jeudi 3 novembre 2011

Du référendum grec et des institutions européennes




A propos du référendum grec 

Bien évidemment, Mmes et MM les Chefs d'Etat et négociateurs intransigeants, défenseurs zélés et brutaux du bras de fer engagé avec la Grèce dans un chantage insensé à la sortie de l'euro de cet Etat, vous n'aurez pas oublié ceci:

1) Le Traité de Lisbonne ne prévoit visiblement pas de sortie de la zone euro sans sortie de l'UE. 

Vous avez donc, c'est certain, déjà pensé à la façon dont vous alliez justifier le cas échéant (s'il y a référendum, et si les grecs se prononcent, par malheur, en faveur d'une sortie de l'euro), l'exclusion d'un Etat qui est pourtant signataire d'un traité qu'il a ratifié le 12 Juin 2008. 

Sachant, et pour cause, que le projet initial de Papandréou n'était pas de  faire que la Grèce sorte de l'UE ou de l'Euro, mais d'amener les grecs à se prononcer, légitimement, sur le plan de sauvetage arrêté par vous. 

Donc et de facto, c'est vous qui contraignez le peuple grec non seulement et dans le même temps à se prononcer sur sa présence au sein de la zone euro, mais qui plus est au sein même de l'Union Européenne.
Vous êtes bien certains de ce que vous êtes en train de faire?

2) Comment allez-vous expliquer ensuite, quels que soient les développements ultérieurs de la crise, et par exemple, à l'opinion publique comme aux citoyens européens que la Grande Bretagne, en situation permanente "d'exil européen", parce qu'elle a (honteusement pour ne pas affronter sa propre opinion publique) signé le Traité de Lisbonne en 2007, continue de faire partie de l'Union Européenne, tout en n'étant pas présente dans la zone euro. Sachant qu'elle est "non membre" sans jamais avoir procédé à la moindre consultation démocratique sur le sujet (comme par hasard, n'est-ce pas?).

Deux poids deux mesures donc. 
On peut apparemment être membre de l'UE et pas de la zone euro et que personne n'y trouve à redire, ce qui est le cas de la Grande Bretagne, alors même que celle-ci, pour être certes un contributeur conséquent (environ 12% du budget), continue de bénéficier de son "chèque en retour" qui en fait en réalité l'un des plus faibles contributeurs nets, au grand dam de tous les Etats, n'étant ainsi soumise à aucun des critères contraignants du pacte de stabilité. 

Mais on ne peut semble-t-il pas continuer à être membre de l'UE selon les termes d'un traité qu'on a pourtant dûment ratifié, au simple motif que l'on ne voudrait plus être membre de l'euro, après une consultation démocratique dans son processus mais despotique voire tyrannique dans son questionnement en vertu d'une atteinte à la souveraineté de l'Etat grec lui-même.   

Voici à tout le moins une lecture à géométrie variable des Traités en vigueur dont il faut quand même rappeler qu'ils constituent le socle juridique qui confère sa légitimité, ou son absence de légitimité précisément, à chacune de vos décisions.

3) Etes-vous certains d'avoir mesuré à quel point, en mettant la Grèce au pied du mur, vous avez ouvert la boîte de Pandore des disparités, voire des déséquilibres institutionnels de la construction européenne, à tel point que les citoyens de toutes les nations risquent, ne voulant simplifier mais ne pouvant apprivoiser votre "machin", de rejeter tout en bloc dans un sentiment anti-européen dangereux? Et qui nourrira tous les scepticismes et tous les nationalismes.

4)  Avez-vous bien pris conscience qu'en accédant à l'intransigeance de l'Allemagne à propos de la Grèce (car c'est elle qui a réclamé et imposé que le référendum grec devienne un choix sur l'adhésion à l'euro pour libérer la tranche de 8 Milliards d'euros qui devait être libérée en Décembre, n'est-ce pas? Même si la France a emboîté le pas), vous vous êtes placés dans une posture intenable. 

En effet qu'allez-vous faire demain avec l'Italie? L'Italie qui remet ces jours-ci un mémo de 15 pages laborieuses qui ne trompent personne pour expliquer comment elle va restaurer la croissance (on sourit n'est-ce pas). Avec la France, sous surveillance des agences de notation, qui va très certainement perdre son triple A début 2012 puisque son économie est entrée en récession? Avec l'Espagne qui ne cesse de subir des répliques sismiques de la crise? Avec le Portugal? 

On n'ose croire que vous avez raisonné à courte vue en brutalisant ainsi la Grèce sur le plan financier et politique, en l'humiliant, que vous n'avez ni vu, ni clairement exposé qu'à ce petit ou dramatique jeu là, l'Allemagne sera demain soit le champion d'une ancienne Europe défaite, soit le tyran d'une Europe pseudo fédérale dans laquelle l'hégémonie du mark d'hier aura été remplacée par la tyrannie d'un euro enserré entre les griffes d'une économie purement monétariste.

