lundi 21 novembre 2011

Méditation poético-philosophique sur le désir avec Jean Lahor


A propos de Jean Lahor et de sa très belle méditation poétique sur le désir et le temps.


Qu'est-ce donc qui est vrai et aimable dans notre condition? Puisque le tourbillon de la vie nous fait étreindre des corps ou des objets qui s'épuisent et nous échappent dans cette étreinte même. Puisque nos pensées sont des songes qui s'évanouissent à peine conçus. Puisque nos valeurs, nos pouvoirs, nos créations mêmes sont éphémères qui buttent sur la limite de l'histoire et du temps, de notre histoire et de notre temps, qui est compté.

Les paroles de l'Ecclésiaste résonnent en nous qui nous disent la vanité du monde, des sentiments, de notre existence, à travers tous ces vides que nous rencontrons à chaque fois que nous croyons tenir quelque chose, victimes que nous sommes de la perpétuelle illusion de l'être qui nous échappe, incessante et cruelle dialectique du phénomène et de la chose en soi qui structure autant nos vies que l'histoire de la pensée philosophique.

Mais que nous reste-t-il alors si tout est enveloppé de ce voile de Maya là ? Notre existence serait-elle à ce point tragique que jamais nous ne pourrions toucher la terre ferme, oscillant sans cesse entre l'objet du désir et son évanouissement, entre l'objet du regard et sa perte, entre le mouvement vers la lumière et la froide confrontation à la nuit ?

Le désir. Telle est la voie pour échapper à ce dilemme existentiel. Le désir conçu non pas comme une faculté parmi d'autres, mais comme notre essence même. Un désir qui ne nous habite pas mais que nous sommes, ontologiquement. Nous sommes l'élan, le mouvement, cette force magnifique qui se projette. 

Un désir qui nous arrache au sort de la matière et de sa finitude. Un désir qui confère à nos amours ce qu'elles ont de réel. Un désir qui affranchit la pensée elle-même de la limitation des objets pour la faire entrer dans la sphère du rêve, celle du poète qui visite les Mondes. Un désir qui transfigure notre présence au monde et la rend incandescente, magique, enchanteresse. Un désir qui condamne définitivement le néant et tous les abysses existentialistes parce qu'il se suffit à lui-même et qu'il n'y a plus rien à chercher hors de lui, ni en bas, ni en haut.
Un désir qui nous fait aimer dans un superbe paradoxe jusqu'à nos propres souffrances, puisqu'il s'agit d'affirmer la vie. Un désir enfin qui échappe au temps, inaugurant dans et par sa projection même, sa propre éternité. 

Et d'être désir, contre toute attente, nous nous découvrons éternels; d'être lumière, nous ne sommes plus menacés par aucun gouffre ou cachot; d'être fulgurance et rêve, nous ne sommes plus la victime d'aucune prison construite par la pensée 

Et d'être désir, nous découvrons que nous avons pour synonyme... Toujours.


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Toujours


Tout est mensonge : aime pourtant,
Aime, rêve et désire encore ;
Présente ton coeur palpitant
À ces blessures qu'il adore.


Tout est vanité : crois toujours,
Aime sans fin, désire et rêve ;
Ne reste jamais sans amours,
Souviens-toi que la vie est brève.


De vertu, d'art enivre-toi ;
Porte haut ton coeur et ta tête ;
Aime la pourpre, comme un roi,
Et n'étant pas Dieu, sois poète !


Rêver, aimer, seul est réel :
Notre vie est l'éclair qui passe,
Flamboie un instant sur le ciel,
Et se va perdre dans l'espace.


Seule la passion qui luit
Illumine au moins de sa flamme
Nos yeux mortels avant la nuit
Éternelle, où disparaît l'âme.


Consume-toi donc, tout flambeau
Jette en brûlant de la lumière ;
Brûle ton coeur, songe au tombeau
Où tu redeviendras poussière.


Près de nous est le trou béant :
Avant de replonger au gouffre,
Fais donc flamboyer ton néant ;
Aime, rêve, désire et souffre !

Jean Lahors (1840-1909) - Toujours


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