mercredi 30 novembre 2011

Réformer n'est pas jouer


En Angleterre, ce qui fait aujourd'hui descendre les britanniques dans la rue, en France, en Italie, en Grèce, en Espagne, partout en Europe, l'antienne réformiste retentit: "Nous avons réformé avec succès"; "nous avons entrepris toutes les réformes nécessaires"; "nous avons su mettre en oeuvre des réformes audacieuses"; "il faudra réformer davantage"; "nous devons réformer"; "grâce à la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) et aux réformes associées, nous avons pu réaliser d'importantes économies budgétaires et améliorer le service public" (ce qui n'engage que ceux qui le disent car les citoyens ont de toute évidence une autre perception). 

Santé, retraite, famille, éducation, chômage, fiscalité, Etat. Il n'y a rien, absolument plus rien ni ne tombe désormais sous le coup de cette universelle manie réformiste. Accompagnée des gesticulations électoralistes que l'on sait, dont la France n'a pas l'exclusivité tout en constituant un symbole, ridicule, de choix.

Ailleurs, à Bruxelles et aujourd'hui même, on débat pour savoir s'il faut ou non réformer ou réviser les Traités européens, la question de l'élargissement des pouvoirs de la BCE étant désormais ouvertement posée. Il en va de même pour les missions du FESF qu'il faut déjà réformer alors que la dernière réforme, celle d'Octobre 2011, est mort-née, puisque ni son capital ni ses moyens d'action n'ont été formellement fixés. Et que, blocage institutionnel obligeant, il faut se tourner vers le FMI. FMI qui est lui-même est interpellé dans l'étendue de son pouvoir économique, la réforme de sa capacité financière commençant à poindre. 
La crise frappant, et le risque systémique étant mondial, construction européenne et mondialisation rime désormais avec réforme d'urgence des institutions clés.

L'OCDE, les agences de notation, et les marchés qui leurs emboîtent le pas, y vont tous de leurs recommandations - de leurs impératifs? -, concernant les réformes qui devraient être entreprises pour faire face à la crise en général, à la crise de la zone euro en particulier, à la récession. Or la réforme, point de salut, les Etats étant condamnés à la faillite.

Régionale ou mondiale, économique ou politique, institutionnelle, rien n'échappe à cette obsession de la révision qui est devenue un véritable paradigme socio-politique. 

A ceci près.

A ceci près que gouverner, ce n'est plus - mais cela l'a-t-il jamais vraiment été, la chose ne se faisant que de plus en plus caricaturale en raison de la disparition du politique au profit des acteurs financiers devenus incontrôlables?- conduire une politique au service des usagers des services publics, des citoyens, d'une Nation, d'un ensemble de nations, dans le respect, avec l'adhésion et dans le souci du bien commun de ceux qui en sont à la fois le corps et le but. 

A ceci près que gouverner ce n'est plus anticiper pour tracer des perspectives locales, régionales, mondiales, que l'on va chercher à réaliser en tenant compte de ce qui précède.

A ceci près que gouverner ce n'est plus chercher à contribuer à la création de ressources qui deviendront une promesse de richesse pour les générations futures, richesse que l'on cherche à voir partagée de la façon la plus équitable qui soit.

A ceci près que gouverner ce n'est plus tenter d'introduire des mécanismes, des équilibres, des rapports stables et pérennes, cette permanence étant pour une large part héritée du consensus qui leur donne naissance. 

Gouverner, c'est désormais réformer. 

Le moyen est à présent devenu le but. La réforme se suffit à elle-même. Et s'épuise d'autant plus vite qu'à la fois elle rate systématiquement son objectif, où qu'elle soit déployée, sous quelque forme qu'elle soit manifestée; et ainsi se décrédibilise, et le politique avec, renforçant les craintes et donc la pression des marchés.

En voudrait-on une ultime illustration qu'il suffit de considérer le plaidoyer pro domo affligeant que François Fillon croit devoir faire de sa RGPP, précisément. Mais on pourrait dire la même chose de la gouvernance financière ratée bien que réformée avec l'accord dit Bâle III, les banques étant exposées de la même façon qu'avant 2008 comme le prouve la dégradation annoncée de 84 d'entre elles pour la zone Europe; de l'empilement des plans de rigueur sur fond de réforme présentées comme "structurelles" mais si peu qu'on doive y revenir tous les ans comme c'est le cas par exemple de la réforme des retraites; de la réforme institutionnelle d'un FESF qui n'aura pas tenu 1 mois et qu'on doit désormais intégrer à un nouveau schéma révisé qui voit le dit Fonds adossé au FMi, etc.

