vendredi 4 novembre 2011

Lettre à nos amis allemands au sujet de la crise de la zone euro



Mercredi, l'Allemagne a été intransigeante bloquant tout financement, pourtant prévu, de la Grèce à hauteur de 8 milliards d'euro tant que cet Etat souverain n'aurait pas renoncé à son référendum et réaffirmé son adhésion inconditionnelle à l'euro, par validation sans réserve de l'accord du 27 Octobre. Quitte à humilier Papandréou et la Grèce.

Aujourd'hui, la même Allemagne humilie publiquement Berlusconi et l'Italie, lui demandant "des actes et non pas des déclarations" malgré le programme présenté, s'agissant de son programme de redressement économique, de réduction des déficits, et de reconstitution d'une dynamique de croissance. Le tout dans un contexte politique intérieur gravement déstabilisé. 

Demain, comment allez vous humilier la France, lorsqu'elle sera, car c'est inévitable, exposée à une dégradation de sa notation pour des raisons en tous points semblables à celles qui ont mis en péril les finances publiques de la Grèce et de l'Italie, je veux dire l'insuffisance de la croissance pour faire face à la charge de la dette. 

Amis allemands, que nous savons très partagés face à la gestion de crise par votre chancelière, nous avons traversés, ensemble ou face à face, au fil des cent dernières années, de très graves crises. Dont certaines avaient comme origine une certaine et terrible humiliation que vous avez subie, naguère, à travers un certain Traité de Versailles. Humiliation qui a accouché de la pire barbarie. N'y revenons pas sans pour autant l'oublier car le rêve d'Europe est ancré dans ce "plus jamais çà" là.

Nous comprenons, c'est évident, votre hantise de l'inflation par référence à ces terribles années noires que vous avez subies, et qui ont donné naissance à un monstre. Nous comprenons aussi les sacrifices consentis pour votre récente réunification (qui n'est au demeurant toujours pas parachevée, faute de financement. Nous vous savons aussi soucieux de cette question qui vous concerne au premier chef). 

Nous savons vos efforts de bonne gestion, anciens, ceux-là mêmes qui firent hier votre force à travers le Deutschmark, qui plus est dans un souci d'avancée sociale et négociée, sous une forme et à un degré que quelques très rares pays européens amis et partenaires ont égalés. Nous vous envions même cette culture socio-politique que nous sommes bien incapables de promouvoir et qui serait pourtant indispensable à nos réformes, plutôt qu'un autoritarisme problématique et au final stérile. 

Nous savons aussi la peur, voire la hantise que vous avez de perdre votre équilibre économique, très précaire quoi qu'en disent les commentateurs, puisque 60% de votre PIB sont réalisés avec les pays de la zone euro, qui plus est avec les pays du Sud (Vous savez bien, ce sont les "PIGS" - les mal nommés!- ceux là mêmes que vous humiliez en ce moment lors du G20, précisément). 

De grâce, ne gâchez pas tout! 

Il peut s'avérer extrêmement dangereux historiquement, vous êtes bien placés pour le savoir, d'humilier des peuples. Ce que vous faîtes avec une brutalité diplomatique quasiment jamais égalée en Europe. 

L'Europe n'a pas à être allemande. Aux ordres d'une Allemagne hégémonique. Vous n'y pensez pas suffisamment, de toute évidence. Nous construisons avec une terrible difficulté une Europe fédérale (mais sans le dire puisque les dirigeants en sont, à tort, honteux): vous devez vous habituer, toutes affaires cessantes, à déployer sur le plan international le même sens de la négociation et du consensus que celui qui vous a si bien réussi sur le plan intérieur. Ne vous trompez pas de méthode. 

Gardez-vous bien d'imposer à d'autres ce que vous ne voudriez pas vous voir imposer. Car c'est ce qui vous attend si, à force d'intransigeance stérile sur le plan monétaire et budgétaire (enfin, votre culte des "sanctions automatiques" aux Etats européens en difficulté en termes de déficit et de dettes, croyez-vous réellement que ce soit une position tenable sur le plan de la citoyenneté, de la souveraineté, et même du bon sens économique? Comme si les dits Etats n'avaient pas pour eux-mêmes un intérêt immédiat à assainir leurs Finances publiques!)- vous finissez par mettre à genoux, les uns après les autres, ceux qui restent, jusqu'à preuve du contraire, vos partenaires et amis. 

Car qui, à ce rythme, importera les biens industriels (car vous avez la chance d'avoir encore un tissu industriel) et les services dont vous inondez aujourd'hui la zone euro, parfois même avec de singulières entorses, pour ne pas dire pire, à l'esprit comme à la morale de la construction européenne (faut-il réellement reparler de Siemens en Grèce par exemple?)? Et vous savez pertinemment que l'équilibre de vos Finances a un besoin absolu de ces marchés amis là. 
Viendraient-ils à sombrer que vous sombreriez à la suite.

