emplois directs et induits: 200 000. Ce qui est considérable. Nous savons le cortège d'entreprises, par centaines, qui interviennent dans cette filière. Nous connaissons parfaitement les enjeux d'indépendance nationale sur le plan énergétique. Nous connaissons tout autant l'importance en termes de PIB à la fois de la production (dont le mox aujourd'hui au coeur de la polémique est l'un des aspects), du retraitement et des transferts de technologie dans le domaine du nucléaire civil (Ironie de l'histoire: nous gagnons aujourd'hui de l'argent à être intervenus et à intervenir encore pour assister nos amis japonais pour faire face à la catastrophe). Nous savons parfaitement que le nucléaire constitue un enjeu industriel majeur pour une nation qui a détruit en quelques années seulement plus de  30% de sa production industrielle, production qui n'a été remplacée par rien.


7) Vous connaissez j'en suis sûr le montant du démantèlement de la filière nucléaire française, pour 750 milliards d'euros? Etant rappelé que le rapporteur spécial de l'Assemblée a eu le plus grand mal à réunir les chiffres, malgré sa légitimité,  tant l'opacité règne sur le sujet dans notre démocratie, s'agissant pourtant de rien moins de que 40% environ du PIB de la France! Or on en finance des politiques industrielles alternatives au nucléaire avec cela. Même si c'est dans la durée. Avec une montée en charge progressive des énergies alternatives. La question n'est pas ici celle de l'absence de morts. Mais le choix de société qui sous-tend notre politique énergétique. Et même le respect de nos engagements internationaux en matière de développement durable.


C'est parce que le nucléaire civil est à l'intersection d'un enjeu sanitaire déterminant en tant même que cette technologie induit un "risque majeur" et non totalement contrôlable, d'un enjeu économique capital pour une nation qui est par ailleurs économiquement très fragilisée, d'un enjeu géopolitique clé sous le rapport de l'indépendance nationale, qu'il mérite que l'on ne dise pas n'importe quoi, sous prétexte de commenter l'actualité politique du PS et d'EELV.


C'est ainsi que de vrais débats sur lesquels, les français étant beaucoup plus sages que leurs représentants qui adoptent des positions somme toute très consensuelles, sont transformés en viles polémiques. Il suffit de considérer la façon dont JF Copé et Xavier Bertrand, mais aussi toute la majorité, se sont emparés du sujet ce matin, en toute dialectique électoraliste, pour comprendre qu'une fois de plus, on évite soigneusement la problématique sociétale pour se laisser aller à la vanité électorale. 
La journaliste que vous êtes se grandirait me semble-t-il à ne pas colporter sur un sujet aussi capital que le nucléaire civil des contre-vérités, voire, sans aucune prise de distance, une idéologie dominante. 


Nous avons besoin d'analyse à long terme et de débats de société. Pas de gonfler jusqu'à l'inutile la lecture politique des évènements autour des vrais sujets. Même si c'est votre spécialité.


Pour le dire tout net, chère Madame, vous avez perdu une bonne occasion de vous taire.


Post Scriptum 
Tenez je ne cesse d'entendre depuis ce matin NKM, la jolie communicante du gouvernement, qui chevauche le même registre politicien que le vôtre (Mais tout est normal puisque son rôle de porte-parole du non candidait l'emporte désormais sur sa parole de Ministre). Au moins le débat PS-EELV aura-t-il eu ce mérite: nous rappeler que nous avions une Ministre en charge de l'écologie qui n'a pu se révéler jusqu'ici que comme aux ordres du Ministre de l'Industrie. Un certain Eric Besson qui déclarait au mendemain de la catastrophe de Fukushima qu'on "ne pouvait pas parler de catastrophe nucléaire". 

Post Scriptum II
Je prends connaissance, après vous avoir écrit, de la stratégie électorale du chef de l'Etat-candidat, sorti du bois ce matin même dans une incroyable confusion des genres pour réaffirmer l'importance nationale du nucléaire, la position constante de ses prédécesseurs de la Vème République, et l'importance qu'il y avait à forger un consensus sur le nucléaire qui dépasse les partis. Le tout sur fond de moralisation sur les registres, évoqués supra. Celui de l'indépendance énergétique tout d'abord avec la sempiternelle antienne "la France n'a ni gaz ni pétrole, donc le nucléaire est autant une nécessité qu'une évidence". Celui de l'emploi et de l'économie ensuite avec la doctrine du "ne pas toucher au nucléaire, c'est préserver une richesse nationale et des emplois", qui est fausse de vouloir n'intégrer aucune évolution ni aucune alternative au sein d'une politique industrielle globale. 

Cette sanctuarisation du nucléaire civil qui est au débat politique ce qu'une enceinte de confinement est à une centrale, c'est à dire un milieu comme un espace de réflexion clos dont on ne peut pas sortir, finit par friser l'indécence démocratique.




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