vendredi 4 novembre 2011

Marilyn Monroe tragédienne




Retour sur une scène d'anthologie du chef d'oeuvre crépusculaire de John Huston: The Misfits

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Nous serons amenés dans quelques mois à nous souvenir du départ de Marilyn pour son dernier voyage. Il y a 50 ans déjà. Et de repenser à elle en véritable tragédienne à travers le retour dans le cinéma de la tragédie grecque la plus pure, le temps d'un film.

Le noir et blanc; le plan mythique avec Marilyn hurlante et s'agitant comme un insecte, condamnée à se cogner indéfiniment la tête contre les parois d'un monde hostile et sans perspective; cette parole déchirante, ce cri que le désert étouffe de son silence; la violence de la charge contre une société américaine bien pensante, religieuse, mais déjà anéantie par son cynisme et son indifférence, la nôtre puisque rien n'a changé; la vie brisée et la victoire des faibles symbolisée par cet étalon à terre, et tous les étalons, toutes les vies donc, auxquelles le pouvoir de l'argent ne laisse aucune chance; la folie dans laquelle tous les personnages sombrent inexorablement, la notre là encore; Gable fort mais vieillissant, tristement lucide, résigné, lâche en réalité, qui n'a plus le pouvoir ni la conviction de vouloir changer le cours des choses, tout en voyant pourtant dans la détresse de cette jeune femme ce qui mériterait d'être fait pour ne pas devenir complice d'un monde qui court à sa perte; Clift halluciné et comme un mort vivant.

Une scène de fin du monde.

La tragédie antique montrait les hommes aux prises avec leur destin, sans espoir d'un quelconque au-delà, n'ayant comme seule voie que l'acceptation de la vie avec son lot de souffrance et de plaisirs. Ces désaxés là sont définitivement tragiques au sens classique, coupés de tout idéal qui leur est quoi qu'il en soit refusé, tout entiers absorbés par l'accomplissement de leur sinistre et misérable destin. Il n'y a pour eux aucune issue.

C'est de façon "animale" comme l'a montré Nietzsche dans la Naissance de la tragédie à propos du héros tragique, que ces merveilleux égarés sont contraints d'endosser leur rôle, toute liberté leur étant refusée. Or on mesure à quel point Huston a suscité et cultivé l'animalité de ses acteurs. Jusqu'au vertige. Le nôtre, et le leur.

Mais si le héros tragique trouve encore quelque félicité dans l'humble soumission à l'ordre des choses qui s'impose à lui, les héros de John Huston n'ont même plus cette faculté. En effet, il manque semble-t-il à ce scénario, mais c'est délibéré, une composante maîtresse pour que la tragédie soit parfaite: le choeur. Le choeur qui dit encore la plénitude du monde et constitue le fond sur lequel les évènements se détachent. Un repère stable.
Or ici, point de choeur. Point de plénitude. Point de repère. La tragédie de Huston renvoie au néant le plus radical et le plus effrayant qui soit. Voilà sans doute pourquoi les héros sont désaxés. Il n'y a plus d'ordre du monde; encore moins de jouissance. La chair n'est plus même triste, mais morbide. Le nihilisme absolu se révèle et s'impose. La folie a le dernier mot.

On voit bien pourquoi ce rôle est sans doute l'un des plus grands tenus par Marilyn Monroe, qui place à travers son personnage et sa composition la tragédie antique au coeur du 7ème art. Certes, Huston fait encore du cinéma, et quel cinéma! (direction d'acteur "à la limite", rigueur scénaristique, plans tirés au cordeau, photographie, lumière jouant constamment entre les rayons et les ombres, etc.). Mais en établissant un pont entre cette forme artistique spécifique et l'expression la plus achevée de la dramaturgie, celle de la tragédie grecque.

Avec "The Misfits", Marilyn est très loin de l'éblouissant et délicieux "Some like it hot" ou du pourtant prémonitoire "Bus stop", autant que du déjà tragique "Niagara": elle s'y impose comme l'une des plus grandes tragédiennes de l'histoire du cinéma.

Veut-on comprendre une partie de la fin du rêve américain, et plus généralement de la fin du rêve occidental qui survient aujourd'hui, qu'il n'est sans doute pas inopportun de confier à cette déesse du grand écran le soin de nous guider dans cette noire et grandiose exploration symbolique de la dimension tragique de l'existence humaine.

Plus qu'un rôle dans un film: une incarnation définitive de l'essence de la tragédie pour une expérience esthétique et initiatique absolue.




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