Gardez-vous d'humilier des dirigeants amis en recherche de démocratie et d'équilibre. Car votre chancelière n'est pas dans une posture si confortable que cela, qui doit composer avec une coalition bien fragile.

Gardez-vous d'apparaître comme un pays donneur de leçons. Car si les commentateurs sont bien complaisants avec vous (mais pourquoi donc? Sans doute parce qu'ils vous voient encore à l'ère du deutschmark triomphant, nous y revenons), nous vous devons la loyauté de rappeler que votre dette est la troisième dette au monde et la première, oui la première, de la zone euro pour 83,2% de votre PIB et 2079 milliards d'euros. Ce qui fait de vous un plus mauvais élève que l'Italie que vous humiliez aujourd'hui même à Cannes avec ses 1843 milliards d'euros de dette; et que la France avec ses 1591 milliards d'euros de dettes (chiffres 04/2011).
Vous n'êtes pas si brillants, loin s'en faut, que cela vous permette d'humilier à travers votre intransigeance qui se traduit par des remises en cause graves de la souveraineté de vos amis et la souffrance de leurs peuples, les autres Etats européens qui, comme vous, cherchent par tous moyens à se sortir de cette crise effrayante.

Nous savons bien qu'une partie de cette dette, de votre dette et pour des milliards d'euros, vient de l'aide que vous avez apportée aux autres Etats européens en difficulté. Raison de plus pour ne pas risquer de ruiner autant d'efforts déjà consentis en les sacrifiant sur l'autel d'une intransigeance budgétaire qui prend désormais la forme de la perte des attributs économiques de la souveraineté, je veux parler de la faculté de décider de sa politique budgétaire et de l'exercice de son contrôle sans en référer à une instance supra-nationale, ni a fortiori sans l'irruption directe de telles instances dans le cours de la vie politique et économique des Etats. 

Car de quel oeil verriez, mais peut-être convient-il de dire "verrez",  vous le fait qu'un représentant  de l'UE, un représentant de la BCE et un représentant du FMI, viennent s'immiscer de façon organique dans les affaires intérieures budgétaires allemandes pour vous demander des comptes sur vos 2079 milliards de dette publique? Car comment supporteriez (supporterez)-vous que cette même Troïka vienne vous demander des comptes sur votre croissance qui va passer de 2,9% pour l'année en cours à 0,8% en 2012, la conséquence directe étant un accroissement du poids de votre dette. Alors que vous consentez vous aussi des efforts énormes. 

Vous êtes un grande nation et un peuple fier et courageux. Nous savons bien en définitive que, comme les autres, vous avez peur. D'où sans doute votre intransigeance qui prend la forme de ce qu'il faut bien nommer de l'arrogance. Ne persistez pas dans cette voie.

Nous avons en France, parmi nos jolis dictons, une sentence qui me vient à l'esprit: la peur n'efface pas le danger.

Aussi amis Allemands, exposez un peu mieux les attendus de vos craintes et l'importance de la convergence, en soutenant ceux (hommes et Etats) qui partagent vos idées et efforts - tous en réalité, plutôt que de briser net par vos positions rigides les élans légitimes comme les avancées douloureuses de vos amis grecs hier, italiens aujourd'hui, français demain. Conservez dans la négociation -qui peut être très ferme, l'un n'empêche pas l'autre- le cap de la pédagogie comme de la culture des équilibres et des efforts requis pour atteindre le but commun que nous avons, sans déraper vers un autoritarisme castrateur et malsain. Voire dangereux.

Vous serez ainsi enclins à plus de compréhension avec vos partenaires, autant que vous bénéficierez de leur respect. Et en retour sur votre propre économie, de l'efficacité des mesures et décisions adoptées. Vous et nous (puisque notre destin est commun, n'est-ce pas)- prémunissant d'un rejet qui serait destructeur de cette Europe, à travers un sentiment anti-allemand que certains nationalistes et anti-européens chevauchent déjà. 
Et continuant d'apporter votre pierre, essentielle, à l'oeuvre européenne commune que tous, dans le noir de l'histoire, nous tentons de réaliser depuis près de 70 ans. 

Nous comptons sur vous. Et sur votre lucidité pour le faire savoir, sans pour autant la déstabiliser gravement, à votre chancelière qui a besoin elle aussi, de l'unité de votre nation.   


Post Scriptum 
Nous apprenons à l'instant au terme de cette semaine de folie, que le Premier Ministre Papandréou vient d'annoncer, selon un marché politique pour le moins original, qu'il démissionnera de son poste en contrepartie du vote de confiance utile à la sortie de crise de l'euro par adoption du plan prévu et négocié avec vous le 27 Octobre.  

Vous ne pourrez pas dire que chacun n'y met pas du sien!




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