Voilà bien le paradoxe: la gouvernance s'est dissoute dans la réforme. Et de se suffire à elle-même, la réforme ne renvoie plus à rien à force d'échouer systématiquement. La réforme ou l'échec érigé en paradigme. 

Mais pourquoi?
Parce que réformer n'est pas jouer.

Car y a-t-il quelque chose de commun à toutes ces réformes, à tous ces outils?
La réponse tient en un mot: réduire.

Réduire la dépense publique; réduire les effectifs; réduire la protection sociale; réduire la faculté des Etats de décider souverainement de leur politique budgétaire même inscrire celle-ci dans un cadre de convergence et de fédéralisme qui ne dit pas son nom; réduire la part d'incertitude et donc le risque que représente toute communauté humaine considérée politiquement; réduire ... tout!

La réforme, c'est la réduction universelle, qui ne parle jamais, ou si peu et si mal et quoi qu'il en soit jamais durablement, de ce que l'on construit, de ce que l'on acquiert, du rapport sous lequel on se développe, de ce que l'on lègue au futur. 

La réforme, là encore dans un incroyable paradoxe, c'est le règne de l'instant politique. Ce qui est normal, puisque la réforme tient lieu de politique et se suffit à elle-même. Veut-on prouver qu'on est un "bon politique" qu'il suffit, croit-on, de dire qu'on a réformé. Tout est là. On ne se préoccupe plus (une fois les apparences repoussées) des fruits de la réforme inscrite dans la temporalité, la réductrice réforme tenant lieu de bréviaire, et de blanc-seing.

Le mythe de la réforme ou la grande illusion de l'avènement de l'ère néo-libérale. 

Qui pourrait s'exprimer ainsi: 
Puisque l'on n'a prise sur rien, les marchés introduisant une incertitude comme une instabilité structurelles et universelles, il ne faut plus cesser de réformer tout, tout le temps, les marchés constituant la fin de toute chose.
Le mouvement même de la réforme, son essence, étant la contraction permanente, toujours étendue, universelle, des dépenses publiques: la réduction qui devient à son tour en elle-même la modalité par excellence de l'action politique.

Gouverner, c'est réformer. Et réformer c'est réduire. 
Voilà le dogme néo-libéral considéré d'un point de vue socio-politique.

Mais pourquoi évoquer à ce sujet la dimension "mythique" de la réforme?

Pour une raison très simple qui tient à la nature même de la réforme: 
Réformer, c'est introduire une rupture fondatrice qui va générer un nouvel ordre. Ordre qui prendra appui sur elle et se développera jusqu'à la plus parfaite expression de sa propre fécondité. Et qui sera sans doute, un jour, remis en cause par une nouvelle rupture fondatrice.

Or la réforme universelle qu'on nous présente ne contient aucun des attributs d'une réforme authentique.

Les réformes présentées partout n'introduisent aucune rupture qui ne font que développer dans toutes ses conséquences une idéologie et une théorie économique clairement identifiables: il s'agit de satisfaire à des exigences purement financières d'investisseurs qui n'ont aucun souci du long terme, obsédés qu'ils sont par la rentabilité à court terme. Le marché devenant le moteur et le modèle de tous les échanges. Ce qui est la définition du néo-libéralisme. Prétendant "réformer", on ne réforme donc rien puisqu'il n'y a aucune rupture ni épistémologique, ni économique, ni politique. 

De "nouvel ordre" il n'y a pas, le chaos étant le maître mot, la profitabilité augmentant à proportion directe du niveau de désordre induit. On sourira donc tragiquement de voir les politiques s'escrimer à mettre en oeuvre des trains de mesures budgétaires avec un coût économique et social astronomique, lors même que ceux qu'ils entendent ainsi satisfaire ne souhaite en réalité qu'une seule chose: le désordre qui leur est plus profitable. On repensera, c'est évident au symbole que représente Goldman Sachs, conseiller ici et spéculateur là. On repensera aussi par exemple à l'analyse de Naomi Klein. 

De dimension temporelle il n'y a pas non plus. Le but de la réforme n'est pas de "durer" mais de "répondre" à une situation donnée en un instant "t". D'où l'empilement des réformes.

Où l'on voit que d'invoquer en permanence "la réforme", on l'a en réalité, par soumission non assumée à une idéologie économico-politique, poussée hors le champ de l'action politique.

Réformer n'était pas jouer.

Perdu. Vous êtes morts.





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