jeudi 10 novembre 2011

Le soir où je jouais Maria Elena



Un soir de veille de 11 Novembre. Mémoire d'une armistice et d'un Traité signés pour la paix. Paix que nous avons sacrifiée comme jamais à Mammon. Alors que nous ne cessons de dénombrer à présent les victimes de cette autre sale guerre. Cette guerre odieuse. Cette guerre presque pire que toutes les guerres.

Un jour de plus dans cette folie qui s'est emparée de l'Europe et du monde depuis ce Sommet européen raté du 27 Octobre, de quasi exclusion de la Grèce hors de la zone euro en démission de Papandréou; de perte de souveraineté de deux Etats amis face aux diktats des marchés en démission de Berlusconi; de recul historique de la souveraineté des peuples et de légitimité du politique; de pression jamais égalée des marchés en annonce de la mise hors contrôle de la dette italienne; de plan de rigueur une fois encore "de la dernière chance" (la belle illusion!) en annonce délirante d'un Commissaire européen ce soir, qui déclare que "des ajustements seront encore nécessaires", comme si l'on pouvait économiquement ajuster quoi que ce soit!.

Un jour de plus dans cette longue agonie de l'Europe qui n'a pas su se construire à temps.

Un jour de colère pour ceux qui manifestaient cette après-midi à Paris, toutes associations caritatives réunies, pour la (bonne) cause, face à l'exclusion de leur logement des plus démunis. Face à un Etat qui se renie en sacrifiant les fils et filles de la Nation. Ceux-là mêmes que nos aînés avaient voulu préserver il y a presque cent ans, au prix de leur vie.

Un jour à vomir où l'on découvre en lisant un blog de Mediapart que 280 hommes et femmes sont morts - morts- anéantis après avoir échoué là, sur cet asphalte, depuis le début de cette année.

Un jour où même sur les réseaux sociaux on sent le mouvement de bascule entre colère et désespoir, entre peur et révolte.

Un jour où il devient insupportable de voir et d'entendre les médias se vautrer presque avec complaisance dans cette fange d'une actualité devenue odieuse elle aussi.  

Un jour où l'on a envie de vomir d'avoir appris que c'est un père qui a massacré cette enfant qui sera allée rejoindre la sinistre ronde des petits martyrs.

Le sale soir d'un sale jour. Dans un monde devenu fou jusqu'à la désespérance.

Demain, oui demain la force sera à nouveau présente, c'est évident, pour affronter ce monde là. Peser pour tenter d'infléchir le cours des choses. Penser pour ne pas être intérieurement détruit par l'ignominie dans laquelle on nous plonge et trouver des voies autant que des raisons d'être à la fois individuelles et collectives, et d'affirmer le vouloir-vivre qui seul nous tient. Ne pas devenir la marionnette de cette lucidité à la fois merveilleuse et terrible. Agir de façon clairvoyante et déterminée parce qu'il y va de l'avenir de nos enfants et pas seulement du nôtre.

Mais ce soir, oui, ce sale soir, mes yeux ne veulent plus voir, qui en ont vu assez.

Mais, qu'entends-je tout à coup?

Voici que quelques notes se mettent à chanter en moi. Oui, elles chantent, subtiles, délicates. Une mélodie si paisible.  Et tout un passé revient. Deux guitares. J'avais 13 ans. C'était l'été. Un si joli mois d'Août. Nous étions juste au bord d'un grand lac du centre de la France. Je le revois. Il est là. Reflétant ces belles lumières du soir. D'un autre soir. C'était il y a si longtemps! C'est maintenant aussi. Hier, maintenant, peu importe. C'est là, à jamais.

Ces deux guitares...
La mienne, ma guitare, classique, était un tout petit peu trop grande pour moi, que mes bras et mes mains enlaçaient avec quelque difficulté. Je souffrais sur certains accords barrés! J'en souris ce soir. J'interprétais la partie solo de cette mélodie qui s'épanouit en moi à présent, baume si précieux. L'un de mes cousins alors plus âgé - tout juste revenu d'Amérique tiens!- m'accompagnait. C'était doux. C'était bien. C'était simple. C'était bon.

Mon père s'était assis là, pour nous écouter. Il avait pris place sur ce qui restait d'un gros tronc d'arbre. Tout près de nous. Sans le voir, il ne fallait pas rompre le charme, je savais qu'il m'enveloppait d'un regard aimant. Il aurait tant aimé savoir jouer de cet instrument. Ou d'un autre, peu importe. Mais jouer de la musique. Il en avait rêvé. Il n'aura jamais su. Mais il était heureux que je sache. Cela suffisait à son bonheur. Il était là et j'étais fier. Et je jouais pour lui. Et j'étais heureux de le voir heureux. Ma musique était sa musique le temps d'un air. Et c'était bien. 
Un je ne sais quoi me souffla que ce temps là était suspendu, passerait comme l'éclair, se briserait sur tout ce qui allait advenir et que je ne pouvais deviner tout en le soupçonnant. Jusqu'au tremblement. Je ne savais alors ni pourquoi, ni comment. Je le savais. Je ne me trompais pas.

Mon cousin et moi nous reprîmes alors cette balade pendant près d'une heure. Oubliant le temps. Ou plutôt soucieux de ne lui laisser aucune emprise et de faire durer ce bonheur évident, improbable et fragile là. 
Mon père se balançait. De façon incompréhensible, j'avais le coeur gros, de joie et de peine mêlées. Comme ce soir.

Nous jouions ... Maria Elena.




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