5) Avez-vous bien projeté les conséquences du comportement qui consiste à stigmatiser un Etat membre de la zone euro (mais voilà qui fonctionne puisque nombre de journalistes et citoyens semblent tenir pour acquis que la Grèce est la cause de tous les maux, dans une illusion économique saisissante, alors que la véritable origine de la crise est votre incapacité totale à penser la croissance en même temps que la rigueur budgétaire pour l'ensemble de la zone euro et au-delà, sans neutralisation aucune du risque systémique au moyen d'une gouvernance économique et financière), au mépris de la solidarité, alors que demain, dans quelques semaines tout au plus, de grandes nations comme la France ou l'Italie vont être prises dans des difficultés absolument identiques? 

Mais c'est évident, vous avez pensé à tout ceci. Vous avez prudemment pesé et soupesé l'attitude qui s'imposait. Vous avez sereinement pris le parti, au lieu de négocier avec la Grèce en coulisse pour appuyer l'autorité de Papandréou, même si la méthode vous a été désagréable (mais ce n'est que la politique!), afin de vous assurer autant qu'il est possible d'une issue favorable d'un référendum qui serait (sera) venu renforcer la cohésion européenne au-delà de la crise du moment- de briser un Premier Ministre, et de mettre un peuple européen au ban. Et quel peuple s'agissant du berceau de la démocratie! 
Pour une fois, donc, vous avez tout, mais absolument tout prévu? Quelle avancée spectaculaire pour une Europe incapable de regarder plus loin que le prochain sommet ou la prochaine élection nationale!

Ce matin même, à l'ouverture du G20, le Président Obama  a souligné que la "fermeté" s'imposait. Un blanc seing vous a donc été donné. Mais vous avez là aussi bien évidemment mesuré que cet adoubement ressemblait fort à une menace, face à une Europe incapable de trouver son équilibre et qui s'est gravement et durablement décrédibilisée en moins de 8 jours, menaçant ainsi l'équilibre.. du monde (!)?

S'il devait se confirmer que la crise se résout ainsi, quelle sagesse politique! 
Quelle maîtrise de la dramatisation (incluant sa mise en cause immédiate et personnelle) par réaffirmation de l'essence de la démocratie (le référendum) le Premier Ministre grec aura-t-il du et su promouvoir pour que vos décisions incomplètes et terribles du 27 Octobre soient malgré tout avalisées par l'incarnation légitime de la souveraineté grecque! 
Quelle leçon de démocratie ce dirigeant d'un pays-symbole vous donne-t-il jusqu'au bout, valorisant tous les ressorts de la vie démocratique. Y compris quand ce qui est en cause demeure très imparfait. Y compris malgré les humiliations et chantages sur la place internationale.
Il s'agissait par tous moyens à la fois de rendre la Grèce responsable de son destin, et de mettre les partenaires européens eux-mêmes face à leurs responsabilités, tout en leur faisant tomber les masques et en les contraignant à assumer dans l'avenir les conséquences de l'accord. Si la nouvelle est confirmée, ce double objectif aura été atteint en moins de 4 jours. Un tour de force de la part de ce responsable politique. 

On croit déjà entendre, cela va de soi, vos porte-paroles (ou vous mêmes...) triomphants: "La Grèce, grâce à la très grande implication comme au très grand sens des responsabilités de son Premier Ministre, s'est rangée à une sage position que l'Europe aura du lui exposer avec une grande fermeté mais pour le bien de tous. Nous en sommes heureux, pour les Grecs tout d'abord qui vont ainsi pouvoir bénéficier de la solidarité européenne manifestée par l'accord du 27 Octobre, et nous pouvons désormais nous concentrer sur les nécessaires actions de consolidation d'une croissance et d'une stabilité qui constituent aujourd'hui nos impératifs premiers. L'Europe devant assumer et tenir dans le monde le rôle qui est le sien  ". De l'art de la récupération. Des vertus du langage diplomatique. 

Sauf que. Sauf que l'Europe et le monde après avoir tremblé et vacillé pendant quelques heures interminables ne peuvent sortir indemnes de cette expérience là.

Car, même si la Grèce sort de l'impasse sans référendum mais avec une démocratie parlementaire réaffirmée, aucun des enjeux que nous avons rappelés n'a été traité. Ni les équilibres institutionnels intra européens; ni les rapports de force économique au sein de la zone euro, avec notamment un pouvoir grandissant et des plus préoccupants d'une Allemagne prioritairement comptable et non solidaire; ni le mode de construction européen, puisqu'il aura fallu qu'un petit pays (économiquement) rappelle l'essence de la vie démocratique pour mettre à jour les failles béantes d'une Europe construite sans les peuples; ni les priorités de la construction européenne dont la solidarité dans une économie mondialisée devrait être réaffirmée par principe avant toute négociation et toute décision, ce qui n'est pas le cas; ni la nécessité absolue d'une gouvernance économique concertée qui ne peut s'intégrer que dans une Europe réellement fédérale sur le plan politique. Ces voies n'épuisant pas le sujet.

Saurez-vous tirer les leçons de cette histoire immédiate là, en temps réel, pour infléchir le cours de la construction européenne? Si l'on en juge par les déficits cruels que cette crise a révélés, il y a tout lieu d'être sceptique. Avant de sortir grandie, et si toutefois elle y parvient, l'Europe sort meurtrie. Pouvez-vous encore voir la fragilité de cette Europe là, et non pas celle de la Grèce seulement, dans une économie mondialisée? Il serait temps.

capture d'écran du site lepoint.fr

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Vous avez la parole!